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Derrida (1999) – crimes contra a humanidade

quarta-feira 13 de março de 2024, por Cardoso de Castro

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Mesmo que palavras como "crime contra a humanidade" façam agora parte da linguagem quotidiana. Este acontecimento foi, ele próprio, produzido e autorizado por uma comunidade internacional numa data específica e de acordo com um padrão específico da sua história. Uma história que se entrelaça, mas não se confunde, com a história de uma reafirmação dos direitos humanos, de uma nova Declaração dos Direitos do Homem. Esta espécie de mutação estruturou o espaço teatral em que se desenrola — sinceramente ou não — o grande perdão, a grande cena de arrependimento de que estamos a tratar. Na sua própria teatralidade, tem muitas vezes as características de uma grande convulsão — atrevemo-nos a dizer uma compulsão frenética? Não, felizmente também responde a um "bom" movimento. Mas o simulacro, o ritual automático, a hipocrisia, o cálculo ou a anedota fazem muitas vezes parte do jogo e convidam-se como parasitas para esta cerimônia da culpa. Eis uma humanidade inteira abalada por um movimento que se pretende unânime, eis um gênero humano que, de repente, pretende acusar-se a si próprio, pública e espetacularmente, de todos os crimes que cometeu contra si próprio, "contra a humanidade". Porque se começássemos a acusar-nos e a pedir perdão por todos os crimes cometidos contra a humanidade no passado, deixaria de haver um inocente na Terra — e, portanto, ninguém em posição de julgar ou arbitrar. Todos nós somos herdeiros, pelo menos, de pessoas ou acontecimentos marcados de forma essencial, interior, inefável, por crimes contra a humanidade. Por vezes, esses acontecimentos, esses assassínios maciços, organizados, cruéis, que podem ter sido revoluções, grandes revoluções canônicas e "legítimas", foram precisamente os que levaram à emergência de conceitos como os direitos humanos ou os crimes contra a humanidade.

original

Même si des mots comme “crime contre l’humanité” circulent maintenant dans le langage courant. Cet événement fut lui-même produit et autorisé par une communauté internationale à une date et selon une figure déterminées de son histoire. Qui s’enchevêtre mais ne se confond pas avec l’histoire d’une réaffirmation des droits de l’homme, d’une nouvelle Déclaration des droits de l’homme. Cette sorte de mutation a structuré l’espace théâtral dans lequel se joue — sincèrement ou non — le grand pardon, la grande scène de repentir qui nous occupe. Elle a souvent les traits, dans sa théâtralité même, d’une grande convulsion — oserait-on dire d’une compulsion frénétique ? Non, elle répond aussi, heureusement, à un “bon” mouvement. Mais le simulacre, le rituel automatique, l’hypocrisie, le calcul ou la singerie sont souvent de la partie, et s’invitent en parasites à cette cérémonie de la culpabilité. Voilà toute une humanité secouée par un mouvement qui se voudrait unanime, voilà un genre humain qui prétendrait s’accuser tout à coup, et publiquement, et spectaculairement, de tous les crimes en effet commis par lui-même contre lui-même, “contre l’humanité”. Car si on commençait à s’accuser, en demandant pardon, de tous les crimes du passé contre l’humanité, il n’y aurait plus un innocent sur la Terre — et donc plus personne en position de juge ou d’arbitre. Nous sommes tous les héritiers, au moins, de personnes ou d’événements marqués, de façon essentielle, intérieure, ineffaçable, par des crimes contre l’humanité. Parfois ces événements, ces meurtres massifs, organisés, cruels, qui peuvent avoir été des révolutions, de grandes Révolutions canoniques et “légitimes”, furent ceux-là mêmes qui ont permis l’émergence de concepts comme ceux des droits de l’homme ou du crime contre l’humanité.

Qu’on y voie un immense progrès, une mutation historique ou un concept encore obscur dans ses limites, fragile dans ses fondations (et on peut faire l’un et l’autre à la fois — j’y inclinerais, pour ma part), on ne peut dénier ce fait : le concept de “crime contre l’humanité” reste à l’horizon   de toute la géopolitique du pardon. Il lui fournit son discours et sa légitimation. Prenez l’exemple saisissant de la commission Vérité et réconciliation en Afrique du Sud. Il reste unique malgré les analogies, seulement des analogies, de quelques précédents sud-américains, au Chili notamment. Eh bien, ce qui a donné son ultime justification, sa légitimité déclarée à cette commission, c’est la définition de l’Apartheid comme “crime contre l’humanité” par la communauté internationale dans sa représentation onusienne.

Cette convulsion dont je parlais prendrait aujourd’hui la tournure d’une conversion. D’une conversion de fait et tendanciellement universelle : en voie de mondialisation. Car si, comme je le crois, le concept de crime contre l’humanité est le chef d’accusation de cette auto-accusation, de ce repentir et de ce pardon demandé ; si d’autre part une sacralité de l’humain peut seule, en dernier ressort, justifier ce concept (rien n’est pire, dans cette logique, qu’un crime contre l’humanité de l’homme et contre les droits de l’homme) ; si cette sacralité trouve son sens dans la mémoire abrahamique des religions du Livre et dans une interprétation juive, mais surtout chrétienne, du “prochain” ou du “semblable” ; si dès lors le crime contre l’humanité est un crime contre le plus sacré dans le vivant, et donc déjà contre le divin dans l’homme, dans Dieu-fait-homme ou l’homme-fait-Dieu-par-Dieu (la mort de l’homme et la mort de Dieu trahiraient ici le même crime), alors la “mondialisation” du pardon ressemble à une immense scène de confession en cours, donc à une convulsion-conversion-confession virtuellement chrétienne, un processus   de christianisation qui n’a plus besoin de l’Église chrétienne.

Si, comme je le suggérais à l’instant, un tel langage croise et accumule en lui de puissantes traditions (la culture “abrahamique” et celle d’un humanisme philosophique, plus précisément d’un cosmopolitisme né lui-même d’une greffe de stoïcisme et de christianisme paulinien), pourquoi s’impose-t-il aujourd’hui à des cultures qui ne sont à l’origine ni européennes ni “bibliques” ? Je pense à ces scènes où un Premier ministre japonais “demanda pardon” aux Coréens et aux Chinois pour les violences passées. Il présenta certes ses “heartfelt apologies” en son nom personnel, d’abord sans engager l’Empereur à la tête de l’État, mais un Premier ministre engage toujours plus qu’une personne privée. Récemment il y eut de véritables négociations, cette fois, officielles et serrées, entre le gouvernement japonais et le gouvernement sud-coréen à ce sujet. Il y allait de réparations et d’une réorientation politico-économique. Ces tractations visaient, comme c’est presque toujours le cas, à produire une réconciliation (nationale ou internationale) propice à une normalisation. Le langage du pardon, au service de finalités déterminées, était tout sauf pur et désintéressé. Comme toujours dans le champ politique.


Ver online : Jacques Derrida


Jacques Derrida. Le siècle et le pardon. Entretien publié dans Le Monde des Débats, Décembre 1999