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Didier Franck (1998:247-250) – desumanização

segunda-feira 11 de março de 2024, por Cardoso de Castro

destaque

Determinar como e em que medida é possível possuir a verdade num corpo, determinar o que o corpo deve ser para se abrir a verdades cuja incorporação era até então impossível, criar um corpo de potência superior, é então e sobretudo uma tentativa de acceder a esse grande pensamento a que, desde agosto de 1881, Nietzsche   não cessa de se expor. De fato, a questão do potencial do corpo para o conhecimento e a incorporação da verdade aparece pela primeira vez no longo aditamento intitulado Filosofia da Indiferença, que se segue à primeira nota dedicada ao Eterno Retorno. O que significa este título e o que é que se entende aqui por "indiferença"? Longe de ter apenas um sentido negativo ou privativo, a indiferença consiste positivamente em ver as coisas como elas são. "Indiferença! Uma coisa não nos diz respeito, podemos pensar o que quisermos sobre ela, não há nada nela que seja útil ou prejudicial para nós — é um fundamento do espírito científico." [8] Como é que conseguimos isto? Esforçando-nos por ver "com outros olhos": praticando a visão sem referência humana, tal como ela é! Curar a megalomania humana! De onde é que ela vem? Do medo. A indiferença assim entendida é a razão alta e corajosa que nos preserva da "loucura fundamental" [9] de tomar o homem como a única medida de todas as coisas, e a humanidade demasiado humana como a única possibilidade do "seu" ser. Isto não se consegue simplesmente variando as perspectivas humanas, que são sempre demasiado humanas, mas exclusivamente "formando novos seres" [10]. Ser indiferente é renunciar à estupidez, que nunca é mais do que um estreitamento de perspectiva [11], uma anulação de perspectivas em favor de uma perspectiva; é ver com outros olhos, desde que este adjetivo marque também uma diferença de essência; é, portanto, abrir caminho ao sobre-humano através de uma desumanização do conhecimento.

original

Comment expliquer la formation de la logique ? A quelle configuration de la volonté de puissance se laisse-t-elle reconduire ? Pourquoi peut-elle être comprise comme une erreur incorporée et, avec elle, la vérité qui l’habite ? Ou, à l’inverse, et pour laisser à Nietzsche   lui-même le soin de récapituler ces questions sous une forme unique : « dans quelle mesure la vérité supporte-t-elle l’incorporation ? »  [1]

Tenter de répondre à cette question dont le simple libellé déplace le lieu de la vérité et offre la connaissance au corps pour leur ouvrir conjointement de nouvelles possibilités, c’est d’abord tenter de répondre à une question que, sous de multiples formes, Nietzsche   n’a cessé de poser, de nous adresser. Sans procéder à un inventaire exhaustif, retenons deux de ses nombreuses métamorphoses propres à en faire ressortir le caractère « ultime »  [2] . 1) En demandant : « Combien de vérité un esprit supporte-t-il, combien de vérité risque-t-il ? », Nietzsche   détermine le principe de toute critique des valeurs puisqu’il ajoute aussitôt : « Au fond, cela devint pour moi de plus en plus le critère de valeur. »  [3]  Autrement dit, plus une vérité est difficile à incorporer, plus elle requiert et permet de puissance, plus elle a de valeur au point que celle-ci se laisse définir comme « le plus haut quantum de puissance que l’homme puisse s’incorporer – l’homme, pas l’humanité »  [4] . 2) En affirmant : « – Nous faisons une tentative avec la vérité ! Peut-être l’humanité en périra-t-elle ! Allons-y ! »  [5] , Nietzsche   fait allusion à la doctrine de l’éternel retour puisque Zarathoustra qui en est l’annonciateur déclare : « Je vous ai donné la pensée la plus lourde : peut-être l’humanité en périra-t-elle, peut-être s’élèvera-t-elle en éliminant, une fois surmontés, les éléments hostiles à la vie. »  [6]  Reconduisant aussi bien à la transvaluation des valeurs qu’à l’éternel retour, à la destruction du dernier homme qu’à la création du surhomme, la question des rapports du corps à la vérité, à la logique et à la connaissance en général est aussi centrale que dernière. Mais, et Nietzsche   ne l’a jamais ignoré, cette question et la mise en jeu de la vérité qu’elle implique constituent une épreuve dangereuse, l’épreuve du suprême danger. Immédiatement avant de nous y engager, Zarathoustra nous adressait ces mots où s’annonce et se laisse pressentir notre histoire et la figure de notre monde : « Je vous ai tout pris, Dieu, le devoir, – maintenant vous devez donner la plus grande preuve de noblesse. Car ICI la voie est ouverte aux scélérats – voyez ! – la lutte pour la domination, à la fin le troupeau plus troupeau, et le tyran plus tyran que jamais. »  [7]

