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Dastur (1998:127-129) – a obra de arte [Kunstwerks]

segunda-feira 11 de dezembro de 2023, por Cardoso de Castro

detalhe

As duas características essenciais da obra de arte que Heidegger analisa são dois modos diferentes de colocação: instalar (aufstellen) e produzir (herstellen). Instalar não significa simplesmente arrumar, por exemplo, obras de arte num museu. Trata-se, sublinha Heidegger, de um gesto de consagração e celebração [1], de modo que, através da instalação, o sagrado é aberto. É esta abertura do sagrado [128] que é, ao mesmo tempo, a abertura do mundo. A obra de arte não se instala; ela própria é uma instalação no sentido em que abre um mundo. Esta abertura de um mundo é um Einräumen, um "arranjo" do espaço, uma libertação do aberto, através da qual todas as coisas adquirem as suas próprias dimensões [2]. Do mesmo modo, a obra de arte não deve ser entendida no sentido habitual de fazer algo a partir de um material, mas como um pro-ducere no sentido literal do termo, ou seja, como um trazer diante. Neste sentido, não se deve dizer que a obra é produzida, mas que produz por si mesma. Heidegger explica que a ferramenta, por outro lado, toma a matéria ao seu serviço [3], de modo que esta última desaparece na utilidade. Mas matéria e forma são conceitos que não podem ser usados no caso da obra de arte, que não é uma fabricação. Na obra de arte, a matéria não desaparece na forma, mas aparece pela primeira vez. Então o que é que aparece? Não uma matéria à espera de uma forma que a tornaria invisível, mas aquilo que, pela sua própria natureza, resiste a todas as tentativas de penetração, aquilo que permanece indetectável e está constantemente em reserva: a terra, na medida em que é essencialmente autónoma [4]. O que é, por conseguinte, "produzido" (hergestellt) em aberto pela obra de arte é a terra como aquilo que está fechado em si mesmo. O verbo herstellen tem também o significado alemão de restaurar, de modo que também podemos entender a "pro-dução" da terra como o restabelecimento no aberto daquilo que tende constantemente a retirar-se.

original

Une telle conception destinale et historique [5] du monde est développée d’abord par Heidegger dans ses conférences de 1935 et 1936 sur L’origine de l’œuvre d’art. Le but que poursuit alors [127] Heidegger est de montrer que l’art n’est pas une représentation ou une production, mais un événement ontologique et qu’en tant que tel il est l’institution de l’histoire. Or l’essence métaphysique de l’art renvoie à une conception de l’art qui voit en celui-ci une représentation de quelque chose de suprasensible dans une matière sensible soumise à une forme. Heidegger propose au contraire de penser l’art comme une position, une thesis, au sens d’une Stiftung, d’une institution d’un monde particulier. L’art est selon Heidegger une des manières selon laquelle advient la vérité, il est défini comme la mise en œuvre de la vérité [6]. L’accent mis sur la valeur institutionnelle et positionnelle de l’art produit un renversement de ce qui semble être la situation normale selon laquelle la nature précède l’art. C’est ce qui est tout particulièrement souligné par Heidegger dans sa conférence de 1935 intitulée De l’origine de l’œuvre d’art : « Tout, ici, est renversé : c’est le temple, dans sa tenue, qui donne pour la première fois aux choses le visage grâce auquel elles deviendront à l’avenir visibles et, pour un temps, le demeureront. » [7] C’est donc l’œuvre d’art qui donne d’abord aux êtres naturels leur visibilité : maintenant c’est la nature qui vient après l’art. Ce n’est pas le cas seulement de l’architecture, mais aussi de la sculpture et de la poésie [8]. La statue du dieu n’est pas une image faite d’après lui, mais elle est le dieu lui-même, elle constitue la venue en présence même et non pas la reproduction d’un être absent ou lointain. La tragédie n’est pas le récit d’une histoire et ne parle pas de la bataille des dieux, mais en elle la bataille a effectivement lieu. L’œuvre d’art est instauratrice de présence plutôt que représentation de quelque chose d’absent. Parce que l’œuvre ne reproduit rien, mais simplement se tient là, elle ouvre un espace dans lequel tout devient visible. C’est pourquoi l’œuvre d’art a essentiellement la capacité de donner « lieu » aux choses.

