Heidegger, fenomenologia, hermenêutica, existência

Dasein descerra sua estrutura fundamental, ser-em-o-mundo, como uma clareira do AÍ, EM QUE coisas e outros comparecem, COM QUE são compreendidos, DE QUE são constituidos.

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pur

quarta-feira 13 de dezembro de 2023

schlicht  , rein

Comme celle de toute ontologie  , la problématique de l’ontologie grecque doit nécessairement tirer son fil conducteur du Dasein   lui-même. Le Dasein, c’est-à-dire l’être de l’homme, est déterminé dans sa « définition » vulgaire autant que philosophique comme, zoon logon echon  , comme le vivant dont l’être est essentiellement déterminé par la possibilité de parler. Le legein   (cf. §7, B) est le fil conducteur pour l’obtention des structures d’être de l’étant tel qu’il fait encontre tandis qu’il est advoqué et discuté. C’est pourquoi l’ontologie antique qui se configure chez Platon   devient « dialectique ». Avec l’élaboration progressive du fil conducteur ontologique lui-même, c’est-à-dire avec l’« herméneutique » du logos surgit la possibilité d’une saisie plus radicale du problème de l’être. La dialectique, qui était un embarras philosophique authentique, devient superflue. C’est pourquoi Aristote   n’avait « plus » pour elle de « compréhension », l’ayant déplacée et élevée jusqu’à un sol plus radical. Le legein lui-même, ou le noein   - le PUR et simple accueil de quelque chose de sous-la-main en son PUR être-sous-la-main, que Parménide   avait déjà pris pour guide de [26] l’explicitation de l’être - a la structure temporale   du PUR « présentifier » de quelque chose. L’étant qui se montre en lui et pour lui, et qui est compris comme le proprement étant, reçoit par conséquent son interprétation par rapport au pré-sent (Gegen-wart  ), c’est-à-dire qu’il est conçu comme présence (ousia  ). ETEM §6 [EtreTemps6]

Mais si la « vérité » a ce sens et si le logos est un mode déterminé du faire-voir, alors le logos ne saurait justement pas être considéré comme le « lieu » primaire de la vérité. Lorsque l’on détermine, comme c’est devenu aujourd’hui chose tout à fait courante, la vérité comme ce qui appartient « proprement » au jugement, et que de surcroît on invoque Aristote à l’appui de cette thèse, une telle invocation est tout aussi illégitime que, surtout, le concept grec de la vérité est incompris. Est « vraie » au sens grec, et certes plus originellement que le logos cité, aisthesis  , l’accueil PUR et simple, sensible de quelque chose. Tandis qu’une aisthesis vise ses idia, c’est-à-dire l’étant qui essentiellement n’est accessible que par elle et pour elle, par exemple le voir des couleurs, alors cet accueil est toujours vrai. Ce qui veut dire que le voir découvre toujours des couleurs, l’entendre toujours des sons. Mais est « vrai » au sens le plus PUR et le plus originel - autrement dit découvre sans jamais pouvoir recouvrir - le PUR noein, l’accueil PURement et simplement considératif des déterminations d’être les plus simples de l’étant comme tel. Ce noein ne peut jamais recouvrir, jamais être faux, il peut tout au plus être non-accueil, agnoein, ne pas suffire à l’accès PUR et simple, adéquat. ETEM §7 [EtreTemps7]

[34] Ce qui n’a plus la forme d’accomplissement du PUR faire-voir, mais recourt à chaque fois, en mettant en lumière, à autre chose et fait voir ainsi quelque chose comme quelque chose, cela recueille, en même temps que cette structure synthétique, la possibilité du recouvrir. Cependant la « vérité judicative » n’est que le pendant de ce recouvrir autrement dit un phénomène de vérité déjà fondé de multiple façon. Réalisme et idéalisme manquent tout aussi radicalement le sens du concept grec de la vérité, concept à partir duquel seulement peut être comprise en général la possibilité de quelque chose comme une « doctrine des idées » à titre de connaissance philosophique. ETEM §7 [EtreTemps7]

Et c’est parce que la fonction du logos réside dans le PUR et simple faire-voir de quelque chose, dans le faire-accueillir de l’étant, que logos peut signifier raison. Et derechef c’est parce que le logos n’est pas pris seulement dans le sens de legein mais en même temps dans celui du legomenon, mis en lumière comme tel, lequel n’est rien d’autre que hypokeimenon   gisant toujours déjà sous-la-main au fondement de toute advocation et discussion survenant (NT: zugehendes employé absolument : non pas « qui explore l’étant », BW  , mais simplement : « qui se produit, qui advient »; cf. le latin accidens  , auquel Heidegger pense peut-être.) [à lui], que logos qua legomenon signifie fondement, raison, ratio. Et enfin c’est parce que logos qua legomenon peut aussi vouloir dire : ce qui est advoqué comme quelque chose, ce qui est devenu visible en sa relation à quelque chose, en sa « relativité », que logos reçoit la signification de relation et rapport. Cette interprétation du « discours apophantique » peut suffire pour clarifier la fonction primaire du logos. ETEM §7 [EtreTemps7]

Ce qui ne vaut pas moins de la « psychologie   », dont on ne saurait méconnaître aujourd’hui les tendances anthropologiques. Le défaut d’un fondement ontologique ne saurait non plus être compensé en insérant anthropologie   et psychologie dans une biologie   générale. Il n’est possible de comprendre et de saisir la biologie comme « science de la vie » que pour autant qu’elle est fondée - sans y être fondée exclusivement - dans l’ontologie du Dasein. [50] La vie est un mode d’être spécifique, mais il n’est essentiellement accessible que dans le Dasein. L’ontologie de la vie s’accomplit sur la voie d’une interprétation privative ; elle détermine ce qui doit être pour que puisse être quelque chose qui ne serait « plus que vie ». La vie n’est pas un PUR être-sous-la-main, ni, encore, un Dasein. Et le Dasein, inversement, ne peut en aucun cas être déterminé en affirmant qu’il est vie (ontologiquement indéterminée), plus que quelque chose d’autre. ETEM §10 [EtreTemps10]

