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Taminiaux (1995b:168-171) – techne

quarta-feira 6 de dezembro de 2023, por Cardoso de Castro

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Heidegger conclui que a techne é um modo de aletheuein, de desvelamento. Neste sentido, ela lida com a [169] verdade, e é o ser humano, aquilo a que Heidegger chama Dasein, que é o seu detentor. Aos olhos de Heidegger, em busca de uma ontologia do Dasein, esta caracterização da techne, da aptidão desveladora do ser humano, bastaria, por si só, para provar que Aristóteles   encara a condição mortal como intrinsecamente aberta à verdade, no sentido de aletheia, de desvelamento. Por outras palavras, prova que, para Aristóteles  , o Dasein, na medida em que existe, está na verdade.

original

Or l’art — en grec techne — figure, nous l’avons vu, parmi les thèmes de l’Éthique à Nicomaque. Qu’on nous permette, au risque de nous répéter, de suivre ici le fil de la lecture qu’en mène Heidegger en 1924 dans son introduction au cours sur Le Sophiste (GA19  :§§ 4-26).

Le traité aristotélicien, disions-nous, examine les excellences dianoétiques ou vertus intellectuelles de manière à déterminer leur rang. Ces excellences intellectuelles ont deux niveaux : le niveau inférieur des vertus délibératives et le niveau supérieur des vertus épistémiques. La techne, l’art, est une excellence intellectuelle, qui relève du niveau des vertus délibératives. C’est une excellence intellectuelle en ce sens qu’elle est une capacité éminente de découvrir ce qui est approprié à tel ou tel but.

Heidegger en conclut que la techne est un mode de l’aletheuein, du dévoilement. En ce sens, elle a commerce avec la [169] vérité, et c’est l’étant humain, celui que Heidegger appelle Dasein, qui en est le titulaire. Aux yeux de Heidegger, à la recherche d’une ontologie du Dasein, cette caractérisation de la techne, de l’aptitude dévoilante de l’être humain, suffirait, à elle seule, à prouver qu’Aristote   envisage la condition des mortels comme intrinsèquement ouverte à la vérité, au sens d’aletheia, de dévoilement. Elle prouve, autrement dit, que, pour Aristote  , le Dasein, en tant qu’il existe, est dans la vérité.

Cependant la techne, en tant que mode d’accès à la vérité, est, selon Aristote  , étroitement liée à une activité spécifique, la poiesis, qui consiste à mettre en œuvre (energein) ce que révèle la techne. Dans le cadre de l’Éthique à Nicomaque, l’origine de l’œuvre d’art, ou de l’œuvre de l’artisan, ou encore de l’effet visé par l’expert, est bien évidemment la poiesis, l’activité productrice, mais celle-ci, à son tour, a son origine dans l’art, dans la techne comme capacité humaine de dévoilement, comme modalité de Γalètheuein.

On pourrait donc dire que, dès 1924, Heidegger voit s’imposer, à même le texte aristotélicien, deux thèmes qu’il soulignera et exploitera, douze ans plus tard, dans le célèbre essai sur « L’origine de l’œuvre d’art ». Dès ce moment en effet l’Éthique à Nicomaque lui apprend non seulement que l’origine de l’œuvre d’art est l’art (techne), mais encore que l’essence de l’art consiste en un avènement de la vérité. Toutefois on aurait tort d’en conclure que, dès cette époque, la recherche par Heidegger, à l’aide du texte aristotélicien, des linéaments de sa propre ontologie du Dasein et, plus généralement, de son ontologie fondamentale, inclut une philosophie de l’art. Certes, le mot techne recouvre chez Aristote   à la fois la capacité découvrante qui régit l’activité fabricatrice du potier ou du cordonnier, celle qui fonde toute expertise, et celle qui préside aux œuvres du sculpteur ou du dramaturge. Mais dans l’analyse de la techne, en tant qu’excellence intellectuelle du niveau délibératif, l’Éthique à Nicomaque n’accorde aucun privilège à l’artiste sur l’artisan ou sur l’individu doué, tel le stratège ou le médecin, de quelque compétence dans la production d’effets souhaités. Au contraire, dans la mesure où l’éthique aristotélicienne établit une hiérarchie des vertus, et plus généralement des modes de vie, la vertu qu’est l’art comme capacité spécifique [170] de découvrement, aussi bien que l’activité que cette capacité éclaire, à savoir la poiesis en général, quelles qu’en soient les spécifications, pâtissent d’une déficience intrinsèque. Leur défaut tient à ce que la fin, le telos, de l’activité productrice régie par la techne échappe à l’agent producteur, tombe en dehors de lui, sous les espèces de l’œuvre, de Yergon. Certes le principe de l’œuvre est bien dans l’agent producteur: c’est son savoir-faire. Et, dans cette mesure même, le dévoilement qui préside au processus producteur est une excellence. Mais c’est une excellence défectueuse puisque sa fin est un produit extérieur, qui échappe à l’agent.

