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Sein und Zeit

Être et temps : § 81. L’intratemporalité et la genèse du concept vulgaire de temps.

Ser e Tempo

quinta-feira 17 de julho de 2014, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

Comment quelque chose comme le « temps » se montre-t-il de prime abord à la préoccupation quotidienne, circon-specte ? Dans quel usage préoccupé, dans quel emploi d’outils le temps devient-il expressément accessible ? S’il est vrai qu’avec l’ouverture du monde, du temps est publié, et qu’avec la découverte d’étant intramondain qui appartient à l’ouverture du monde, ce temps s’offre toujours aussi à la préoccupation dans la mesure où c’est en comptant avec soi que le Dasein compte le temps, alors le comportement où l’« on » s’oriente expressément sur le temps réside dans l’usage d’horloges. Le sens temporalo-existential de celui-ci se révèle être un présentifier de l’aiguille en mouvement. La poursuite présentifiante des emplacements occupés par l’aiguille décompte. Ce présentifier se [421] temporalise dans l’unité ekstatique d’un conserver qui s’attend. Conserver le « alors » (passé) en présentifiant signifie : en disant maintenant, être ouvert à l’horizon du plus-tôt, autrement dit du maintenant-ne-plus. S’attendre au « alors » (futur) en présentifiant signifie disant-maintenant, être ouvert à l’horizon du plus tard, c’est-à-dire du maintenant-pas-encore. Ce qui se montre en un tel présentifier est le temps. Quelle sera donc la définition du temps manifeste dans l’horizon de l’usage circon-spect, prenant le temps, préoccupé, des horloges ? Il est ce DÉCOMPTÉ qui se montre dans la poursuite présentifiante, décomptante de l’aiguille en mouvement, et cela de telle manière que le présentifier se temporalise dans une unité ekstatique avec le conserver et le s’attendre horizontalement ouverts au plus tôt et au plus tard. Mais ce n’est là rien d’autre que l’explicitation ontologico-existentale de la définition que donne du temps Aristote   : touto gar estin ho chronos, arithmos kineseos kata to proteron kai hysteron. « Car tel est le temps : le décompté dans le mouvement qui fait encontre dans l’horizon du plus tôt et du plus tard » [1]. Si étrange que paraisse au premier regard cette définition, elle n’en est pas moins « évidente » et puisée à la source, à condition toutefois que soit délimité l’horizon ontologico-existential d’où Aristote   l’a tirée. L’origine du temps ainsi manifeste ne devient pas pour Aristote   un problème. Son interprétation du temps se meut bien plutôt dans la direction de la compréhension « naturelle » de l’être. Néanmoins, comme c’est celle-ci, ainsi que l’être compris en elle, qui est fondamentalement prise pour problème par la présente interprétation, c’est seulement après la résolution de la question de l’être que l’analyse aristotélicienne du temps pourra être thématiquement interprétée, et cela de telle sorte qu’elle obtiendra une signification fondamentale pour l’appropriation positive de la problématique critiquement délimitée de l’ontologie antique en général [2].

Toute élucidation postérieure du concept de temps s’en tiendra fondamentalement à la définition aristotélicienne, c’est-à-dire qu’elle ne prendra le temps pour thème que tel qu’il se montre dans la préoccupation circon-specte. Le temps est le « décompté », autrement dit ce qui est ex-primé et, quoique non thématiquement, visé dans le présentifier de l’aiguille (ou de l’ombre) en mouvement. Et ce qui est dit dans la présentification du mû en son mouvement, c’est : « maintenant ici, maintenant ici, etc. » Le décompté, ce sont les maintenant. Et ceux-ci se montrent « en tout maintenant » comme « à l’instant ne plus » et « juste maintenant pas encore ». Le temps du monde « aperçu » de cette manière dans l’usage de l’horloge, nous le nommons le temps du maintenant.

Plus « naturellement » la préoccupation qui se donne le temps compte avec le temps, et [422] d’autant moins elle séjourne auprès du temps ex-primé comme tel, étant au contraire perdue dans l’outil offert à la préoccupation, qui à chaque fois a son temps propre. Plus « naturellement », autrement dit : moins thématiquement la préoccupation, déterminant et indiquant le temps, est tournée vers le temps comme tel, et d’autant plus l’être échéant-présentifiant auprès de l’étant offert à la préoccupation dit sans hésiter, à voix plus ou moins haute : maintenant, alors (futur), alors (passé). Et ainsi le temps se montre à la compréhension vulgaire du temps comme une suite de maintenant constamment « sous-la-main », passant et arrivant à la fois. Le temps est compris comme un l’un-après-l’autre, comme « flux » des maintenant, comme « cours du temps ». Qu’implique cette explicitation du temps du monde offert à la préoccupation ?