Or si nous demandons maintenant ce qui se montre dans la réalité phénoménale du connaître lui-même, il est constant que le connaître se fonde lui-même préalablement dans un être-déjà-auprès-du-monde essentiellement constitutif de l’être du Dasein. Cet être-déjà-auprès ne se réduit nullement à la contemplation béate d’un PUR sous-la-main. L’être-au-monde, en tant que préoccupation, est capté par le monde dont il se préoccupe. Pour que devienne possible le connaître en tant que détermination considérative du sous-la-main, il est préalablement besoin d’une déficience de l’avoir-affaire préoccupé avec le monde. C’est en se retirant de toute production, de tout maniement, etc., que la préoccupation se transporte dans le seul mode d’être-à… alors résiduel : dans le ne-plus-faire-que-séjourner-auprès-de… C’est sur la base de ce mode d’être vis-à-vis du monde qui ne laisse plus l’étant intramondain faire encontre que dans son PUR a-spect (eidos  ), c’est en tant que forme de ce mode d’être que devient possible un avisement (NT: Hin-sehen  , littéralement ad-videre ; cf. notre expression : « aviser quelque chose ») exprès de l’étant ainsi rencontré. Cet a-visement est toujours une orientation déterminée vers…, une visée du sous-la-main. D’emblée, il prélève sur l’étant rencontré un « point de vue ». Un tel avisement revêt lui-même la modalité d’un se-tenir spécifique auprès de l’étant intramondain. Dans ce « séjour » - en tant que retrait (NT: Jeu admirable et hélas intraduisible sur Aufenthalt   (séjour) et Sichenthalten (retrait)) de tout [62] maniement ou utilisation - s’accomplit l’accueil (NT: Vernehmen  , ordinairement la perception. (Heidegger a notamment étudié le mot dans l’Einführung in die Metaphysik  , G.A., t. XL, p. 146-147 = 1ère éd., p. 105.)) du sous-la-main. L’accueillir a le mode d’accomplissement de l’advocation et de la discussion de quelque chose comme quelque chose. Sur la base de cet expliciter au sens le plus large, l’accueillir devient un déterminer. L’accueilli et le déterminé peut être exprimé dans des propositions, et être conservé et préservé en tant qu’ainsi énoncé. Cette conservation accueillante d’un énoncé sur… est elle-même une guise de l’être-au-monde, et ne saurait être interprétée comme un « processus   » par lequel un sujet se procure des représentations de quelque chose et les stocke à l’« intérieur » de lui-même, quitte à se demander éventuellement à leur propos comment elles « s’accordent » avec la réalité. ETEM §13 [EtreTemps13]

L’usage spécifique de l’outil, où celui-ci seulement peut se manifester authentiquement en son être, par exemple le fait de marteler avec le marteau, ne saisit point thématiquement cet étant comme chose survenante, pas plus que l’utilisation même n’a connaissance de la structure d’outil en tant que telle. Le martèlement n’a pas simplement en plus un savoir du caractère d’outil du marteau, mais il s’est approprié cet outil aussi adéquatement qu’il est possible. En un tel usage qui se sert de…, la préoccupation se soumet au pour… constitutif de ce qui est à chaque fois outil ; moins la chose-marteau est simplement « regardée », plus elle est utilisée efficacement et plus originel est le rapport à elle, plus manifestement elle fait encontre comme ce qu’elle est - comme outil. C’est le marteler lui-même qui découvre le « tournemain » spécifique du marteau. Le mode d’être de l’outil, où il se révèle à partir de lui-même, nous l’appelons l’être-à-portée-de-main. C’est seulement parce que l’outil a cet « être-en-soi », au lieu de se borner à survenir, qu’il est maniable au sens le plus large et disponible. Aussi aigu soit-il, l’avisement-sans-plus (NT: Cf. nos N.d.T. aux p. [57] et [61]. Littéralement : le fait de ne plus rien faire d’autre qu’aviser la chose, donc le PUR et simple regard, « sans plus », sur elle.) de tel ou tel « aspect » des choses est incapable de découvrir de l’étant à-portée-de-la-main. Le regard qui n’avise les choses que « théoriquement » est privé de la compréhension de l’être-à-portée-de-main. Cependant, l’usage qui se sert de…, qui manie n’est pas pour autant aveugle, il possède son mode propre de vision qui guide le maniement et procure [à l’outil] sa choséité spécifique. L’usage de l’outil se soumet à la multiplicité de renvois du « pour… » La vue propre à cet ajointement est la circon-spection [NT: BW traduisaient par prévoyance. Plus « étymologique », notre traduction ne se prétend pas meilleure. Car l’idée est moins celle de tourner précautionneusement ses regards autour de soi (cf. la circonspection au sens moral  , ou surtout Descartes  , Principia, I, XIII, AT VIII-1, p. 9, l. 13-15 : « mens   undiquaque circumspicit ut cognitionem suam ulterius extendat ») que d’avoir toujours déjà « des yeux » pour le monde ambiant. En outre, ce « pour » est plus essentiel encore que le « autour », et c’est bien pourquoi Heidegger, à la phrase précédente, a annoncé le mot Umsicht par la notion de pour… (Um-zu  ). On pourrait donc évoquer ici encore notre verbe « pourvoir », comme nous l’avions fait plus haut (n. à la p. [57]) à propos de l’expression Besorgen  , préoccupation. Bref, c’est simplement l’idée d’une « multiplicité de renvois » qui nous à paru recommander, mais non pas imposer, le terme de circon-spection, tandis que celle de prévoyance est déjà contenue dans le concept de « préoccupation ».]. ETEM §15 [EtreTemps15]

Toutefois, la nature ne saurait être ici comprise comme ce qui est sans plus sous-la-main, et pas davantage comme puissance naturelle. La forêt est réserve de bois, la montagne est carrière de pierre, la rivière est force hydraulique, le vent est vent « dans les voiles ». Avec la découverte du « monde ambiant » vient à notre encontre une « nature » ainsi découverte. Il peut être fait abstraction de son mode d’être en tant qu’étant à-portée-de-la-main, elle-même peut n’être découverte et déterminée que dans son PUR être-sous-la-main. Mais à une telle découverte de la nature demeure également retirée la nature comme ce qui « croit et vit », qui nous assaille, nous captive en tant que paysage. Les plantes du botaniste ne sont pas les fleurs du sentier, les « sources » géographiquement situées d’un fleuve ne sont pas sa « source jaillissante ». ETEM §15 [EtreTemps15]

L’ouvrage produit ne renvoie pas seulement au pour… de son employabilité et à ce dont il est constitué : dans les conditions les plus simples de sa fabrication, il contient en même temps un renvoi à celui qui le portera et l’utilisera. L’ouvrage est taillé à sa mesure, il « est » [71] co-présent dans la naissance de l’ouvrage. Même dans la production en série, ce renvoi constitutif n’est nullement absent ; il est seulement indéterminé, il est dirigé vers n’importe qui, vers la moyenne. Dans l’ouvrage, par conséquent, ne vient pas seulement à notre rencontre de l’étant qui est à-portée-de-la-main, mais aussi de l’étant ayant le mode d’être du Dasein, pour qui le produit vient à-portée-de-la-main au sein   de sa préoccupation ; et du même coup fait encontre le monde où vivent les usagers - notre monde. L’ouvrage à chaque fois produit par la préoccupation n’est pas seulement à-portée-de-la-main dans le monde domestique - celui de l’atelier, par exemple -, mais dans le monde public. Avec celui-ci est découverte et accessible à tous la nature du monde ambiant. Dans les voies, les routes, les points, les édifices, la nature est découverte d’une certaine manière grâce à la préoccupation. Un quai de gare couvert témoigne du mauvais temps, les éclairages publics de l’obscurité, c’est-à-dire du change spécifique de la présence et de l’absence du jour - de la « position du soleil ». Dans les horloges, il est à chaque fois tenu compte d’une certaine constellation dans le système du monde. Lorsque nous regardons l’heure, nous faisons tacitement usage de la « position du soleil » d’après laquelle est établie la régulation astronomique officielle de la mesure du temps. Dans l’emploi de l’horloge, de cet étant tout d’abord à-portée-de-la-main sans s’imposer à l’attention, la nature du monde ambiant est conjointement à-portée-de-la-main. À chaque fois, la préoccupation s’identifie à son monde d’ouvrage prochain, et il est essentiel à la fonction découvrante de cette identification que, suivant la modalité que celle-ci revêt à chaque fois, l’étant intramondain engagé dans le travail - c’est-à-dire dans les renvois qui le constituent - demeure découvrable selon divers degrés d’explicitation et conformément à la profondeur avec laquelle la circon-spection le pénètre. Le mode d’être de cet étant est l’être-à-portée-de-la-main. Celui-ci, toutefois, ne doit pas être compris comme un simple caractère d’appréhensibilité, comme si un « étant » rencontré de prime abord se chargeait après coup d’« aspects », ou comme si une matière du monde de prime abord sous-la-main recevait une « coloration subjective ». Une interprétation ainsi orientée perd de vue que, pour être exacte, il faudrait que l’étant fût d’abord entendu et découvert comme du PUR sous-la-main qui, ensuite, devrait garder la primauté et le commandement au fur et à mesure que l’usage découvrirait et s’approprierait le « monde ». Mais pareille conception répugne déjà au sens ontologique du connaître qui, comme nous l’avons mis en évidence, est un mode fondé de l’être-au-monde. C’est seulement en passant par l’étant à-portée-de-la-main dans l’usage et en le dépassant que le connaître peut aller jusqu’à dégager l’étant en tant que sans plus sous-la-main. L’être-à-portée-de-la-main est la détermination ontologico-catégoriale de l’étant tel qu’il est, « en soi ». Et pourtant, dira-t-on, de l’à-portée-de-la-main, il « n’y en a » que sur la base du sous-la-main. Mais s’ensuit-il - si l’on concède la thèse - que l’être-à-portée-de-la-main soit ontologiquement fondé dans l’être-sous-la-main ? ETEM §15 [EtreTemps15]

