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Fédier (2012:22-25) – Da-sein

quarta-feira 20 de dezembro de 2023, por Cardoso de Castro

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— Ser-o-aí é dar uma presença?

— Não, não é dar uma presença, é abrir o aí: manter aberta a possibilidade, a dimensão de manifestação de tudo o que é. Ser-o-aí, das Da-sein  , significa desdobrar a dimensão dentro da qual tudo pode aparecer como ente [sendo]. Fazemo-lo a toda a hora, basta abrir os olhos. "A porta está fechada" é uma manifestação simples. O que é espantoso é que nenhum outro ente, para além do homem, pode fazer tal coisa. O ser humano é, portanto, humano se for diferente de todos os outros entes [Carta sobre o humanismo: "Manter-se na clareira do ser é o que chamo a ek-sistência do homem. Este modo de ser é próprio [eignet] apenas ao homem" (tradução de R. Munier, modificada)]. O macaco pode reconhecer um ente, mas não pode identificar este ente como ente. Em outras palavras, o macaco não fala. Falar e ser-o-aí são, de fato, duas faces do mesmo fenômeno: falar é ser-o-aí. Ser-o-aí não se esgota na fala, mas tudo o que é humano se passa numa atmosfera de fala. Quando caminhamos por uma floresta, estamos constantemente a dizer coisas como "há mais luz", ou "as árvores vão ter folhas em breve". É por isso que os diálogos de Platão   são sempre sobre estas coisas. Sócrates   gosta de confundir os seus interlocutores: sou menor que tu e maior que o outro, logo sou simultaneamente maior e menor (Platão, Fédon, 100e-101 b, [24] República, VII, 524c). Os gregos tinham uma predileção por este tipo de afirmação: bates numa cadela que é mãe, e a cadela é tua, logo bates na tua mãe (Ionesco escreve em Rhinoceros: "Todos os gatos são mortais, e Sócrates é mortal, logo Sócrates é um gato"). Platão e Aristóteles   também colocam ordem na argumentação. É a reflexão sobre o que nos é mais próximo: a língua. A reflexão sobre a língua linguagem é uma reflexão sobre a humanidade.

original

Où on peut lire : « Da-sein   est un mot clef de ma pensée. » Depuis Être et Temps, le premier livre publié par Heidegger, Dasein est en effet un mot absolument central. Das Dasein, en allemand courant, c’est l’existence. Mais si on accentue le Da, explique Heidegger dans cette même lettre, c’est : « si je puis m’exprimer dans un français sans doute impossible : être-le-là ». Il s’agit donc d’un verbe d’état devenu transitif: «être le là». Je suis… quelque chose. Et non pas une chose. Le là n’est pas une chose, c’est un lieu. Mais pas au sens d’espace. C’est la possibilité où tout peut avoir lieu. « Je mange» est un verbe d’état et «je mange une pomme» est un verbe transitif. Or le verbe être est ici transitif et actif : si vous n’êtes pas le là, il n’y a pas de là. Si je vous assomme, vous ne pouvez plus être-le-là. Assommé, êtes-vous encore en mesure de savoir ce qui se passe ? Non, vous êtes hors circuit, vous n’y êtes plus, ne pouvez plus être-le-là. Attention : ce n’est pas être conscient. C’est être-le-là qui permet de comprendre être-conscient et non l’inverse. Être-le-là ne s’épuise pas dans être-conscient, mais au contraire permet [23] par exemple d’intégrer l’inconscient : l’inconscient est une modalité d’être-le-là. Déjà Descartes   comprend sentio comme une pensée, donc c’est plus large [1] Dans le sommeil on est encore au monde d’une manière particulière. Héraclite   dit que lorsqu’on rêve, on est ιδιώτῆς, singulier dans un monde particulier ; éveillé, on est avec les autres dans un monde commun (Diels-Kranz 89). Mais quand je rêve, je ne suis pas dans mon petit monde. Si je rêve par exemple de mon ami X, il y a bien mon ami X : je rêve de lui en tant qu’ami X et non en tant qu’ami onirique (mais on peut aussi rêver en étant conscient de rêver).

— Être-le-là, est-ce donner une présence?

