destaque
O que, segundo Heidegger, está na origem de todos os sentimentos é um estado afetivo que coloca o homem perante o seu Da [SZ , pp. 134, 139, 141, 181], perante a nudez da sua condição original. Este sentimento é verdadeiramente o da nossa situação fundamental, embora esta situação possa permanecer oculta [SZ , pp. 134, 340], possa não ser percepcionada e, em todo o caso, permaneça impenetrável ao conhecimento teórico. O sentimento da situação originária exprime afetivamente — e não cognitivamente — a minha condição fundamental. Esta condição faz de mim um Dasein na medida em que sou exatamente o "ponto" onde o mundo se cruza, se envolve, se revela e se ilumina, eu e todos os outros. O ser-no-mundo é identicamente a conexão e a concretização desses vários elementos; o sentimento expressivo dessa situação é o que Heidegger chama de Befindlichkeit (literalmente: o sentimento abrupto de encontrar-se-aí). O sentimento da situação originária não deriva de nada, pois é a repercussão ou, mais precisamente, a afirmação na ordem da afetividade, de uma situação para além da qual não há nada. É verdade, por outro lado, que todos os estados afectivos que assaltam o Dasein ao longo da sua existência têm a sua fonte, próxima ou distante, aparente ou oculta, no sentimento primário que exprime a minha situação originária.
original
Qu’est-ce qui fait que je puis être là? Si ce problème est convenablement résolu, il n’y a aucun doute que nous comprendrons le monde, l’espace, les objets du monde et notre individualité. Car c’est en réalité tout cela qui concourt à faire de moi un existant qui est là, qui se manifeste comme doué d’eccéité. Ce problème est plus général encore que le mystère de l’existence incarnée dont parle Gabriel Marcel [1]. Car notre corps n’est que la conséquence tangible d’une situation plus profonde qu’il n’épuise pas entièrement. C’est une des raisons — lesquelles ne sont pas toutes excellentes — qui retient Heidegger de considérer le problème du corps comme tout à fait fondamental.
Nous allons donc étudier la manière dont est constituée l’eccéité de notre existence, le Da du Dasein.
Nous retrouvons ici à nouveau diverses composantes qu’il faut d’abord examiner une à une.
Tout Dasein a, de quelque manière, un sentiment de sa « situation originelle ». Tout Dasein a, de quelque manière, le sens de la Befindlichkeit. Expliquons cette première et énigmatique affirmation.
C’est un fait que le Dasein éprouve à tout moment de son existence un certain état affectif [SZ , p. 134]. Il n’est pas d’instant où nous ne soyons la proie de quelque Stimmung, fût-ce celle d’une parfaite indifférence. Ces états sont infiniment et instantanément modifiables. Leur mutabilité, la promptitude de leur apparition et de leur disparition, leur souplesse à marquer typiquement chacun des événements possible de notre vie, prouvent à quel point le Dasein est naturellement et inévitablement affecté [SZ , p. 134]. Certes, le plus souvent nous n’arrivons pas à démêler le pourquoi de tel sentiment brusquement ressenti [SZ . p. 134]. Moins encore pouvons-nous deviner où ce sentiment nous conduira et d’où il vient [2]. Cette ignorance montre seulement à [81] quel point la capacité explicative de la connaissance est inférieure à la capacité révélatrice du sentiment [SZ , p. 134]. Nous sommes affectés par (durchstimmt) et sensibles à des « réalités » qui ne parviennent même pas à franchir le seuil de la conscience « connaissante ». Le sentiment nous mène tout naturellement à des profondeurs insondables pour la pensée. Tous les états d’âme intenses sont à même de nous révéler la totalité de l’être dans lequel nous sommes et qui nous « sensibilise » sans que nous en ayons une conscience explicite [GA9 :WM, p. 5].