À la quotidienneté de l’être-au-monde appartiennent des modes de préoccupation qui [73] font apparaître l’étant dont le Dasein se préoccupe de manière telle que c’est alors la mondialité [NT: « Mondialité » : le mot allemand dit littéralement : conformité au monde, propriété d’être à la mesure du monde. On ne confondra pas cette détermination avec la mondanéité du Dasein, ou du monde « lui-même ».] de l’intramondain qui vient au paraître. Dans la préoccupation, l’étant de prime abord à-portée-de-la-main peut être rencontré comme inutilisable, comme impropre à son emploi déterminé. L’instrument de travail apparaît endommagé, le matériau inapproprié. L’outil, en tout état de cause, demeure alors à-portée-de-la-main : mais ce qui découvre l’inemployabilité, ce n’est pas la constatation avisante de telles ou telles propriétés, mais la circon-spection propre à l’usage qui utilise. En une telle découverte de l’inemployabilité, l’outil s’impose. L’imposition [NT: Imposition, insistance, saturation. BW traduisaient les trois termes allemands employés dans cette page : Auffälligkeit  , Aufdringlichkeit  , Aufsässigkeit   (non néologiques) par « attention », « importunité » et « persévération », ce qui est sans doute plus conforme aux indications du dictionnaire, mais non pas à l’esprit de la présente analyse, dans la mesure où ces trois déterminations concernent moins l’« expérience » de l’outil par le « sujet » que l’outil lui-même selon que, tout en s’effaçant, il apparaît pour la dernière - ou plutôt pour la première - fois. Il faut ici respecter, en d’autres termes, le fait que l’être-sous-la-main, s’il transparaît, ne devient pas pour autant considérativement thématique. Le marteau mal emmanché, le marteau sans clous, le marteau et les clous rencontrant l’obstacle d’un noeud dans le bois, bien loin de retenir mon attention, de m’être importuns, de m’imposer leur persévération - ce qui est évidemment exact, mais secondaire ici - demeurent si bien à-portée-de-la-main que c’est alors justement que leur être-à-portée-de-la-main s’annonce  .] donne l’outil à-portée-de-la-main sous la figure d’un certain ne-pas-être-à-portée-de-la-main. Or cela implique ceci : l’inutilisable gît simplement là - il se montre comme chose-outil qui a tel ou tel aspect et qui, en son être-à-portée-de-la-main, manifeste par cet aspect qu’elle était aussi et constamment sous-la-main. Le PUR être-sous-la-main s’annonce dans l’outil, pour ensuite cependant se retirer à nouveau dans l’être-à-portée-de-la-main d’un étant dont on se préoccupe, en se sens qu’on le remet en état. Cet être-sous-la-main de l’inutilisable n’est pas encore PURement et simplement privé de tout être-à-portée-de-la-main, l’outil ainsi sous-la-main n’est pas encore une chose qui surviendrait seulement quelque part. La dégradation de l’outil n’est pas encore un simple changement chosique, une simple mutation de propriétés survenant dans un étant sous-la-main. ETEM §16 [EtreTemps16]

[91] La figure est un mode de l’extensio, mais autant vaut du mouvement ; car le motus   n’est saisi que « si de nullo nisi locali cogitemus ac de vi a qua excitatur non inquiramus » [NA: Id., 65, p. 32; NT: (« …si nous ne songeons à aucun autre mouvement que le mouvement local et ne recherchons point la force par lequel il est provoqué. »)]. Si le mouvement est une propriété étante de la res corporea, alors, pour devenir expérimentable en son être, il doit nécessairement être compris à partir de l’être de cet étant même, à partir de l’extensio, c’est-à-dire comme PUR changement de lieu. Une notion comme la « force » n’apporte rien à la détermination de l’être de cet étant. Quant à des déterminations comme durities, pondus, color, elles peuvent être ôtées de la matière sans qu’elle cesse d’être ce qu’elle est. Ces déterminations ne constituent en rien son être propre, et, pour autant qu’elles soient, elles se révèlent être des modi   de l’extensio. C’est ce que Descartes tente de montrer en détail à propos de la « dureté » : « Nam, quantum ad duritiem, nihil   aliud de illa sensus nobis indicat, quam partes durorum corporum resistere motui manuum nostrarum, cum in illas incurrunt. Si enim, quotiescumque manus nostrae versus aliquam partem moventur, corpora   omnia ibi existentia   recederent eadem celeritate qua illae accedunt, nullam unquam duritiem sentiremus. Nec ullo mode potest intelligi, corpora quae sic recederent, idcirco naturam corporis esse amissura ; nec proinde ipsa in duritie consistit » [NA: Id., II, 4, p. 42; NT : (« Car, pour la dureté, tout ce que nous indique le sens à son sujet, c’est que les parties des corps durs résistent au mouvement de nos mains lorsqu’elles s’y portent. En effet, si à chaque fois que nous portions nos mains vers quelque part, les corps qui s’y trouvent se retiraient à la même vitesse qu’elles en approchent, nous ne sentirions jamais de dureté. Néanmoins, l’on ne peut concevoir en aucune manière que les corps qui se retireraient ainsi doivent perdre pour autant leur nature de corps ; par conséquent, celle-ci ne consiste point dans la dureté. »)]. La dureté est expérimentée dans le toucher. Or que nous « dit » le sens du toucher sur la dureté ? Les parties de la chose dure « résistent » au mouvement de la main, par exemple, à la volonté de les repousser. Si au contraire les corps durs - c’est-à-dire « immobiles » - modifiaient leur lieu à la même vitesse que celle à laquelle s’accomplit le changement de lieu de la main qui « se porte sur » les corps, alors aucun contact ne pourrait se produire, la dureté ne serait jamais expérimentée, donc elle ne serait jamais. Mais l’on ne voit en aucune manière pourquoi par exemple les corps qui reculent à cette vitesse devraient pour autant perdre quelque chose de leur être-corps. S’ils conservent celui-ci même en changeant leur vitesse, de telle manière que devienne impossible quelque chose comme la « dureté », alors c’est que celle-ci n’appartient pas non plus à l’être de ces étants. « Eademque ratione ostendi potest et pondus, et colorem, et alias omnes ejusmodi qualitates, quae in materia corporea sentiuntur, ex ea tolli posse, ipsa integra remanente : unde sequitur, a nulla ex illis eius (scil. extensionis) naturam dependere » [NA: Ibid.; NT : (« Et par la même raison il peut être montré que le poids, la couleur et toutes les qualités de cette sorte qui sont senties dans la matière corporelle en peuvent être ôtés sans préjudice pour l’intégrité de celle-ci d’où il suit que sa nature (scil. de l’extension) ne dépend d’aucune d’entre elles. »)]. Ce qui constitue donc l’être de la res corporea, c’est l’extensio, l’« omnimodo divisibile, figurabile et mobile », ce qui peut se modifier selon tout mode de divisibilité, de configuration et de [92] mouvement, le « capax mutationum » qui se maintient dans toutes ces modifications, qui remanet. Ce qui dans la chose corporelle suffit à assurer une telle demeurance constante, voilà le véritablement étant en elle, voilà ce qui par conséquent caractérise la substantialité de cette substance. ETEM §19 [EtreTemps19]

