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Ricoeur (Jarczyk) – Sobre "Eu mesmo como um outro"

domingo 12 de maio de 2024, por Cardoso de Castro

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Gwendoline JARCZYK. — Seu último livro, com o sugestivo título Soi-même comme un autre (Eu mesmo como um outro), é uma importante contribuição para sua pesquisa ao longo da vida. Como você encontra o "sujeito"?

Paul RICŒUR. — Eu o encontro sob um título que foi deliberadamente escolhido: distinto do "eu". Nas discussões filosóficas, a filosofia do sujeito é geralmente elogiada ou atacada. Como se ela fosse necessariamente uma "egologia", uma teoria do "eu". Portanto, escolhi um termo menos afetado por essas discussões e talvez mais disponível por esse motivo: "Si". Ele tem duas peculiaridades gramaticais — e vou começar por aí: em primeiro lugar, ’Si’ não aparece na lista de pronomes pessoais; não é ’eu’, nem ’tu’, nem ’ele’, nem ’ela’, mas o reflexo de todos esses pronomes pessoais. Esse reflexivo — e essa é minha segunda observação sobre gramática — é especialmente perceptível em conjunto com infinitivos. Em outras palavras, como Guillaume observou anteriormente, o infinitivo expressa o verbo "em potencial", antes de ser empregado nos tempos verbais. De fato, quando dizemos "conhecer-se", "compreender-se", "valorizar-se", o "se" é o reflexivo do verbo que pode ser distribuído em todas as pessoas. Portanto, é esse caráter do reflexivo que pode ser distribuído a todos os pronomes pessoais, incluindo pronomes "não pessoais" como [no francês] "on" e "chacun", que chamou minha atenção. Veja a fórmula do direito "a cada um o que lhe é devido"… Assim, o ’se’ me pareceu um termo extremamente forte que talvez tenha escapado das discussões filosóficas centradas na primazia da primeira pessoa. Como o ’se’ pode ser o reflexivo da terceira pessoa, entendo perfeitamente as seguintes frases: "ele se lembrou", "ela se disse". Para deixar a gramática de lado e passar para a discussão filosófica, o que me chamou a atenção nesse termo ’si’ e ’si mesmo’ (em que o ’mesmo’ reforça o ’si’) é que ele é sempre indireto; se, por exemplo, eu disser ’o cuidado de si’ [’le souci de soi’] — um dos últimos grandes títulos de Michel Foucault   —, veremos que ’si’ é o reflexivo e o complemento de um infinitivo implícito: se preocupar [se soucier]. Isso está de acordo com minha hermenêutica, segundo a qual não há autoconhecimento imediato, mas nos conhecemos por meio, como já disse muitas vezes, de sinais, obras e textos que entendemos e amamos. Portanto, é uma questão desse caráter indireto da obtenção do "eu": por meio da ação — eu me conheço como o agente da minha ação —, por meio das minhas histórias — eu me conheço como o narrador ou como o personagem das histórias que conto sobre mim mesmo, que os outros contam sobre mim —, e também sou o objeto ou o termo de apreciações morais, em estima, em respeito. Quando digo, por exemplo, "autoestima", não estou dizendo "estima de mim mesmo", mas estou pensando na estima do "eu" em qualquer outra pessoa; e quando falo de autorrespeito, estou me referindo, em primeiro lugar, aos outros, mas também a mim mesmo. Portanto, o "tu" e o "eu" também estão de alguma forma envolvidos nesse "Eu" refletido.

original

Gwendoline JARCZYK. — Votre dernier ouvrage, au titre évocateur de Soi-même comme un autre, apporte une contribution importante à votre recherche de toujours. Comment y rencontrez-vous le « sujet » ?