Nous obtiendrons la réponse si nous en revenons à la pleine structure d’essence du temps du monde, et si nous lui comparons ce que la compréhension vulgaire du temps connaît. À titre de premier moment essentiel du temps de la préoccupation, nous avions dégagé la databilité. Elle se fonde dans la constitution ekstatique de la temporalité. Le « maintenant » est essentiellement maintenant que… Le maintenant compris dans la préoccupation, saisi - quoique non pas comme tel -, datable est à chaque fois un maintenant approprié ou inapproprié. À la structure du maintenant appartient la significativité. C’est pourquoi nous appelions le temps de la préoccupation temps du monde. Or dans l’explicitation vulgaire du temps comme suite de maintenant fait défaut aussi bien la databilité que, aussi, la significativité. La caractérisation du temps comme pur l’un-après-l’autre ne laisse point l’une et l’autre structure « venir au paraître ». L’explicitation vulgaire du temps les recouvre. La constitution ekstatico-horizontale de la temporalité, où se fondent la databilité et la significativité des maintenant, est nivelée par ce recouvrement. Les maintenant sont pour ainsi dire amputés de ces rapports, et, ainsi mutilés, ils se font simplement suite pour constituer le l’un-après-l’autre.

Ce recouvrement nivelant du temps du monde accompli par la compréhension vulgaire du temps n’a rien de fortuit : au contraire, c’est justement parce que l’explicitation quotidienne du temps se tient uniquement dans la perspective de l’entente préoccupée et ne comprend que ce qui se « montre » dans l’horizon de celle-ci que ces structures doivent nécessairement lui échapper. Le décompté dans la mesure préoccupée du temps, le maintenant, est co-compris dans la préoccupation pour l’à-portée-de-la-main et le sous-la-main. Or dans la mesure où cette préoccupation du temps revient elle-même au temps co-compris et le « considère », elle voit les maintenant, qui assurément sont eux aussi « là » en quelque manière, dans l’horizon de la compréhension d’être par laquelle cette préoccupation elle-même est constamment guidée [3]. Par suite, les maintenant sont eux aussi conjointement [423] sous-la-main en quelque manière, c’est-à-dire que l’étant fait encontre et aussi le maintenant. Bien qu’il ne soit pas expressément dit que les maintenant sont sous-la-main comme les choses, ils n’en sont pas moins « vus » ontologiquement dans l’horizon de l’idée de l’être-sous-la-main. Les maintenant passent, et les maintenant passés constituent le passé. Les maintenant arrivent, et les maintenant arrivants délimitent l’« avenir ». L’interprétation vulgaire du temps du monde comme temps du maintenant ne dispose même pas de l’horizon requis pour pouvoir se rendre accessible quelque chose comme un monde, une significativité, une databilité. Ces structures demeurent nécessairement recouvertes, et cela d’autant plus que l’explicitation vulgaire du temps consolide encore ce recouvrement par la manière dont elle configure conceptuellement sa caractérisation du temps.

La suite des maintenant est interprétée comme quelque chose de sous-la-main en quelque manière : car elle est elle-même transportée « dans le temps ». Nous disons : à chaque maintenant c’est maintenant, et à chaque maintenant ce maintenant disparaît déjà aussi. En chaque maintenant le maintenant est maintenant, donc il est constamment présent comme même, bien qu’à chaque fois en chaque maintenant un autre maintenant, arrivant, disparaisse. Mais en tant que ce change même, il n’en montre pas moins en même temps la présence constante de lui-même, et c’est pourquoi Platon   déjà, d’après cette perspective sur le temps comme suite naissante-passante de maintenant, devait nécessairement nommer le temps l’image de l’éternité : eiko d’ epenoei kineton tina aionos poiesai, kai diakosmon hama ouranon poiei menontos aionos en heni kat’ arithmon iousan aionion eikona, touton hon kronon onomakamen [4].