Et pourtant, même abstraction faite du problème spécifique du monde, peut-on espérer accéder ontologiquement par cette voie à l’être de l’étant qui fait de prime abord encontre dans le monde ambiant ? En se référant à la choséité matérielle, n’a-t-on pas déjà posé tacitement un sens de l’être - l’être-sous-la-main chosique constant - auquel l’équipement après coup de l’étant à l’aide de prédicats axiologiques apportera ensuite si peu un complément ontologique que ces caractères de valeur, au contraire, ne demeurent eux-mêmes que des déterminités ontiques d’un étant qui a le mode d’être de la chose ? L’ajout de prédicats axiologiques n’est pas le moins du monde capable de nous apporter de nouvelle révélation sur l’être des « biens », s’il est vrai qu’il ne fait que présupposer à nouveau pour eux le mode d’être du PUR être-sous-la-main. Des valeurs sont des déterminités sous-la-main d’une chose. Elles ne tiennent finalement leur origine ontologique que de la position préalable de la réalité chosique comme couche fondamentale. Or l’expérience préphénoménologique nous montre déjà dans l’étant prétendument chosique quelque chose que la choséité ne parvient pas à rendre pleinement compréhensible. L’être chosique, par conséquent, a besoin d’un complément. Que signifie donc ontologiquement l’être des valeurs, ou leur « validité » que Lotze   interprétait comme un mode d’« affirmation » ? Que signifie ontologiquement cette « adhérence » des valeurs aux choses ? Tant que ces déterminations demeurent dans l’obscurité, la reconstruction de la chose d’usage à partir de la chose naturelle ne peut apparaître que comme une opération ontologiquement discutable, indépendamment même de l’inversion fondamentale de la problématique qu’elle représente. Car cette reconstruction de la chose d’usage que l’on a d’abord « dépouillée » n’a-t-elle pas toujours déjà besoin du regard préalable, positif sur le phénomène dont la totalité doit être reproduite dans la reconstruction ? Car si la constitution d’être la plus propre de celui-ci n’est pas d’abord adéquatement explicitée, alors la reconstruction ne reconstruit-elle point sans le moindre plan ? Dans la mesure où cette reconstruction et ce « complément » de l’ontologie traditionnelle du « monde » atteint pour résultat ce même étant dont était partie notre analyse [100] antérieure de l’être-à-portée-de-la-main de l’outil et de la totalité de tournure, elle crée l’illusion   que l’être de cet étant serait en effet éclairci, ou tout au moins pris comme problème. Mais aussi peu Descartes, grâce à l’extensio comme proprietas, touche à l’être de la substance, tout aussi peu le recours à des propriétés « axiologiques » est capable de porter seulement sous le regard l’être comme être-à-portée-de-la-main, et encore moins de faire de lui un thème proprement ontologique. ETEM §21 [EtreTemps21]

L’espace ainsi ouvert avec la mondanéité du monde n’a encore rien à voir avec la PURe multiplicité des trois dimensions. Dans cette ouverture prochaine, l’espace demeure encore en retrait en tant que PUR « où » de toute ordination métrique d’emplacements ou détermination métrique de situations. Ce vers-quoi l’espace est d’emblée découvert dans le Dasein, nous l’avons déjà indiqué avec le phénomène de la contrée. Nous comprenons celle-ci comme le vers-où de la destination possible du complexe à-portée-de-la-main d’outils, lequel doit pouvoir faire encontre en tant qu’orienté-é-loigné, c’est-à-dire placé. La destination se [111] détermine à partir de la significativité constitutive du monde et articule, à l’intérieur du vers-où possible, le vers-ici et le vers-là-bas. Le vers-où en général est pré-dessiné par la totalité de renvois fixée dans un en-vue-de-quoi de la préoccupation, totalité à l’intérieur de laquelle le laisser-retourner libérant se renvoie. Avec ce qui fait encontre comme à-portée-de-la-main, il retourne à chaque fois d’une contrée. À la totalité de tournure, qui constitue l’être de l’à-portée-de-la-main intramondain, appartient une tournure spatiale « en-contrée ». Sur sa base, l’à-portée-de-la-main devient trouvable et déterminable selon la forme et la direction. Selon la transparence à chaque fois possible de la circon-spection préoccupée, l’à-portée-de-la-main intramondain est é-loigné et orienté avec l’être factice du Dasein. ETEM §24 [EtreTemps24]

La spatialité de l’étant de prime abord rencontré de manière circon-specte peut devenir [112] thématique pour la circon-spection elle-même et être prise ainsi pour objet de calcul et de mesure, par exemple dans la construction d’une maison ou l’arpentage. Dans cette thématisation encore avant tout circon-specte de la spatialité du monde ambiant, l’espace vient déjà en lui-même d’une certaine manière sous le regard. À l’espace ainsi manifesté, le PUR avisement peut s’attacher, en sacrifiant la possibilité auparavant unique d’accès à l’espace, le « compte tenu » par la circon-spection. L’« intuition formelle » de l’espace découvre les possibilités PURes de relations spatiales. Ici se présente toute une hiérarchie dans la libération de l’espace PUR, homogène, depuis la morphologie PURe des figures spatiales requise par une analysis situs jusqu’à la science PURement métrique de l’espace. La considération de ces rapports entre disciplines n’appartient pas à notre recherche [NA: Cf. O. BECKER, Beiträge zur phänomenologischen Begründung   der Geometrie   und ihrer physikalischen Anwendungen, dans le présent Jahrbuch für Philosophie  , t. VI, 1923, p. 385 sq.]. Dans le cadre de la problématique qui est la sienne, il convenait simplement de fixer ontologiquement le sol phénoménal sur lequel s’amorce la découverte et l’élaboration thématique de l’espace PUR. ETEM §24 [EtreTemps24]