Paul RICŒUR. —Je le rencontre sous un titre qui a été choisi à dessein : distinct du «Moi». Dans les discussions philosophiques, il est généralement fait l’apologie ou l’attaque de la philosophie   du sujet. Comme si, nécessairement, elle était une «égologie», une théorie du «Moi». J’ai donc choisi un terme moins marqué par ces querelles, et peut-être plus disponible pour cette raison : «Soi». Il comporte deux particularités grammaticales — je commence par là : tout d’abord, «Soi» ne figure pas dans la liste des pronoms personnels; ce n’est ni «Je», ni «tu», ni «il», ni «elle», mais bien le réfléchi de tous ces pronoms personnels. Ce réfléchi — c’est là ma deuxième observation au niveau de la grammaire — se remarque surtout en liaison avec les infinitifs. C’est-à-dire, ainsi que Guillaume l’avait noté autrefois, l’infinitif exprime le verbe « en puissance », avant qu’il soit déployé dans les temps verbaux. En effet, quand nous disons « se connaître », « se comprendre», «s’estimer soi-même», le «se» est le réfléchi du verbe qui pourra être distribué sur toutes les personnes. C’est donc ce caractère de réfléchi distribuable sur tous les pronoms personnels, y compris sur les pronoms «non-personnels», comme «on» et «chacun», qui m’a retenu. Prenez la formule du droit «à chacun “son” dû»… Le «se» m’a semblé être ainsi un terme extrêmement fort qui avait peut-être échappé à des querelles philosophiques centrées sur le primat de la première personne. Puisque le « se » peut être le réfléchi de la troisième personne, je comprends parfaitement les phrases suivantes : «Il “se” souvenait», «elle “se” disait à elle-même ». Pour sortir de la grammaire et en arriver à la discussion philosophique, ce qui m’a paru remarquable dans ce terme « soi » et « soi-même » (où le «même» renforce le «soi»), c’est qu’il est toujours indirect; si, par exemple, je dis « le souci de soi » — l’un des derniers beaux titres de Michel Foucault — on voit que le « Soi » est le réfléchi et le complément d’un infinitif sous-entendu : se soucier. Voilà qui est dans la ligne de mon herméneutique, selon laquelle il n’y a pas de connaissance de soi immédiate, mais on se connaît à travers, comme je l’ai dit bien des fois, des signes, des œuvres, des textes que l’on a compris et aimés. Il s’agit donc de ce caractère indirect de l’atteinte de « soi » : à travers l’action — je me connais comme l’agent de mon action —, à travers mes récits — je me connais soit comme le narrateur soit comme le personnage des récits que je fais sur moi-même, que les autres font sur moi-même —, et je suis aussi l’objet ou le terme des appréciations morales, dans l’estime, dans le respect. Quand je dis, par exemple, « estime de soi », je ne dis pas « estime de moi », mais je pense à l’estime du « Soi » en quiconque ; et quand je parle du respect de soi, je vise d’abord autrui, mais également moi-même. Et donc le « toi » et le « moi » aussi sont en quelque sorte enveloppés dans ce «Soi» réfléchi.

Je reviens à votre question. J’ai évité précisément le vocabulaire du sujet, parce qu’il a été marqué historiquement par la première personne, le « ego cogito  » de Descartes  , le «Ich   denke» de Kant  , puis le «Je» tout-puissant, en tous cas tout-constituant, de Husserl  . C’est donc pour m’éloigner de cette tradition   idéaliste que j’ai choisi cette dénomination.

G. J. — Que reprochez-vous à cette tradition où le «Je» est appréhendé à la première personne ?

P. R. — Le fait qu’elle a pu provoquer une réaction saine, qui est celle, par exemple, de Levinas   disant : «Non, il faut commencer par l’autre, parce que la présupposition de cette alternative, c’est que c’est “Moi” qui commande le jeu dans une philosophie du sujet ; la seule alternative est alors l’alternative forte que Levinas a poussée (j’ai écrit quelque part que sa rhétorique était une rhétorique de l’hyperbole) jusqu’à faire du «Moi» l’otage de l’autre, la substitution (je dois me mettre à la place de…), précisément parce que la philosophie morale de Levinas est une philosophie où le sujet c’est « Moi ». En ce sens, j’ai la même cible que lui ; seulement, comme j’essaie de libérer la question du «Soi» de cet impérialisme du «Je», je sens moins fortement la nécessité de lui donner une seule alternative, à savoir de commencer par la seconde personne. Je rencontre ce problème moi aussi, bien entendu, mais sous l’égide, si je puis dire, de la question plus générale du «Soi».