Les deux traits essentiels de l’œuvre d’art qu’analyse Heidegger sont deux modes différents du placer : installer (aufstellen) et produire (herstellen). Installer, cela ne veut pas dire seulement disposer, par exemple des œuvres d’art dans un musée. C’est, souligne Heidegger, un geste de consécration et de célébration [9], de sorte que par l’installation, le sacré soit ouvert. C’est cette ouverture du sacré [128] qui est en même temps l’ouverture du monde. L’œuvre d’art n’est pas installée, elle est en elle-même installation au sens où elle ouvre un monde. Cette ouverture d’un monde est un Einräumen, un « aménagement » de l’espace, une libération de l’ouvert, par laquelle toutes choses acquièrent leurs dimensions propres [10]. De la même manière, l’œuvre d’art ne doit pas être comprise au sens habituel de fabrication de quelque chose à partir d’un matériau, mais comme un pro-ducere au sens littéral de ce terme, c’est-à-dire comme un amener devant. Il faut dire à cet égard non pas que l’œuvre est produite, mais qu’elle produit par elle-même. Heidegger explique que l’outil par contre prend la matière à son service [11], de sorte que cette dernière disparaît dans l’utilité. Mais matière et forme sont des concepts qui ne sont pas utilisables dans le cas de l’œuvre d’art, qui n’est pas une fabrication. Dans l’œuvre d’art la matière ne disparaît pas dans la forme, mais au contraire vient pour la première fois au jour. Qu’est-ce qui apparaît donc ? Non pas un matériau qui serait en attente d’une forme qui le rendrait invisible, mais ce qui par essence résiste à toutes les tentatives de pénétration, ce qui demeure indécelable et se tient constamment en réserve : la terre en tant qu’elle se renferme en soi par essence [12]. Ce qui est par conséquent « pro-duit » (hergestellt) dans l’ouvert par l’œuvre d’art, c’est la terre en tant que ce qui se renferme en soi. Le verbe herstellen a aussi en allemand le sens de restaurer, de sorte que nous pouvons aussi comprendre la « pro-duction » de la terre comme le rétablissement dans l’ouvert de ce qui tend constamment à se retirer.


Ver online : Françoise Dastur


DASTUR, Françoise. "Le concept de monde chez Heidegger après Être et temps", in Natalie Depraz (ed.). Monde(s). Fontenay-aux-Roses: Éd. Alter, 1998.


[1VF, p. 29

[2C, p. 48

[3C, p. 49-50.

[4C, p. 50-51

[5Nous ne reprenons pas ici la traduction de geschichtlich par historial et de Geschichtlichkeit par historialité, originellement proposée par Henri Corbin dans sa traduction en 1938 d’extraits de Sein und Zeit, bien qu’elle permette de rendre compte de la distinction que permet la langue allemande et qu’accentue fortement Heidegger entre Geschichte (l’histoire en tant que processus réel) et Historie (la science historique).

[6M. Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art» (conférences de 1936 à Francfort sur le Main), Chemins qui ne mènent nulle part, (noté par la suite C), Paris, Gallimard, 1980, p. 37.

[7De l’origine de l’œuvre d’art (conférence du 23 novembre 1935), Authentica, 1987, (noté par la suite VF pour Version de Fribourg) p. 26. Voir le passage correspondant dans C, p. 45.

[8Notons que Heidegger ne dit rien ici de la musique.

[9VF, p. 29

[10C, p. 48.

[11C, p. 49-50.

[12C, p. 50-51.