Au Dasein, conformément à son être-au-monde, de l’espace découvert est à chaque fois - bien que non thématiquement - prédonné. L’espace en lui-même, en revanche, demeure de prime abord encore recouvert quant aux possibilités PURes, contenues en lui, de PUR être-spatial de quelque chose. Que l’espace se montre essentiellement dans un monde, cela ne décide encore rien sur la modalité de son être. Il n’a pas besoin d’avoir le mode d’être d’un étant lui-même sous-la-main ou à-portée-de-la-main spatialement. De ce que l’être de l’espace ne peut pas lui-même être compris selon le mode d’être de la res extensa  , il ne s’ensuit ni qu’il doive être ontologiquement déterminé comme un « phénomène » de cette res - auquel [113] cas il ne se distinguerait pas d’elle en son être -, ni même que l’être de l’espace puisse être identifié à celui de la res cogitans   et conçu comme simplement « subjectif », cela étant dit abstraction faite de la problématicité propre de l’être de ce sujet. ETEM §24 [EtreTemps24]

N’est-il pas, cependant, contraire à toutes les règles d’une saine méthode de refuser de donner pour point de départ à une problématique les données évidentes de son domaine thématique ? Et que peut-il y avoir de plus indubitable que la donation du Moi ? Plus encore, cette donnée première ne prescrit-elle pas d’elle-même à toute tentative de l’élaborer originairement de faire avant tout abstraction de tout le reste du « donné », non seulement d’un « monde » existant, mais encore de l’être d’autres « Moi » ? Nous répondons : il est bien possible en effet que ce que donne ce mode de donation, à savoir l’accueil PUR et simple, formel, réflexif du « Moi », soit évident ; et il est non moins vrai qu’une telle aperception ouvre l’accès à une problématique phénoménologique spécifique qui, sous le titre de « phénoménologie formelle de la conscience », possède sa signification architectonique fondamentale. ETEM §25 [EtreTemps25]

La « préoccupation » pour la nourriture et le vêtement, les soins donnés au corps malade sont eux aussi sollicitude. Toutefois, nous comprenons cette expression, comme c’était le cas pour notre usage terminologique de la « préoccupation », comme un existential. La sollicitude sous la forme factice et sociale de l’« assistance », par exemple, se fonde dans la constitution d’être du Dasein comme être-avec. Son urgence factice est motivée par le fait que le Dasein se tient de prime abord et le plus souvent dans les modes déficients de la sollicitude. Être pour, contre, sans… les uns les autres, passer indifféremment les uns à côté des autres, ce sont là des guises possibles de la sollicitude. Et précisément, les modes cités en dernier lieu de la déficience et de l’indifférence caractérisent l’être-l’un-avec-l’autre quotidien et moyen. Ces modes d’être manifestent derechef le caractère de non-imposition et d’« évidence » qui échoit tout aussi bien à l’être-Là-avec quotidien intramondain d’autrui qu’à l’être-à-portée-de-la-main de l’outil dont on se préoccupe chaque jour. Ces modes indifférents de l’être-l’un-avec-l’autre peuvent aisément conduire l’interprétation ontologique à expliciter de prime abord cet être au sens du PUR être-sous-la-main de plusieurs sujets. Apparemment, il ne s’agit que de variantes infimes de ce même mode d’être, et pourtant, entre la survenance ensemble « indifférente » de choses quelconques et l’indifférence propre à des étants qui sont l’un avec [122] l’autre, la différence est essentielle. ETEM §26 [EtreTemps26]

Si l’être de l’être-l’un-avec-l’autre quotidien, qui apparemment se rapproche ontologiquement du PUR être-sous-la-main, s’en distingue en réalité fondamentalement, il sera encore plus impossible de comprendre l’être du Soi-même authentique comme être-sous-la-main. L’être-Soi-même authentique ne repose pas sur un état d’exception du sujet dégagé du On, mais il est une modification existentielle du On comme existential essentiel. ETEM §27 [EtreTemps27]

Dans l’être-intoné, le Dasein est toujours déjà tonalement ouvert comme cet étant à qui le Dasein a été remis en son être comme être [NT: als dem Sein, das… : « être » est ici encore au datif, mais, pour éviter le charabia de BW, je traduis quant au sens. De toute façon, lieu et objet de ladite remise sont identiques.] qu’il a à être en existant. Mais « ouvert » ne signifie pas connu comme tel, et c’est justement dans la quotidienneté la plus indifférente et la plus anodine que l’être du Dasein peut percer dans la nudité de [cela] « qu’il est et a à être ». Ce PUR « qu’il est » se montre, mais son « d’où » et son « vers où » restent dans l’obscurité. Que le Dasein ne « cède » pas si quotidiennement à de telles tonalités, autrement dit qu’il ne [135] suive [NT: En l’occurrence : ne la prenne pas réflexivement en considération (nachgehen)] pas leur ouverture et ne se laisse pas transporter devant ce qu’elles ouvrent, cela n’est nullement une preuve contre l’état-de-fait phénoménal de l’ouverture tonale de l’être du Là en son « que », mais au contraire en sa faveur. La plupart du temps, le Dasein esquive ontico-existentiellement l’être ouvert dans la tonalité ; mais ce que cela signifie ontologico-existentialement, c’est ceci : dans ce vers quoi une telle tonalité ne se tourne pas, le Dasein est dévoilé dans son être-remis au Là. Dans l’esquive elle-même, le Là est en tant qu’ouvert. ETEM §29 [EtreTemps29]

Ce serait totalement méconnaître en son contenu phénoménal ce que la tonalité ouvre, et comment, que de vouloir rapprocher de ce qui est ainsi ouvert ce que le Dasein in-toné connaît, sait ou croit « en même temps ». Même lorsque le Dasein, dans la foi, est « sûr » de [136] sa « destination », ou croit tenir de lumières rationnelles un savoir de son origine, ces certitudes ne changent rien au fait phénoménal que la tonalité met le Dasein devant le « que » de son Là où celui-ci lui fait face en son inexorable énigme. Du point de vue ontologico-existential, il n’y a pas le moindre motif de réduire l’« évidence » de l’affection en la mesurant à la certitude apodictique d’une connaissance théorique du PUR sous-la-main. Quant à la falsification des phénomènes qui s’applique à les rejeter dans la région de l’irrationnel, elle n’est en rien moins grave. L’irrationalisme, simple contre-jeu du rationalisme, ne fait que parler en borgne de ce à quoi celui-ci est aveugle. ETEM §29 [EtreTemps29]

Et c’est seulement parce que les « sens » appartiennent ontologiquement à un étant qui a le mode d’être de l’être-au-monde affecté qu’ils peuvent être « touchés » et « avoir du sens pour… » de telle manière que ce qui touche se montre dans l’« affection » [NT: Ici au sens courant d’impression sensible, d’où les guillemets du traducteur.]. Quelque chose comme de l’« affection sensible » ne pourrait se produire, même sous l’effet de la pression et de la résistance la plus forte, cette résistance demeurerait essentiellement recouverte si l’être-au-monde affecté ne s’était déjà assigné à une abordabilité - prédessinée par des tonalités - par l’étant intramondain. L’affection inclut existentialement une assignation ouvrante au monde à partir duquel de l’étant abordant peut faire encontre. En fait, nous devons, du point [138] de vue ontologique, confier fondamentalement la découverte primaire du monde à la « simple tonalité ». Un PUR intuitionner, quand bien même il pénétrerait jusqu’aux veines les plus profondes de l’être d’un étant sous-la-main, serait incapable de découvrir quelque chose comme une menace. ETEM §29 [EtreTemps29]