Si vous me permettez une autre légitimation de cette préférence, je me suis heurté, non pas dans des discussions avec la philosophie classique européenne — Descartes, Kant et d’autres — mais avec la philosophie analytique anglo-saxonne, à un problème qui est extrêmement discuté dans ladite

Soi-même comme un autre philosophie lorsqu’elle en vient aux questions du sujet — depuis Wittgenstein  , en particulier —, c’est la question de l’identité. Qu’est-ce qui fait l’identité d’un « Soi » ? Je suis frappé par le fait que, sous les mots « identique » ou « identité », nous mettons deux significations tout à fait différentes : selon la première, l’identique, c’est ce qui ne change pas ; c’est l’immuable. Il s’est fait une sorte de fusion avec les philosophies du sujet en «Je» (première personne) et de l’identique (en immutabilité), comme s’il y avait un substrat qui ne bougeait pas derrière les changements. C’est cette collusion justement entre l’identité immuable et la première personne toute-puissante que j’ai essayé de briser en donnant un autre sens à «identique», qui est cette sorte d’identité que nous connaissons par la fidélité à la parole donnée; ici, «identique» ne veut pas dire que je ne change pas, mais que, malgré mes changements, je me maintiens dans une obligation. L’identique est donc le « ipse » latin plutôt que le « idem », le « idem » étant le non-changeant, tandis que le « ipse » c’est tout ce qui répond à la question « Qui suis-je?» Non pas «que» suis-je, mais «qui» suis-je. Quand on entre dans la question «qui», on entre dans un ensemble de problèmes qui justement échappent à la sorte d’identification objective poursuivie dans la philosophie analytique sous le titre de l’identité personnelle.

G. J. — Telle est donc la raison qui a déterminé ce nouvel ouvrage…

P. R. — C’est une recherche qui vient très tard et à la fin sans doute de mon travail philosophique ; parce que j’ai voulu régler mes comptes non pas avec les autres, mais avec moi-même, c’est-à-dire avec tous ceux que j’ai croisés pendant trente ou quarante années de travail, et qui ont représenté des variations énormes sur cette question du sujet. Depuis le personnalisme de Mou-nier et de Gabriel Marcel   en un certain sens, l’existentialisme de Sartre  , la phénoménologie de Merleau-Ponty  , l’herméneutique, et puis la grande vague inverse du structuralisme : on élimine le sujet, on va même jusqu’à l’idée de la malfaisance de l’humanisme… ; c’est donc face à ces renversements que je me suis demandé : « Quel cap ai-je tenu à travers tout cela ? » Et si, d’une part, je n’ai jamais cédé à l’antihumanisme, et que d’autre part je n’ai jamais fait l’apologie du « cogito » cartésien, je me suis dit : « Mais alors, quel est mon point d’ancrage ? » Mon point d’ancrage, eh bien, à la fin de ma quête, je pense le trouver dans ce problème de 1’« ipséité », liée à la question du « qui », de la personne qui se demande qui elle est ; mais avec toutes les ressources d’une philosophie du langage — quel est le sujet parlant —, d’une philosophie de l’action — quel est l’agent des actions —, d’une philosophie du récit — quel est le narrateur ou le personnage du récit —, d’une philosophie morale — qu’est-ce qu’un être responsable, auquel ses actions peuvent être imputées : c’est donc le rassemblement des différents domaines que j’ai traversés au cours de ma carrière — philosophie du langage, philosophie de l’action, philosophie du récit, et maintenant philosophie morale et politique — que j’ai essayé de disposer autour de cette question «Qui suis-je».


Ver online : Paul Ricoeur


JARCZYK, Gwendoline. "Un entretien avec Paul Ricoeur", in Rue Descartes n. 1-2, Abril 1991. Paris: Albin Michel