La suite des maintenant est ininterrompue et sans lacune. Si « loin » que nous pénétrions dans la « partition » du maintenant, il est encore et toujours maintenant. On aperçoit la continuité du temps dans l’horizon d’un sous-la-main indissoluble. C’est dans une orientation ontologique sur un constamment sous-la-main que l’on cherche le problème de la continuité du temps, à moins qu’on ne laisse l’aporie subsister. Dès lors la structure spécifique du temps du monde, puisqu’aussi bien celui-ci est tendu conjointement à la databilité ekstatiquement fondée, doit nécessairement demeurer recouverte. L’être-(é)tendu du temps n’est pas compris à partir de l’être-é-tendu horizontal de l’unité ekstatique de la temporalité

qui s’est publiée dans la préoccupation pour le temps. Que dans tout maintenant, si momentané soit-il, ce soit à chaque fois déjà maintenant, cela doit être conçu à partir de cet encore « plus ancien » dont tout maintenant provient : à partir de l’être-é-tendu extatique de la [424] temporalité qui est étrangère à toute continuité d’un sous-la-main, mais qui représente quant à elle la condition de possibilité de l’accès à un continu sous-la-main.

La thèse capitale de l’interprétation vulgaire du temps, selon laquelle le temps est « infini », manifeste de la façon la plus saisissante le nivellement et le recouvrement du temps du monde - et ainsi de la temporalité en général - contenus dans une telle explicitation. Le temps se donne de prime abord comme séquence ininterrompue des maintenant. Tout maintenant est aussi déjà un à l’instant ou un dans un instant. Si la caractérisation du temps s’en tient primairement et exclusivement à cette suite, alors ne se laisse fondamentalement trouver en elle aucun commencement et aucune fin. Tout dernier maintenant est, en tant que maintenant, à chaque fois toujours déjà un aussitôt-ne-plus, donc du temps au sens du maintenant-ne-plus, du passé ; et tout premier instant est un à-l’instant-pas-encore, donc du temps au sens du maintenant-pas-encore, de l’« avenir ». Le temps, par suite, est sans fin « des deux côtés ». Cette thèse temporelle ne devient possible que sur la base de l’orientation sur un en-soi flottant en l’air d’un déroulement sous-la-main des maintenant, où le plein phénomène du maintenant, envisagé du point de vue de la databilité, de la mondanéité, de l’être-étendu et de la localité par rapport au Dasein, est recouvert et s’exténue en fragment méconnaissable. Si « l’on pense jusqu’à son terme » la suite des maintenant selon la perspective prise sur l’être-sous-la-main ou le ne-pas-être-sous-la-main, alors jamais ce « terme » ne se laisse trouver. Et de ce que cette pensée jusqu’à la fin du temps doive à chaque fois toujours encore penser du temps, on infère que le temps est in-fini.

Mais où se fonde ce nivellement du temps du monde et ce recouvrement de la temporalité ? Réponse : dans l’être du Dasein lui-même, que nous interprétions provisoirement comme souci [5]. Jeté-échéant, le Dasein est de prime abord et le plus souvent perdu dans ce dont il se préoccupe. Mais dans cette perte s’annonce la fuite recouvrante du Dasein devant son existence authentique, qui a été caractérisée comme résolution devançante. Dans la fuite préoccupée est impliquée la fuite devant la mort, c’est-à-dire un détournement du regard de la fin de l’être-au-monde [Cf. supra, §51, pp. [252] sq.]]. Ce détournement du regard de… est en lui-même un mode de l’être ekstatiquement avenant pour la fin. La temporalité inauthentique du Dasein échéant-quotidien doit nécessairement, en un tel détournement de la finitude, méconnaître l’avenance authentique et, avec elle, la temporalité en général. Et c’est même lorsque la compréhension vulgaire du Dasein est guidée par le On que la « représentation » oublieuse de soi de « l’infinité » du temps public peut pour la première fois se consolider. Le On ne meurt jamais, parce qu’il ne peut pas mourir, dans la mesure où la mort est mienne et n’est [425] existentiellement comprise de manière authentique que dans la résolution devançante. Le On, qui ne meurt jamais et mé-comprend l’être pour la fin, n’offre pas moins à la fuite devant la mort une explicitation caractéristique. Jusqu’à la fin, « on a encore le temps ». Ici s’annonce un avoir-le-temps au sens du pouvoir de le perdre « d’abord encore cela, et ensuite… ; plus que cela, et ensuite… » Ici, cependant, ce n’est nullement la finitude du temps qui est comprise : tout au contraire, la préoccupation s’applique à capturer la plus grande part possible du temps qui vient encore et qui « continue ». Le temps, du point de vue public, est quelque chose que chacun prend et peut prendre. La suite nivelée des maintenant demeure totalement méconnaissable du point de vue de sa provenance à partir de la temporalité du Dasein singulier dans l’être-l’un-avec-l’autre quotidien. Et du reste, comment cela affecterait-il le moins du monde « le temps » en son cours qu’un homme sous-la-main « dans le temps » vienne à ne plus exister ? Le temps suit son cours, tel qu’il « était » aussi déjà lorsqu’un homme est « entré dans la vie ». On ne connaît que le temps public, qui, nivelé, appartient à tous, autant dire à personne.