Que la circon-spection quotidienne, sur la base de l’affection primairement ouvrante, se méprenne, qu’elle succombe largement à l’illusion, ce fait, mesuré à l’idée d’une connaissance absolue du « monde », est un me on. Seulement, la positivité existentiale de cette capacité d’illusion est radicalement méconnue par de telles valorisations ontologiquement arbitraires. Car c’est justement dans la vision inconstante, tonalement fluctuante du « monde » que l’à-portée-de-la-main se montre dans sa mondanéité spécifique, qui jamais n’est tous les jours la même. L’avisement théorique a toujours obnubilé le monde dans l’uniformité du PUR sous-la-main, uniformité au sein de laquelle, naturellement, est renfermée une nouvelle richesse de l’étant en tant que découvrable pour le déterminer PUR. Et pourtant, même la theoria   la plus PURe n’a pas laissé toute tonalité derrière elle ; même à son avisement propre, le sans plus sous-la-main ne se montre en son PUR aspect que lorsque, dans le séjour calme auprès de…, elle peut le laisser advenir à elle dans la rhastone et la diagoge [NA: Cf. ARISTOTE, Met., A 2, 982 b 22 sq.]. - Cela dit, l’on ne confondra pas notre mise en lumière de la constitution ontologico-existentiale du déterminer cognitif dans l’affection de l’être-au-monde avec une tentative pour livrer ontiquement la science au « sentiment ». ETEM §29 [EtreTemps29]

L’expression « vue » doit naturellement être préservée d’un contresens. Elle caractérise [147] l’être-éclairci comme quoi nous avions caractérisé l’ouverture du Là. Non seulement ce « voir » ne désigne pas la perception par les yeux du corps, mais encore il n’a rien à voir avec le PUR accueil non-sensible d’un sous-la-main en son être-sous-la-main. Seule importe à la signification existentiale de la vue cette propriété spécifique du voir : il laisse faire encontre en lui-même à découvert l’étant qui lui est accessible. Ce que fait évidemment chaque « sens » à l’intérieur de son domaine natif de découverte. D’ailleurs, la tradition   de la philosophie, depuis son début, est primairement orientée sur le « voir » comme mode d’accès à l’étant et à l’être. Afin de maintenir la connexion avec elle, on peut formaliser les concepts de vue et de voir de manière à les prendre comme des termes universels caractérisant tout accès - en tant qu’accès en général - à l’étant et à l’être. ETEM §31 [EtreTemps31]

Montrer que toute vue se fonde primairement dans le comprendre - la circon-spection de la préoccupation est le comprendre comme entente - revient à enlever au PUR intuitionner sa primauté, laquelle correspond noétiquement à la primauté ontologique traditionnelle du sous-la-main. « Intuition » et « pensée » sont déjà toutes deux des dérivés lointains du comprendre. Même la « vision des essences » phénoménologique se fonde dans le comprendre existential. Sur un tel mode de vision, il n’est possible de trancher qu’à condition que soient conquis les concepts explicites de l’être et de la structure d’être où seulement des phénomènes peuvent revêtir leur sens phénoménologique. ETEM §31 [EtreTemps31]

À partir de la significativité ouverte dans la compréhension du monde, l’être préoccupé auprès de l’à-portée-de-la-main se donne à comprendre ce dont il peut à chaque fois retourner avec ce qui lui fait encontre. La circon-spection découvre, ce qui veut dire que le « monde » déjà compris est explicité. L’à-portée-de-la-main vient expressément à la vue compréhensive. [149] Accommoder, préparer, réparer, améliorer, compléter, tout cela s’accomplit en ex-plicitant en son pour… l’à-portée-de-la-main découvert par la circon-spection, et en s’en préoccupant conformément à cet être-ex-plicité devenu visible. L’étant ex-plicité comme tel par la circon-spection en son pour…, expressément compris, a la structure du quelque chose comme quelque chose. À la question circon-specte : qu’est cet à-portée-de-la-main déterminé ?, la réponse explicitante correspondante est : il est pour… L’indication du pour… n’est pas simplement la nomination de quelque chose, mais le nommé est compris comme ce comme quoi ce qui est en question doit être pris. Ce qui est ouvert dans le comprendre, ce qui est compris est toujours déjà accessible de telle manière qu’en lui son « comme quoi » puisse être expressément dégagé. Le « comme » constitue la structure de l’expressivité de ce qui est compris ; il constitue l’explicitation. L’usage circon-spect-explicitatif de l’à-portée-de-la-main intramondain, qui « voit » celui-ci comme table, porte, voiture, pont, n’a pas nécessairement besoin d’ex-pliciter déjà dans un énoncé déterminant l’étant ainsi explicité par la circon-spection. Tout voir PUR et simple anté-prédicatif de l’à-portée-de-la-main est déjà en lui-même compréhensif-explicitatif. Mais, dira-t-on, n’est-ce pas le défaut de ce « comme » qui constitue la « PUReté » d’un PUR accueil de quelque chose ? En réalité, le voir de cette vue est à chaque fois déjà compréhensif-explicitatif. Il abrite en soi l’expressivité des rapports de renvoi (du pour…) qui appartiennent à la totalité de tournure à partir de laquelle l’étant PURement et simplement rencontré est compris. L’articulation du compris dans l’approchement explicitatif de l’étant au fil conducteur du « quelque chose comme quelque chose » est antérieure à l’énoncé thématique sur lui. Bien loin de ne surgit qu’en celui-ci, le « comme » est seulement pour la première fois ex-primé, ce qui n’est possible que pour autant qu’il est déjà là en tant qu’ex-primable. Que l’expressivité d’un énoncé puisse faire défaut dans l’avisement PUR et simple, cela n’autorise pas à dénier à ce PUR et simple voir toute explicitation articulante, donc la structure du « comme ». Le voir PUR et simple des choses les plus proches dans l’avoir affaire avec… inclut si originairement la structure d’explicitation que la saisie de quelque chose comme-libre, pour ainsi dire, a justement besoin d’une certaine inversion de sens. Dans le PUR regard qui fixe, l’avoir-devant-soi-sans-plus-quelque-chose est présent, en tant que ne-plus-comprendre [NT: Autrement dit : pour avoir simplement quelque chose devant soi, et ainsi pouvoir le fixer uniquement du regard, il faut ne plus le comprendre, ce qui veut dire que le comprendre est antérieur à la saisie de quelque chose comme « libre ».]. Cette saisie-comme-libre est une privation du voir PURement et simplement compréhensif, elle n’est pas plus originaire que lui, mais en dérive. Le fait ontique que le « comme » ne soit pas exprimé ne doit pas conduire à le méconnaître en tant que constitution existentiale apriorique du comprendre. ETEM §32 [EtreTemps32]