— Non, ce n’est pas donner une présence, c’est ouvrir le là : tenir ouverte la possibilité, la dimension de manifestation de tout ce qui est. Être-le-là, das Dasein, signifie déployer la dimension au sein de laquelle quoi que ce soit peut apparaître comme étant. Nous n’arrêtons pas de le faire, il suffit d’ouvrir les yeux. « La porte est fermée » est une manifestation simplissime. La chose étonnante est qu’aucun autre étant que l’homme ne peut faire une chose pareille. L’être humain est donc humain s’il est d’une manière différente de tous les autres étants [2]. Le singe peut reconnaître un étant mais il ne peut pas identifier cet étant comme étant. En d’autres termes, le singe ne parle pas. Parler et être-le-là sont en effet les deux faces d’un même phénomène : parler c’est être le là. Être-le-là ne s’épuise pas en parlant, mais tout ce qui est humain se fait dans une atmosphère de parole. Quand vous passez dans une forêt, vous êtes sans arrêt en train de dire des choses comme « il y a plus de lumière », ou « les arbres vont bientôt avoir des feuilles ». C’est pourquoi dans les dialogues de Platon, il est sans arrêt question de ces choses. Socrate adore embrouiller ses interlocuteurs : je suis plus petit que toi et plus grand que l’autre, donc je suis à la fois plus grand et plus petit (Platon, Phédon, 100e-101 b, [24] République, VII, 524c). Les Grecs ont une prédilection pour ce genre de propos : tu bats une chienne qui est mère, or cette chienne est à toi, donc tu bats ta mère (Ionesco écrit dans Rhinocéros: «Tous les chats sont mortels, or Socrate est mortel, donc Socrate est un chat »). Aussi Platon et Aristote mettent-ils de l’ordre dans l’argumentation. C’est la réflexion sur ce qui nous est le plus proche : la langue. La réflexion sur la langue est une réflexion sur l’humanité.

Mais la réflexivité n’est pas une fermeture : c’est un retour sur soi, c’est-à-dire un retour sur ce à partir de quoi apparaissent les choses en tant qu’elles sont. C’est un retour sur le là! Dans les années 1915-1920, Heidegger comprend en lisant Husserl   qu’il y a chez celui-ci une incroyable mise en avant des actes théorétiques par rapport à tout le reste. Or n’importe quel être humain, même celui qui cultive son champ, est le là – et cultiver son champ ce n’est pas une activité théorétique. Dans Être et Temps l’être humain « a à être» [p. 134 : er hat zu sein]. Cela impose l’exigence perpétuelle de la liberté. Ce n’est pas ce que nous nommons habituellement une éthique, mais ce que Heidegger appelle l’« éthique originale ». La dimension du là est constamment menacée de se refermer, et être le là c’est, sans arrêt, faire l’effort de tenir ouverte cette dimension. Dans existentia   le verbe sto, stare désigne un procès qui n’est pas achevé – quand c’est achevé, le latin dit sisto («la marche est une chute différée », dit Alain : marcher, c’est à la fois être debout et tomber) : un chêne, un chat, une étoile n’ont pas à apprendre à être, mais l’être humain ne l’est que s’il l’apprend. Pourquoi cela se referme-t-il ? C’est ce qui arrive exemplairement avec la pensée de la mort. Dans l’existence humaine, la mort ne cesse d’échapper. « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement », écrit La Rochefoucauld (maxime n° 26). Regardez, par exemple, comment cette maxime vous invite à la lecture : le soleil et la mort. l’a-t-il quoi que ce soit de plus éloigné l’un de l’autre? Et pourtant, tous deux «ne se peuvent regarder fixement». Pour être véritablement face à cette maxime, ne faut-il pas arriver à penser que le regard vers la mort est aussi fragile que notre rétine? Aussi sensible, autrement dit: tout aussi fragile qu’une rétine que brûlent les rayons du [25] soleil. Apollon, le dieu solaire, les Grecs le pensaient comme étant aussi un Dieu tueur.

— Que manque-t-il aux dieux pour être le là ?

— La mort ! Ils sont im-mortels. Ils ne peuvent pas mourir. Ils voudraient qu’ils ne pourraient pas. Il leur manque la possibilité du rapport à la mort. C’est pourquoi Hölderlin   dit que les dieux, en tant qu’immortels, ont besoin des êtres humains [3].


Ver online : François Fédier


FÉDIER, François. L’humanisme en question: Pour aborder la lecture de la “Lettre sur l’humanisme” de Martin Heidegger. Paris: Les Éditions du Cerf, 2012


[1Voir Descartes, Méditations, II, éd. Adam et Tannery, Paris, Vrin-CNRS, 1896-1909, vol. 7, p. 28,1. 20.

[2Voir Lettre sur l’humanisme, p. 56 : « Se tenir dans l’éclaircie de l’être, c’est ce que j’appelle l’ek-sistence de l’homme. Cette manière d’être est propre [eignet] à l’homme seul» (trad. R. Munier modifiée).

[3Voir Hölderlin, Le Rhin, 8e strophe: «Ils en ont pourtant, de leur propre / Immortalité, les Dieux, assez, et ils ont besoin / Les Célestes d’une chose, / Une seule : ce sont les héros et les hommes / Et les mortels par ailleurs. En effet comme / Les Bienheureux ne ressentent rien d’eux-mêmes, / Il est bien nécessaire, s’il est permis de dire / Une telle chose, qu’au nom des dieux, / Prenant part, ressente un autre, / Celui-là, il le leur faut » (dans Douze Poèmes, trad. Fr. Fédier, Paris, La Différence, 1989, p. 75.)