Seulement, de même que, dans l’esquive de la mort, celle-ci suit pas à pas celui qui la fuit, de sorte qu’il est justement obligé de la voir tandis qu’il s’en détourne, de même aussi la suite simplement cursive, anodine, infinie des maintenant fait planer une remarquable énigme « sur » le Dasein. Car pourquoi disons-nous : le temps passe, et non pas tout aussi nettement : il naît ? Par rapport à la pure suite des maintenant, il est tout de même possible de dire l’un et l’autre avec le même droit ! En fait, en parlant du temps qui passe, le Dasein comprend finalement davantage le temps qu’il ne pourrait le croire, ce qui veut dire que la temporalité où se temporalise le temps du monde, malgré tout son recouvrement, n’est pas totalement refermée. Car l’expression « le temps passe », porte à l’expression l’« expérience » suivante : le temps ne peut être retenu. Or cette « expérience », à son tour, n’est possible que sur la base d’une volonté de tenir le temps, laquelle inclut un s’attendre inauthentique des « instants », qui déjà aussi oublie ceux qui glissent. Le s’attendre présentifiant-oublieux de l’existence inauthentique est la condition de possibilité de l’expérience vulgaire d’un passage du temps. C’est parce que le Dasein, dans son être en-avant-de-soi, est avenant, qu’il doit, en s’attendant, comprendre la suite des maintenant comme passant en glissant. Le Dasein connaît le temps qui fuit à partir du savoir « fuyant » de sa mort. Dans l’expression accentuée : le temps passe, est contenu le reflet public de l’avenance finie de la temporalité du Dasein. Et c’est parce que la mort, même dans l’expression : le temps passe, peut demeurer recouverte, que le temps se montre comme un passage « en soi ».

Et pourtant, à travers tous ces nivellements et recouvrements, le temps originaire ne [426] laisse pas de se manifester même dans cette pure suite de maintenant qui passent. L’explicitation vulgaire détermine le flux temporel comme un l’un-après-l’autre irréversible. Or pourquoi le temps ne se laisse-t-il pas renverser ? En soi - et surtout si l’on prend exclusivement en vue le flux des maintenant -, il est exclu d’apercevoir pourquoi la séquence des maintenant ne doit pas se re-dérouler en sens inverse. L’impossibilité du renversement a son fondement dans la provenance du temps public à partir de la temporalité, dont la temporalisation, primairement avenante, « va » ekstatiquement vers sa fin, et cela de telle sorte qu’elle est « déjà » à la fin.

La caractérisation vulgaire du temps comme suite sans-fin, passagère, irréversible de maintenant jaillit de la temporalité du Dasein échéant. La représentation vulgaire du temps a son droit naturel. Elle appartient au mode d’être quotidien du Dasein et à la compréhension de l’être de prime abord régnante. C’est pourquoi aussi l’histoire, de prime abord et le plus souvent, est publiquement comprise comme devenir intratemporel. Cette explicitation du temps ne perd son droit exclusif et éminent qu’à partir du moment où elle prétend pouvoir procurer le « vrai » concept du temps et pré-dessiner à l’interprétation du temps son seul horizon possible. Comme nous l’avons en effet établi : c’est seulement à partir de la temporalité du Dasein et de sa temporalisation qu’il devient compréhensible pourquoi et comment le temps du monde lui appartient. Seule l’interprétation de la pleine structure du temps du monde puisée dans la temporalité fournit le fil conducteur permettant en général d’« apercevoir » le recouvrement contenu dans le concept vulgaire du temps et d’apprécier le nivellement de la constitution ekstatico-horizontale de la temporalité. Mais en même temps, l’orientation sur la temporalité du Dasein apporte la possibilité de mettre en lumière la provenance et la nécessité factice de ce recouvrement nivelant et d’examiner en sa légitimité la thèse vulgaire sur le temps.

En revanche, la temporalité demeure inversement inaccessible dans l’horizon de la compréhension vulgaire du temps. Mais comme le temps-du-maintenant doit non seulement être orienté, selon l’ordre de l’explicitation possible, sur la temporalité, mais se temporalise lui-même le premier dans la temporalité inauthentique du Dasein, il demeure légitime, eu égard à la provenance du temps du maintenant à partir de la temporalité, d’invoquer celle-ci comme le temps originaire.