Mais si tout percevoir d’un outil à-portée-de-la-main est déjà compréhensif-explicitatif, s’il laisse de manière circon-specte quelque chose faire encontre comme quelque chose, cela ne veut-il pas dire justement qu’est d’abord expérimenté un PUR sous-la-main, qui n’est [150] appréhendé qu’ensuite comme porte ou comme maison ? Mais voir les choses ainsi serait prendre à contresens la fonction spécifique d’ouverture de l’explicitation. Car elle ne jette pas, pour ainsi dire, une « signification » sur la nudité du sous-la-main, elle n’y accole pas une valeur : au contraire, avec l’étant rencontré à l’intérieur du monde comme tel, il retourne à chaque fois de…, et c’est cette tournure, ouverte dans la compréhension du monde, qui est ex-plicitée par l’explicitation. ETEM §32 [EtreTemps32]

En revanche, il est déjà besoin d’une attitude fort artificielle et compliquée pour [164] « entendre » un « PUR bruit ». Mais que nous entendions de prime abord des motocyclettes et des voitures, c’est la preuve phénoménale que le Dasein en tant qu’être-au-monde séjourne à chaque fois déjà auprès de l’à-portée-de-la-main intramondain, et non pas d’abord auprès de « sensations » dont le « fouillis » devrait être préalablement mis en forme pour confectionner le tremplin permettant au sujet d’atteindre enfin un « monde ». En tant qu’essentiellement compréhensif, le Dasein est de prime abord auprès de ce qu’il comprend. ETEM §34 [EtreTemps34]

Or la constitution fondamentale de la vue se manifeste dans une tendance d’être spécifique de la quotidienneté au « voir ». Cette tendance, nous la désignons par le terme de curiosité qui, de manière significative, n’est pas restreint au voir et exprime la tendance à un laisser-faire-encontre accueillant spécifique du monde. Nous interprétons ce phénomène dans une visée ontologico-existentiale fondamentale, c’est-à-dire sans adopter la perspective étroite du connaître, qui, ce qui n’a rien de fortuit, est conçu très tôt dans la philosophie grecque à partir du « désir de voir ». L’essai qui, dans la collection des traités d’ontologie d’Aristote, vient en tête, commence par cette phrase : pantes anthropoi tou eidenai oregontai phusei [NA: Met., A 1, 980 a 21.] [171] : « Dans l’être de l’homme, il y a essentiellement le souci du voir ». Et cette phrase introduit une recherche qui tente de mettre à découvert l’origine de l’investigation scientifique de l’étant et de son être à partir du mode d’être cité du Dasein. Cette interprétation grecque de la genèse existentiale de la science n’est point due au hasard. Ce qui accède en elle à la compréhension explicite, c’est ce qui était pré-dessiné dans la proposition de Parménide : to gar auto noein estin te kai einai : l’être est ce qui se montre dans l’accueil intuitif PUR, et seul un tel voir découvre l’être. La vérité originaire et authentique réside dans l’intuition PURe. Cette thèse demeurera par la suite le fondement de la philosophie occidentale. La dialectique hegélienne y trouve son motif, et elle n’est possible que sur sa base. ETEM §36 [EtreTemps36]

Par suite, il ne faut pas non plus concevoir l’être-échu du Dasein comme une « chute » depuis un « état primitif » plus PUR et plus élevé. De cela, en effet, non seulement nous n’avons ontiquement aucune expérience, mais encore, ontologiquement, nous n’avons aucune possibilité et aucun fil conducteur pour l’interpréter. ETEM §38 [EtreTemps38]

Ce pour-quoi [en-vue-de-quoi] l’angoisse s’angoisse se dévoile comme ce devant-quoi elle s’angoisse : l’être-au-monde. L’identité du devant-quoi de l’angoisse et de son pour-quoi s’étend même jusqu’au s’angoisser lui-même. Car celui-ci est en tant qu’affection un mode fondamental de l’être-au-monde. L’identité existentiale de l’ouvrir avec l’ouvert, identité telle qu’en cet ouvert le monde est ouvert comme monde, l’être-à comme pouvoir-être isolé, PUR, jeté, atteste qu’avec le phénomène de l’angoisse c’est une affection insigne qui est devenue le thème de l’interprétation. L’angoisse isole et ouvre ainsi le Dasein comme « solus ipse ». Ce « solipsisme » existential, pourtant, transporte si peu une chose-sujet isolée dans le vide indifférent d’une survenance sans-monde qu’il place au contraire le Dasein, en un sens extrême, devant son monde comme monde, et, du même coup, lui-même devant soi-même comme être-au-monde. ETEM §40 [EtreTemps40]

La réalité, en tant que titre ontologique, est rapportée à l’étant intramondain. Si ce titre sert de désignation pour ce mode d’être en général, c’est qu’être-à-portée-de-la-main et être-sous-la-main fonctionnent comme modes de la réalité. Au contraire, si on laisse au mot sa signification traditionnelle, il désigne alors l’être au sens du PUR être-sous-la-main chosique. Toutefois, tout être-sous-la-main n’est pas être-sous-la-main chosique. La « nature » qui nous « environne » et nous « embrasse » est sans doute de l’étant intramondain, mais elle ne manifeste ni le mode d’être de l’être-à-portée-de-la-main ni celui du sous-la-main selon la guise de la « choséité naturelle ». Mais de quelque manière que cet « être » de la nature puisse être interprété, il n’en reste pas moins que tous les modes d’être de l’étant intramondain sont ontologiquement fondés dans la mondanéité du monde, et, par là, dans le phénomène de l’être-au-monde. D’où il résulte cet aperçu : pas plus que la réalité n’a de primauté à l’intérieur des modes d’être de l’étant intramondain, pas davantage ce mode d’être ne peut-il adéquatement caractériser ontologiquement quelque chose comme le monde et le Dasein. ETEM §43 [EtreTemps43]

Aristote, en effet, n’a jamais défendu la thèse que le « lieu » originaire de la vérité est le [226] jugement. Bien plutôt dit-il que le logos est la guise d’être du Dasein qui peut être découvrante ou recouvrante. Cette double possibilité, voilà ce qui détermine de manière insigne l’être-vrai du logos : il est le comportement qui peut aussi recouvrir. Et comme Aristote n’a jamais affirmé la thèse citée, il ne s’est j.amais non plus trouvé dans la situation   d’« élargir » le concept de vérité du logos au PUR noein. La « vérité » de l’aisthesis et de la vision des « idées » est le découvrir originaire. Et c’est seulement parce que la noesis   découvre primairement que le logos comme dianoein peut aussi avoir une fonction de découverte. ETEM §44 [EtreTemps44]

Les idées d’un « moi PUR » et de « conscience en général » contiennent si peu l’a priori   de la subjectivité « effective » qu’elles manquent au contraire, ou même n’aperçoivent pas du tout les caractères ontologiques de la facticité et de la constitution d’être du Dasein. La récusation d’une « conscience en général » ne signifie pas la négation de l’a priori, pas plus d’ailleurs que la position d’un sujet idéalisé ne garantit l’a priori intrinsèque du Dasein. ETEM §44 [EtreTemps44]