Déterminer comment et jusqu’où il est possible de posséder la vérité dans un corps, déterminer ce que doit être le corps pour s’ouvrir à des vérités dont l’incorporation était jusqu’alors impossible, créer un corps de puissance supérieure, c’est donc ensuite et surtout tenter d’accéder à cette grande pensée à laquelle, depuis août 1881, Nietzsche   ne cessa d’être exposé. En effet, la question relative aux possibilités de connaissance du corps et à l’incorporation de la vérité apparaît initialement dans la longue addition, intitulée Philosophie de l’indifférence, qui suit la première note consacrée à l’éternel retour. Que signifie ce titre et que faut-il entendre ici par « indifférence » ? Loin d’avoir uniquement une signification négative ou privative, l’indifférence consiste positivement à voir les choses telles qu’elles sont. « L’indifférence ! Une chose ne nous concerne pas, nous pouvons en penser ce que nous voulons, il n’y a là rien qui nous soit utile ou préjudiciable – c’est un fondement de l’esprit scientifique. »  [8]  Comment y parvient-on ? En s’attachant à voir « avec d’autres yeux : s’exercer à voir sans référence humaine, donc tel quel ! Guérir la mégalomanie humaine ! D’où vient-elle ? De la peur… ». L’indifférence ainsi entendue est cette haute raison courageuse qui préserve de la « folie fondamentale »  [9]  consistant à prendre l’homme pour la seule mesure de toutes choses et l’humanité trop humaine pour la seule possibilité de « son » être. On ne saurait donc y atteindre par la seule variation des perspectives humaines, toujours trop humaines, mais exclusivement par « la formation d’êtres nouveaux »  [10] . Être indifférent, c’est renoncer à la bêtise qui n’est jamais qu’un rétrécissement de perspective  [11] , qu’une annulation des perspectives au profit d’une perspective, c’est voir avec d’autres yeux, à condition toutefois que cet adjectif marque aussi une différence d’essence, c’est donc ouvrir la voie au surhomme au moyen d’une déshumanisation de la connaissance.

Comment l’indifférence comprise comme remède à la peur, méthode de connaissance et d’accès aux choses mêmes, voire à la vérité, peut-elle contribuer à la métamorphose de l’homme ? Nietzsche   répond à cette question dans le texte même de l’addition. Après avoir constaté – et le constat vaut encore – que « nous nous conduisons comme des enfants à l’égard de ce qui jadis constituait le sérieux de l’existence », il poursuit : « Mais notre aspiration au sérieux est de tout comprendre comme devenant, de nous renier en tant qu’individu, de voir le monde par le plus d’yeux possible, de vivre dans des pulsions et des occupations pour nous faire des yeux, de nous abandonner temporairement à la vie POUR ensuite temporairement y poser les yeux : entretenir les pulsions comme fondement de toute connaissance mais savoir où elles deviennent adverses à la connaissance : en somme ATTENDRE ET VOIR jusqu’où le savoir et la vérité peuvent S’INCORPORER – et dans quelle mesure une transformation de l’homme intervient quand, enfin, il ne vit plus que pour connaître. »  [12]  La pratique de l’indifférence, que Nietzsche   nomme également renonciation  [13] , puisque voir le monde avec de multiples yeux, c’est renoncer aux siens propres et que faire varier les évaluations signifie renoncer à en tenir une seule pour vraie en les surplombant et survolant toutes – « en tant que penseur, nous devons aussi apprendre à voler »  [14]  –, cette pratique de l’indifférence ou de la renonciation qui n’est autre qu’un grand jeu des pulsions avec elles-mêmes, par lequel le savoir peut s’accroître, est donc préalable à la création d’un corps supérieur dans l’exacte mesure où elle permet de déterminer la part de vérité susceptible d’incorporation.


Ver online : Didier Franck


FRANCK, Didier. Nietzsche et l’ombre de Dieu. Paris: PUF, 1998.


[1Le gai savoir, § 110.

[2Id.

[3Ecce Homo, Avant-propos, § 3 ; cf. 1884, 26 (50), 1885, 35 (69), 1885-1886, 1 (200), 1887, 10 (3), 1888, 16 (32) et Par-delà bien et mal, § 39.

[41888, 14 (8).

[51884, 25 (305). En 1880, au terme d’une note examinant les conditions nécessaires à l’épanouissement de l’individu, Nietzsche concluait : « peut-être l’humanité DOIT-elle périr de la morale » : 1880, 6 (153). Cf. 1876-1877, 23 (82) et Aurore, § 45, § 429, § 501.

[61884, 27 (23). Humanité s’oppose ici à surhumanité, cf. 1884, 26 (232).

[71884, 25 (305).

[81881, 11 (110).

[91881, 11 (10), où « tel quel » traduit sachlich ; cf. La généalogie de la morale, III, § 12 in fine.

[10Cette expression est la dernière d’une note qui commence par ces mots : « Tâche : voir les choses telles qu’elles sont ! » ; 1881, 11 (65) ; cf. 1881, 13 (5).

[11Cf. Par-delà bien et mal, § 188.

[121881, 11 (141) ; cf. Le gai savoir, § 110, dont l’ensemble de cette addition est une esquisse.

[131882-1883, 6 (1) ; cf. 1885, 40 (65) et 41 (9), où Nietzsche fait le récit de cette expérience qui conduit à « une sorte de liberté d’oiseau, à une sorte de regard panoramique d’oiseau », ainsi que 1887-1888, 11 (30).

[141883, 8 (3).