Cette déficience, en revanche, n’affecte pas la vertu délibérative la plus haute, à savoir la phronesis. Celle-ci également est un mode de découvrement, une fonction alèthéique. Mais l’activité à laquelle elle s’ajuste n’est plus la production d’œuvres ou d’effets extérieurs à l’agent: c’est la praxis même de l’agent au sens de la conduite par un individu de sa propre vie. La phronesis est la plus haute vertu délibérative en ce sens que ni son principe (son archè) ni sa fin (son telos) ne tombent hors de l’agent. En effet, le principe de la phronesis réside dans une option préalable de l’agent pour le bien-agir, et sa fin est Y eu prattein de l’agent.

Justement parce qu’il lit l’Éthique à Nicomaque moins comme une éthique que comme une ontologie du Dasein, Heidegger conclut de cette différence de niveau entre le couple techne-poiesis et le couple phronesis-praxis que le premier concerne le Dasein en tant qu’il se rapporte à des étants autres que lui, tandis que le second le concerne dans son ouverture à son être le plus propre. Ce qui est en jeu, et en vue, dans la phronesis, et dans la praxis qu’elle éclaire, c’est, insiste Heidegger, l’existence même du Dasein.

Cependant Heidegger remarque que la phronesis n’est pas du tout pour Aristote   l’excellence la plus haute. La techne et la phronesis sont toutes deux liées au domaine du périssable en général, et si celle-ci est supérieure à celle-là, elle n’en reste pas moins rivée aux affaires humaines. Or les humains qui sont mortels ne sauraient être, pour Aristote  , ce qu’il y a de plus haut dans ce monde. Plus haut que l’aion, temps fini des mortels, il y a l’aei, le sempiternel avec lequel ont partie liée les [171] deux excellences dianoétiques que sont les vertus épistémiques : l’episteme et la sophia.

Ces deux excellences relèvent d’un comportement, ou mode d’être, plus élevé que la poiesis et que la praxis, entendue comme conduite de la vie au sein d’une interaction humaine. Ce mode d’être est la theoria. Chez Aristote  , les deux vertus de la theoria que sont l’episteme et la sophia, n’ont rien à voir avec le périssable. Ainsi l’episteme porte sur des entités immuables, telles les figures géométriques. Quant à la sophia, vertu intellectuelle la plus haute, elle porte sur la structure ontologique de l’étant en totalité et sur l’étant le plus haut qui est divin, le premier moteur immobile des mouvements de la physis. Selon Aristote  , la contemplation de cet immuable est pour un mortel la manière d’être la plus haute qu’il puisse atteindre car, tant qu’elle dure, le spectateur mortel se rapproche de la divinité immortelle. Il atteint ce qui pour Aristote   est le comble de l’eudaimonia, vocable que Heidegger traduit par Eigentlichkeit, authenticité.


Ver online : Jacques Taminiaux


TAMINIAUX, J. Le théatre des philosophes: La tragédie, l’être, l’action. Grenoble: J. Millon, 1995.