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Derrida (Monolinguismo) – O monolinguismo mora em mim e moro nele

sábado 11 de maio de 2024, por Cardoso de Castro

destaque

— Imagine alguém que cultivasse o francês.

Isto que se chama francês.

E que o francês cultivaria.

E que, sendo um cidadão francês, seria, portanto, um sujeito, como dizemos, da cultura francesa.

E um dia esse sujeito da cultura francesa viria até você e diria, por exemplo, em bom francês:

"Só tenho uma língua, não é a minha".

E de novo, ou ainda:

"Sou monolíngue. Meu monolinguismo reside, e eu o chamo de meu lar, e o sinto como tal, fico nele e moro nele. Ele mora em mim. O monolinguismo, no qual até respiro, mesmo, é para mim o elemento. Não um elemento natural, não a transparência do éter, mas um meio absoluto. Insuperável, incontestável: não posso recusá-lo senão atestando sua onipresença em mim. Ele sempre me precedeu. É eu. Para mim, este monolinguismo sou eu. Isto não significa, especialmente, não pense, que eu seja uma figura alegórica desse animal ou dessa verdade, o monolinguismo. Mas eu não seria eu mesmo sem ele. Ele me constitui, ele me dita a própria ipseidade de tudo, ele me prescreve, também, uma solidão monacal, como se votos tivessem me atado antes mesmo de eu aprender a falar. Este solipsismo inesgotável é eu antes de mim. Para sempre.

Mas essa língua, a única que estou condenado a falar, nunca será minha, enquanto eu for capaz de falá-la, para a vida ou para a morte, essa única língua, veja bem, nunca será minha. Na verdade, ela nunca foi.

Assim, você vê a origem do meu sofrimento, já que essa língua o atravessa, e o lugar de minhas paixões, meus desejos, minhas orações, a vocação de minhas esperanças. Mas estou enganado, estou enganado ao falar sobre travessia e lugar. Pois é à beira do francês, sozinho, nem dentro nem fora dele, na linha indetectável de sua costa que, desde tempos imemoriais, sempre me perguntei se é possível amar, desfrutar, rezar, morrer de dor ou morrer em outro idioma ou sem contar a ninguém, sem sequer falar.

original

— Imagine-le, figure-toi quelqu’un qui cultiverait le français.

Ce qui s’appelle le français.

Et que le français cultiverait.

Et qui, citoyen français de surcroît, serait donc un sujet, comme on dit, de culture française.

Or un jour ce sujet de culture française viendrait te dire, par exemple, en bon français:

« Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne. »

Et encore, ou encore:

« Je suis monolingue. Mon monolinguisme demeure, et je l’appelle ma demeure, et je le ressens comme tel, j’y reste et je l’habite. Il m’habite. Le monolinguisme dans lequel je respire, même, c’est pour moi l’élément. Non pas un élément naturel, non pas la transparence de l’éther mais un milieu   absolu. Indépassable, incontestable: je ne peux le récuser qu’en attestant son omniprésence en moi. Il m’aura de tout temps précédé. C’est moi. Ce monolinguisme, pour moi, c’est moi. Cela ne veut pas dire, surtout pas, ne va pas le croire, que je sois une figure allégorique de cet animal ou de cette vérité, le monolinguisme. Mais hors de lui je ne serais pas moi-même. Il me constitue, il me dicte jusqu’à l’ipséité de tout, il me prescrit, aussi, une solitude monacale, comme si des vœux m’avaient lié avant même que j’apprenne à parler. Ce solipsisme intarissable, c’est moi avant moi. À demeure.

Or jamais cette langue, la seule que je sois ainsi voué à parler, tant que parler me sera possible, à la vie à la mort, cette seule langue, vois-tu, jamais ce ne sera la mienne. Jamais elle ne le fut en vérité.

Tu perçois du coup l’origine de mes souffrances, puisque cette langue les traverse de part en part, et le lieu de mes passions, de mes désirs, de mes prières, la vocation de mes espérances. Mais j’ai tort, j’ai tort à parler de traversée et de lieu. Car c’est au bord du français, uniquement, ni en lui ni hors de lui, sur la ligne introuvable de sa côte que, depuis toujours, à demeure, je me demande si on peut aimer, jouir, prier, crever de douleur ou crever tout court dans une autre langue ou sans rien en dire à personne, sans parler même.

Mais avant tout et de surcroît, voici le double tranchant d’une lame aiguë que je voulais te confier presque sans mot dire, je souffre et je jouis de ceci que je te dis dans notre langue dite commune:

« Oui, je n’ai qu’une langue, or ce n’est pas la mienne. »

— Tu dis l’impossible. Ton discours ne tient pas debout. Il restera toujours incohérent, « inconsistent », dirait-on en anglais. Apparemment inconsistant, en tout cas, gratuit dans son éloquence phénoménale, puisque sa rhétorique fait l’impossible avec le sens. Ta phrase n’a pas de sens, elle n’a pas le sens commun, tu peux la voir s’emporter elle-même. Comment pourrait-on avoir une langue qui ne soit pas la sienne ? et surtout si on prétend, tu y insistes, n’en avoir qu’une, une seule, toute seule ? Tu avances une sorte d’attestation solennelle qui se tire bêtement par les cheveux dans une contradiction logique. Pire, diagnostiquerait peut-être le savant devant un cas si grave, et qui se donne lui-même pour incurable, ta phrase s’extirpe d’elle-même dans une contradiction logique augmentée d’une contradiction pragmatique ou performative. C’est désespéré. Le geste performatif de l’enonciation viendrait en effet prouver, en acte, le contraire de ce que prétend déclarer le témoignage, à savoir une certaine vérité. « Jamais elle ne le fut [mienne] en vérité », osais-tu dire. Celui qui parle, le sujet de l’énonciation, toi, mais oui, le sujet de langue française, on l’entend faire le contraire de ce qu’il dit. C’est comme si tu mentais en avouant, dans un même souffle, le mensonge. Un mensonge dès lors incroyable qui ruine le crédit de ta rhétorique. Le mensonge se dément par le fait de ce qu’il fait, par l’acte de langage. Il prouve ainsi, pratiquement, le contraire de ce que ton discours prétend affirmer, prouver, donner à vérifier. On n’en finirait pas de dénoncer ton absurdité.

—Ah bon, mais alors pourquoi n’en finirait-on pas ? Pourquoi est-ce que cela dure ? Toi-même, tu sembles ne pas arriver à te convaincre, et tu multiplies ton objection, toujours la même, tu t’épuises dans la redondance.

— Dès que tu dirais en français qu’elle, la langue française — celle que tu parles ainsi, ici même, et qui rend nos propos intelligibles, à peu près (à qui parlons-nous, d’ailleurs, pour qui ? et nous traduira-t-on jamais ?) — eh bien, elle n’est pas ta langue, alors que tu n’en as pas d’autre, tu ne te trouveras pas seulement pris dans cette « contradiction performative » de l’énonciation, tu aggraveras l’absurdité logique, en vérité le mensonge, voire le parjure, à l’intérieur de l’énoncé. Comment pourrait-on n’avoir qu’une langue sans en avoir, sans en avoir qui soit la sienne ? la sienne propre ? Et comment le savoir, comment prétendre en avoir connaissance ? Comment le dire ? Pourquoi vouloir faire partager cette connaissance, dès lors qu’on allègue également, et dans le même élan du même idiome, ne connaître ou ne pratiquer aucune autre langue ?


Ver online : Jacques Derrida


DERRIDA, Jacques. Le monolinguisme de l’autre. Paris: Galilée, 1996