Página inicial > Léxico Alemão > Allemann (1987:158-160) – le sacré

HÖLDERLIN ET HEIDEGGER

Allemann (1987:158-160) – le sacré

LA DIMENSION DU SACRÉ

quarta-feira 31 de maio de 2023, por Cardoso de Castro

L’expérience pensante de l’oubli de l’être fait partie du même destin que l’expérience poétique de la clôture de la dimension du sacré.

Le penseur dit l’être, le poète nomme le sacré. La Lettre sur l’Humanisme remarque à ce propos : Le sacré, qui est seulement l’espace d’essence de la déité qui, à son tour, ne fait seulement que garantir la dimension pour les dieux et le Dieu, le sacré ne vient à paraître, dans son rayonnement, que lorsque auparavant, en me longue préparation, l’être lui-même s’est éclairci, et qu’il est expérimenté dans sa vérité (Hb, 26, voir aussi la répétition de cette importante détermination : Hb, 36 sq.). La répétition de seulement, dans cette phrase, pourrait conduire à l’opinion que nous nous trouvons en présence d’une rigoureuse hiérarchie des valeurs, où Dieu et les dieux seraient le but ultime et le plus difficile à atteindre. Mais il faut remarquer que des dieux peuvent très bien être présents sans que leur domaine d’essence soit pensé en propre; ainsi l’être a déjà éclairci l’étant, et cependant (ou plutôt, pour cette raison) demeure impensé en tant que tel. Inversement, une époque d’éloignement des dieux ne peut pas non plus forcer le retour du Dieu en ouvrant par la pensée son espace d’essence. Une telle pensée ne peut être que préparatoire à la venue du Dieu. A la vérité, une telle préparation est absolument nécessaire. Comment l’homme pourrait-il seulement, au point où nous en sommes de l’Histoire universelle, demander avec sérieux et rigueur si le Dieu s’approche ou s’il s’éloigne, alors que l’homme néglige de penser en entrant dans la dimension au sein de laquelle cette question peut seulement être posée ? Mais cette dimension est celle du sacré, qui demeure, même en tant que dimension, fermée, si l’ouvert de l’être n’est pas éclairci et n’est pas proche de l’homme dans son éclaircie (Hb, 37). Cela signifie que le dire poétique continue à ne pouvoir se passer de la pensée. La phrase selon laquelle un poète est [159] d’autant plus poète qu’il est plus pensant reçoit ici une nouvelle signification. Car, maintenant, il faut qu’il y ait d’abord des penseurs, afin que la parole des poètes devienne audible (E, 29). La poésie, c’est-à-dire la nomination du sacré, est placée ni au-dessous, ni au-dessus de la pensée, dire de l’être. Toutes ces questions visant à établir des hiérarchies sont absurdes.

L’expérience pensante de l’oubli de l’être fait partie du même destin que l’expérience poétique de la clôture de la dimension du sacré. Ici, la phrase bien connue, selon laquelle le dialogue avec Hölderlin   naît d’une nécessité de la pensée, devient bien plus compréhensible.

Car Hölderlin   est bien, par excellence, le poète du sacré. Non certes parce que ses poésies contiennent les noms des dieux, mais parce que Hölderlin   fait l’expérience de l’absence de Dieu. Le début du discours commémoratif de Rilke   (1946), qui part de Hölderlin  , parle de cette absence. Il s’interroge sur la trace du sacré, qui est devenue méconnaissable. Reste en suspens si nous expérimentons encore le sacré comme la trace vers la déité du divin, ou bien si nous rencontrons seulement une trace vers le sacré. Reste obscur, ce que pourrait être la trace de cette trace. Reste problématique comment une telle trace pourrait se montrer à nous (Hw  , 253). Un peu plus loin, dans le même sens : L’heur (das Heile) se retire. Le monde devient sans heur (heil-los). Ce n’est pas seulement le sacré (das Heilige), comme trace vers la déité, qui reste caché, mais la trace vers le sacré, l’heur même, semble effacé. Puissent seulement quelques mortels voir l’absence d’heur nous menacer en tant qu’absence d’heur (Hw  , 272). Ceux-ci devraient reconnaître le véritable péril, qui est celui de l’oubli de l’être. Un tel péril ne peut être conjuré par le retrait vers des régions moins menacées. Le salut doit surgir de l’abîme même qu’est le péril. C’est pourquoi il est important que les mortels tendent plutôt vers l’abîme (Mnémosyne). Les poètes qui prennent sur eux le risque d’expérimenter l’absence de Dieu sont, vu qu’ils expérimentent l’absence d’heur en tant que telle, en chemin vers la [160] trace du sacré (Hw  , 294). Le précurseur de ces poètes est Hölderlin  , lui-même poète en un temps indigent.

Mais, pour Heidegger, se pose la question de l’extrême oubli de l’être qu’héberge l’indigence de ce temps, et de la possibilité d’effectuer le virage qui mènera de l’abîme à la proximité de l’être.


Ver online : HÖLDERLIN ET HEIDEGGER


ALLEMANN, Beda. Hölderlin et Heidegger. Paris: PUF, 1987