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Caron (2005:249-253) – uma fenomenologia às voltas com a fenomenologia

sexta-feira 15 de dezembro de 2023, por Cardoso de Castro

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A originalidade de Heidegger reside, assim, na sua capacidade de retomar a possibilidade de qualquer visão sensível numa visão da essência ela mesma inteiramente regida pelo ser, à qual um pensamento das profundezas da intuição categorial nos dá acesso antes de qualquer visão ser possível. O desejo heideggeriano é de unificação, fiel nisso à exigência interna de todo pensamento, e da unificação em torno de um princípio cuja evanescência impede, no entanto, o pensamento de se enraizar: o ser unifica o si mesmo no mistério do não-ente, mas unifica assim mesmo, e a um nível que se pretende mais profundo do que aquele em que a fenomenologia husserliana escolhe mover-se.

Original

L’originalité de Heidegger est ainsi de parvenir à ressaisir la possibilité de toute vision sensible dans une vision d’essence elle-même entièrement régie par l’être à quoi une pensée du fond de l’intuition catégoriale nous donne accès avant que toute vision soit possible. La volonté heideggerienne est d’unification, fidèle en cela à l’exigence interne de toute pensée, et d’unification autour d’un principe dont l’évanescence interdit cependant assise à la pensée : l’être unifie le soi dans le mystère du non-étant, mais unifie quand même, et à un niveau qui se veut plus profond que celui auquel la phénoménologie husserlienne choisit de se mouvoir.

Dans les Recherches logiques, Husserl   distingue les actes catégoriaux et les perceptions sensibles et ne donne pas à ces dernières leur fond dans la catégorialité d’une conscience une. Pour Heidegger, la raison en est claire : Husserl   ne parvient pas à l’unification sensible par le catégorial pour n’avoir précisément pas unifié le catégorial lui-même autour de l’être, car le catégorial est dispersé chez lui parmi les diverses catégories sans que celle de l’être soit elle-même pensée en sa prévalence ni la vision de la sphère catégoriale évaluée dans son espace de possibilité. Husserl   se tourne ainsi vers la méthode de la réduction qui lui permet d’installer à la source de la donation du monde un ego pur et unique, unifiant de façon inexpliquée la diversité des actes puisque par définition il est lui-même indéfiniment morcelable en son déploiement intentionnel. C’est l’une des significations du « tournant transcendantal » propre à la phénoménologie husserlienne : ne pouvant réunir la multiplicité des actes de conscience autour du catégorial pour n’avoir pas pris appui sur la singularité insaisissable mais unifiante (car agissante dans [250] cette insaisissabilité même) de l’être, Husserl   cherche ailleurs son appui, et le trouve dans cet ego qui, de son propre aveu, n’est pas moins énigmatique, mais possède à ses yeux le mérite d’être une forme plus ou moins connue, la forme d’une subjectivité toujours conçue, malgré les subtilités et complexités de ses divers comportements intentionnels, comme un pôle de rayonnement pouvant en droit investir la totalité des vécus. Selon la lecture heideggerienne, le moi husserlien est donc appréhendé comme il l’a toujours été dans la philosophie moderne, comme un centre, l’insistance sur l’intentionnalité ne faisant au fond qu’accroître le pouvoir de rayonnement de ce pôle. L’extériorité du monde transcendant qui heurtait encore la démarche des Recherches logiques, est évacuée par la réduction. Demeure ainsi non pensée la diversité rassemblée autour de ce pôle dont le caractère problématique n’entre pas dans le champ des questions jugées possibles puisque ce pôle est au moins connu en ses effets ; et cela suffit à la perspective husserlienne puisque, comme nous l’avons vu, Husserl   affirme : « au lieu d’avoir à porter notre attention sur l’acte donateur, nous devons bien plutôt la concentrer sur ce qu’il donne, sur l’ensemble qu’il fait apparaître » [1] ou sur le « comment de l’apparaître » [2]. Husserl   laisse de côté l’origine de l’origine – dont l’existence est néanmoins attestée par la possibilité d’un rapport réflexif à l’être de son propre être et à l’être de sa propre activité (celle-ci fût-elle la phénoménologie en tant que telle) – et prend appui sur ce que l’origine origine ou rend possible ou déploie. L’intentionnalité, indique Heidegger, est un effet du déploiement de la source, mais pas la source. Et son être demeure cependant toujours impensé.