Ce qui, selon Heidegger, est à la source de tous les sentiments est un état affectif qui place l’homme devant son Da [SZ , pp. 134, 139, 141, 181], devant la nudité de sa condition originelle. Ce sentiment est véritablement celui de notre situation fondamentale, bien que cette situation puisse rester cachée [SZ , pp. 134, 340], ne pas être perçue, et qu’elle demeure en tout cas impénétrable à la connaissance théorique. Le sentiment de la situation originelle exprime affectivement — et non cognitivement — ma condition fondamentale. Cette condition fait de moi un Dasein en tant que je suis exactement le « point » où s’entre-croisent, s’impliquent, se révèlent et s’éclairent le monde, moi-même et tous les autres [3]. L’être-dans-le-monde est identiquement la liaison et la concrétion de [82] ces divers éléments; le sentiment expressif de cette situation est ce que Heidegger nomme la Befindlichkeit (littéralement : le sentiment abrupt de se-trouver-là) [4]. Il ne faut donc pas essayer de « raccrocher » cet état affectif à quelque état plus profond dont il dériverait; le sentiment de la situation originelle ne dérive de rien puisqu’il est la répercussion ou, plus exactement, l’affirmation dans l’ordre de l’affectivité, d’une situation au-delà de laquelle il n’y a rien [5]. Il est vrai, par contre, que tous les états affectifs qui assaillent le Dasein tout au long de son existence ont leur source, proche ou lointaine, apparente ou cachée, dans le sentiment premier qui exprime ma situation originelle.
Ce sentiment me fait sentir ma précarité, ma contingence, mon instabilité. Il cherche à me révéler que mon existence n’a pas d’acquit, mais est toujours mise en jeu; qu’elle est à faire et que j’en réponds, qu’il faut l’assumer et la prendre en charge [SZ , pp. 134, 276.]. C’est ce que n’importe quel état affectif tend à me signifier, en même temps qu’il m’avertit où j’en suis touchant cette prise en charge.
Cependant, ces révélations ne parviennent que rarement à être saisies et reconnues. La plupart de mes émotions concrètes sont déformées, éludées, détournées de leur sens réel. Nous dirons bientôt pourquoi et comment. Parfois, néanmoins, il arrive qu’en dépit de tout, elles trahissent leur origine et livrent soudain leur message, sans que rien ait laissé prévoir cette révélation [6]. La résistance acharnée que la quiétude journalière leur oppose rend pareilles irruptions fort rares. Normalement, le sens de nos états affectifs est refoulé et travesti; aussi ne faut-il pas s’étonner que le sentiment fondamental, qui a pour mission de nous mettre en face de nous-mêmes, ne puisse aboutir le plus souvent qu’à renforcer le déguisement dont [83] s’affuble l’existence journalière [SZ , pp. 276, 340]. C’est pourquoi encore, les sentiments particuliers qui nous animent d’ordinaire peuvent être aussi bien la répulsion (Abkehr) vis-à-vis de l’existence, l’impression qu’elle est un fardeau insupportable, que le désir de l’assumer pleinement (Ankehr ou Inkehr) [SZ , pp. 135, 340]. Ce sera même plus fréquemment celle-là que celui-ci [SZ , p. 138].
Cet Abkehr est alors le premier pas d’un éloignement croissant vis-à-vis de moi-même qui finira par me déraciner entièrement. Il me contraindra à ne pas être moi-même, à rejeter l’existence authentique pour accepter la déchéance de l’asservissement au Man [SZ , p. 139]. Plus ordinairement encore, le sentiment est si bien malaxé par les secrètes résistances du Dasein journalier, qu’il ne se présente même plus comme un éloignement, une répulsion ou un refus, mais qu’il devient une Verstimmung [SZ , p. 136], c’est-à-dire un aveuglement sur soi-même tel que l’affectivité n’est plus ressentie relativement à soi mais reportée sur les objets de préoccupation. On est content d’avoir de l’argent, on est malheureux d’en manquer, mais le bonheur et le chagrin ne sont plus éprouvés à la mesure de l’existence; ils sont privés de toute résonnance sur le sujet en tant qu’existant, et n’expriment que les vicissitudes de ses objets ou, plus exactement encore, les complicités ou les résistances que ces objets paraissent manifester à l’égard de sa préoccupation.