La temporalité ekstatico-horizontale se temporalise primairement à partir de l’avenir.

La compréhension vulgaire du temps, au contraire, voit le phénomène fondamental du temps [427] dans le maintenant, plus précisément dans le maintenant pur, amputé de sa structure pleine, que l’on nomme « présent ». D’où il appert qu’il doit rester fondamentalement impossible d’éclaircir ou même de déduire de ce maintenant-là le phénomène ekstatico-horizontal de l’instant qui appartient à la temporalité authentique. De manière correspondante, l’avenir compris ekstatiquement, le « alors » (futur) datable, significatif et le concept vulgaire de l’« avenir » - au sens du maintenant pur qui n’est pas encore arrivé et arrive seulement - ne coïncident nullement, et pas davantage l’être-été ekstatique, le « alors » (passé) datable, significatif et le concept du passé au sens du pur maintenant qui a passé. Bien loin que le maintenant soit gros du pas-encore-maintenant, le présent jaillit de l’avenir dans l’unité ekstatique originaire de la temporalisation de la temporalité [6].

Bien que l’expérience vulgaire du temps ne connaisse de prime abord et le plus souvent que le « temps du monde », elle ne lui en attribue pas moins en même temps et toujours un rapport privilégié à l’« âme » et à l’« esprit ». Et cela n’est pas moins vrai lorsque le questionnement philosophique se tient encore éloigné de toute orientation expresse et primaire sur le « sujet ». Deux témoignages caractéristiques suffiront à le montrer : Aristote   dit : ei de meden allo pephuken arthmein e psyche kai psyches nous, adunaton einai chronon psyches me ouses [7]. Et Augustin   écrit : « Inde mihi visum est, nihil esse aliud tempus quam distensionem ; sed cujus rei nescio ; et mirum si non ipsius animi » [8]. La fondation [428] hegélienne de la connexion entre temps et esprit est spécialement appropriée pour préciser indirectement, par voie de confrontation, l’interprétation du Dasein comme temporalité et la mise en lumière de l’origine du temps du monde qui viennent d’être accomplies.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1Cf. Phys. 11, 219 b 1 sq.

[2Cf. supra, §6, p. [19-27].

[3Cf. supra, §21, surtout p. [100] sq.

[4Cf. Timée, 37 d. (NT: A. Rivaud traduit ainsi : « C’est pourquoi son auteur (du monde) s’est préoccupé de fabriquer une certaine imitation mobile de l’éternité, et, tout en organisant le ciel, il a fait, de l’éternité immobile et une, cette image éternelle qui progresse suivant la loi des nombres, cette chose que nous appelons le temps ».)

[5Cf. supra, §41, pp. [191] sq.

[6Que le concept traditionnel de l’éternité, prise au sens du « maintenant fixe » (nunc stans), soit puisé dans la compréhension vulgaire du temps et dans une orientation sur l’idée de l’être-sous-la-main « constant », il n’est même pas besoin de l’élucider en détail. Si l’éternité de Dieu devait se laisser « construire » philosophiquement, elle ne pourrait être comprise que comme une temporalité plus originaire et « infinie ». La via negationis et eminentiae peut-elle constituer un chemin dans cette direction ? Laissons la question ouverte.

[7Physique, ?, 14, 223 a 25-26 ; cf. ibid., 11, 218 b 29-219 a 1, 219 a 4-6.

[8Confessiones, XI, XXVI, 33, (NT: p. 287, Skutella : « Par suite, il m’est apparu que le temps n’est pas autre chose qu’une distention, mais de quoi ? Je ne sais, et il serait surprenant que ce ne fût pas de l’esprit lui-même. »)] Ainsi donc même l’interprétation du Dasein comme temporalité n’est pas fondamentalement extérieure à l’horizon du concept vulgaire du temps. Et Hegel a déjà fait la tentative expresse de dégager la connexion entre le temps vulgaire compris et l’esprit, tandis que chez Kant le temps est certes « subjectif », mais se tient sans lien « à côté », du « Je pense » [[Dans quelle mesure, chez Kant, émerge pourtant par ailleurs une compréhension plus radicale du temps que chez Hegel, c’est ce que montrera la section 1 de la deuxième partie du présent essai. (NT: Cf. le plan général indiqué supra, p. [40].)