Peut-on toutefois admettre d’entendre Heidegger proclamer que Husserl   se désintéresse de l’être de la conscience pure ? N’y a-t-il pas là manifestement, de la part de Heidegger, une violence exégétique qui va à l’encontre de la réalité de l’œuvre husserlien ? Husserl   n’est-il pas assurément le penseur de la conscience et de son être ? On lit ainsi souvent que Heidegger accuse injustement Husserl   de se désintéresser de l’être de la conscience pure, et si Heidegger commet une telle mésinterprétation, l’injustice de ses propos est bien entendu indiscutable. Tout vient de ce que l’on entend par [251] « être de la conscience ». S’il s’agit d’affirmer par exemple qu’il n’est nullement permis de dire, comme Heidegger le fait inlassablement, que Husserl   se désintéresse de la question de l’être de la conscience constituante, et de poursuivre en insistant sur le fait qu’en révélant la corrélation entre la conscience constituante et le monde constitué, la réduction phénoménologique fait précisément apparaître l’être conditionnant de cette conscience et l’être de ce monde, ainsi que la différence entre ces deux formes d’être – alors la critique de la critique heideggerienne est, nous semble-t-il, difficilement pertinente dans la mesure où, manquant l’amphibologie du terme « être », elle différencie des essences ou des modes d’essence tout en confondant les deux registres de l’être et de l’essence ; et on ne peut pas rétorquer que l’on s’appuie alors sur une différence déjà heideggerienne puisque la différence entre l’être et l’essence n’est pas la différence ontologique entre l’être et l’étant dont Heidegger se servira abondamment par la suite, mais une différence concernant les lois mêmes de la pensée et appartenant à toute conceptualité [3]. La critique heideggerienne ne mesure donc pas sur ce point la phénoménologie de Husserl   à l’aune de la différence ontologique, mais d’une manière plus « objective ». Il est évident que Husserl   ne se désintéresse pas de « l’être » de la conscience constituante si on entend « être » comme on l’entend couramment et comme l’entend souvent Heidegger lui-même (voir entre autres Sein und Zeit   où « être » est souvent pris dans le sens d’« essence »), à savoir comme essence. Car l’essence de la conscience et la mise en évidence des lois de la connaissance sont bien la tâche propre de la phénoménologie husserlienne, au point que Heidegger se porterait contre ce qu’il y a de plus manifeste en soutenant le contraire. Quand Heidegger affirme toutefois que Husserl   ne tient pas compte de « l’être de la conscience », il s’agit d’une part de souligner que la question de la présence ou de l’acte d’être d’une conscience n’est pas prise en charge, il s’agit d’autre part d’un génitif subjectif qui revient à dire « l’être dans la conscience » ou la précompréhension d’être ou encore le sens pour une conscience de pouvoir se rapporter à l’être. Or, la phénoménologie husserlienne n’interroge pas l’essence de la source donatrice, l’essence de l’essence (l’essence de l’essence qu’est la conscience), c’est-à-dire la présence même de l’essence (qui est donc là comme un simple « es ist so » impensé), [252] présence et venue en présence dont la manifestation et l’accès à cette manifestation seuls importent aux yeux de Heidegger : chez Husserl  , le quid qui est lui-même quod, l’essence qui a pour essence d’être présence et de produire présence, reste dans l’ombre. Husserl   ne pense pas le jaillissement de la conscience et de son essence. On peut opposer à Heidegger une plus profonde critique de sa critique, à savoir que Husserl   trouve l’être de la conscience dans « l’a priori corrélationnel » et que cet a priori est un phénomène originaire qui ne se confond pas forcément avec la simple conscience, celle-ci possédant ainsi une origine plus profonde et la subjectivité (au sens heideggerien d’une fonction objectale ou d’une structure de chose) ne pouvant donc apparaître finalement comme le principe de cette conscience. Husserl   souligne l’émerveillement qu’il éprouva devant cette « corrélation entre l’apparaître et l’apparaissant en tant que tel » [4]. Nous nous trouvons alors devant cette incompatibilité de principe entre Husserl   et Heidegger, que nous soulignions au début de ce chapitre, et nous nous voyons obligé de renvoyer chaque auteur à son intuition fondamentale : quand Husserl   demeure émerveillé par la compénétration de l’apparaître et de l’apparaissant, Heidegger met au contraire tout en œuvre pour [253] dissocier l’être et l’étant. Pour Heidegger, penser la différence entre l’être et l’étant équivaut à se donner les moyens de penser l’être comme être alors qu’il est toujours enchevêtré à l’étant. La pensée, pour le voir, doit passer et regarder à travers l’étant. La différence ontologique est le nom d’une décision de la pensée, la « décision pour l’acte-de-fondation [Gründung] de la vérité de l’être » ‘. Cette décision est celle de Heidegger, non celle de Husserl  , et les deux pensées s’édifient chacune sur ce qu’elle vise : la corrélation d’une part, d’autre part la mêmeté de l’être comme différence interne de l’être et de l’étant2. Le projet de Husserl   est le « comment de l’apparaître », est-il rappelé dans la Krisis ; celui de Heidegger est la pensée de la consistance propre à l’apparaître, et c’est par ce projet que sa critique de Husserl   est motivée et justifée.


Ver online : Maxence Caron


CARON, M. H. Pensée de l’être et origine de la subjectivité. Paris: CERF, 2005.


[1Hua XX, p. 141-142; RL III, p. 174.

[2La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, trad, fse, p. 188.

[3Cf. É. Gilson, L’être et l’essence, « Le vocabulaire de l’être », p. 9-23.

[4La crise des sciences européennes et In phénoménologie transcendantale, p. 188 et 189 n.