L’être pour la mort est devancement dans un pouvoir-être de l’étant dont le mode d’être est le devancement même. Dans le dévoilement devançant de ce pouvoir-être, le Dasein s’ouvre à lui-même quant à sa possibilité extrême. Mais se projeter vers son pouvoir-être le plus propre veut dire : pouvoir se comprendre soi-même dans l’être de l’étant ainsi dévoilé : [263] exister. Le devancement se manifeste comme possibilité du comprendre du pouvoir-être extrême le plus propre, c’est-à-dire comme possibilité d’existence authentique. La constitution ontologique de celle-ci doit être rendue visible grâce au dégagement de la structure concrète du devancement dans la mort. Comment s’accomplit la délimitation phénoménale de cette structure ? Manifestement, en déterminant les caractères de l’ouvrir devançant qui doivent nécessairement lui appartenir pour qu’il puisse devenir le PUR comprendre de la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine et comme telle indéterminée. Mais il reste ici à considérer que le comprendre ne signifie pas primairement : fixer du regard un sens, mais se comprendre dans le pouvoir-être qui se dévoile dans le projet [NA: Cf. supra, §31, p. [142] sq.]. ETEM §53 [EtreTemps53]

Le troisième moment d’essence de l’ouverture est le parler. À l’appel comme parler originaire du Dasein ne correspond point un contre-parler - par exemple au sens d’une discussion débattant de ce que dit la conscience. L’entendre compréhensif de l’appel ne se refuse point le contre-parler parce qu’il serait assailli par une « puissance obscure » qui l’écraserait, mais parce qu’il s’approprie la teneur de l’appel en la découvrant. L’appel place devant l’être-en-dette constant et ramène ainsi le Soi-même du PUR bavardage de l’entente du On. Par suite, le mode de parler articulant qui appartient au vouloir-avoir-conscience est la ré-ticence. Le faire-silence a été caractérisé plus haut [NA: Cf. supra, §34, p. [164]] comme une possibilité essentielle du parler. Qui veut donner à comprendre en faisant-silence, doit « avoir quelque chose à dire ». Le Dasein, dans l’ad-vocation, se donne à comprendre son pouvoir-être le plus propre. Par suite, cet appeler est un faire-silence. Le parler de la conscience ne vient jamais à l’ébruitement. La conscience n’appelle qu’en faisant-silence, autrement dit l’appel provient de l’absence de bruit de l’étrang(èr)eté et rappelle le Dasein con-voqué, en tant qu’il lui incombe de devenir silencieux, au silence de lui-même. Le vouloir-avoir-conscience, ainsi, ne comprend ce parler silencieux de manière adéquate que dans la ré-ticence. Celle-ci ôte la parole au bavardage d’entendement du On. ETEM §60 [EtreTemps60]

Ce parler silencieux de la conscience, l’explicitation d’entendement de la conscience, qui « s’en tient strictement aux faits », en prend occasion pour affirmer que la conscience n’est absolument pas constatable et sous-la-main. Que l’on ne puisse, tandis que l’on entend et comprend un PUR bavardage, « constater » aucun appel, cette absence est attribuée à la conscience elle-même, comme une preuve qu’elle est « muette » et manifestement pas sous-la-main. Mais tout ce que fait le On avec cette explicitation, c’est recouvrir sa propre més-entente de l’appel et la portée trop courte de son « entendre » propre. ETEM §60 [EtreTemps60]

L’in-signifiance du monde ouverte dans l’angoisse dévoile la nullité de l’étant de la préoccupation, c’est-à-dire l’impossibilité de se projeter vers un pouvoir-être de l’existence qui serait primairement fondé en lui. Mais le dévoilement de cette impossibilité laisse en même temps luire la possibilité d’un pouvoir-être authentique. Or quel sens temporel ce dévoilement a-t-il ? L’angoisse s’angoisse pour le Dasein nu, en tant que jeté dans l’étrang(èr)eté. Elle reporte au PUR « que » de l’être-jeté isolé le plus propre. Ce re-port ne présente pas le caractère d’un oubli qui esquive, mais pas non plus celui d’un souvenir. D’autre part, l’angoisse inclut tout aussi peu déjà une assomption répétitrice de l’existence dans la décision. En revanche, l’angoisse re-porte à l’être-jeté comme être-jeté répétable possible. Et de ce fait, elle dévoile conjointement la possibilité d’un pouvoir-être authentique qui, dans la répétition, doit revenir en tant qu’ad-venant vers le Là jeté. Transporter devant la répétabilité, telle est la modalité ekstatique spécifique de l’être-été qui constitue l’affection de l’angoisse. ETEM §68 [EtreTemps68]

C’est seulement dans la mesure où du résistant est découvert sur la base de la temporalité ekstatique de la préoccupation que le Dasein factice peut se comprendre en son abandon à un « monde » dont il ne devient jamais maître. Même lorsque la préoccupation demeure restreinte à l’urgence de ce qui s’impose quotidiennement à elle, elle n’est pourtant jamais un PUR présentifier, mais jaillit d’un conserver attentif sur la base duquel - s’il n’est lui-même ce « fondement » - le Dasein existe en un monde. Par suite, le Dasein facticement existant s’y reconnaît toujours déjà d’une certaine manière dans un « monde » étranger. ETEM §69 [EtreTemps69]

Ce virage du maniement, de l’usage, etc. « pratiquement » circon-spect en investigation « théorique », il est d’abord tentant de le caractériser de la manière suivante : le PUR a-visement de l’étant prend naissance lorsque la préoccupation s’abstient de tout maniement. Le facteur décisif de la « formation » du comportement théorique se trouverait ainsi dans la disparition de la praxis  , et c’est même justement lorsque l’on pose la préoccupation « pratique » comme le mode d’être primaire et prédominant du Dasein factice que la « théorie » est considérée comme devant sa possibilité ontologique au défaut de la praxis, c’est-à-dire à une privation. Seulement, le suspens d’un maniement spécifique dans l’usage préoccupé ne laisse pas simplement derrière lui la circon-spection qui le guidait, à la manière [358] d’un résidu. Bien plutôt la préoccupation se déplace-t-elle proprement en une « PURe circon-spection ». Cependant, l’attitude « théorique » n’est encore nullement atteinte par là, au contraire : le séjour qui s’interrompt avec le maniement peut revêtir le caractère d’une circon-spection plus aiguë, et c’est la « considération », l’examen du résultat atteint, en tant que coup d’oeil d’ensemble sur le « chantier au repos ». L’abstention de l’usage de l’outil est si peu déjà « théorie » que la circon-spection séjournante, « considérative » demeure totalement attachée à l’outil offert à la préoccupation, à-portée-de-la-main. L’usage « pratique » a ses guises propres de séjour. Et de même qu’à la praxis revient sa vue (« théorie ») spécifique, de même la recherche théorique ne va pas sans une praxis à elle propre. La lecture des mesures en tant que résultat d’une expérimentation a souvent besoin d’un dispositif « technique » compliqué. L’observation au microscope est assignée à la production de « préparations ». Les fouilles archéologiques, préalables à l’interprétation de la « trouvaille », ne vont pas sans les plus grossières manipulations. Cependant, même l’élaboration « la plus abstraite » de certains problèmes, même la fixation du résultat acquis manie - par exemple - le crayon. Si « peu intéressants » et « évidents » que soient de tels éléments constitutifs de la recherche scientifique, ils ne sont pourtant rien moins qu’indifférents ontologiquement. On peut certes trouver circonstancié et superflu ce renvoi explicite au fait que le comportement scientifique comme guise de l’être-au-monde n’est pas seulement une « activité PURement spirituelle » - qui ne verrait pourtant d’après cette trivialité que l’endroit où passe la frontière ontologique entre comportements « théorique » et « athéorique » n’est nullement manifeste ! ETEM §69 [EtreTemps69]

Le projet scientifique de l’étant qui fait à chaque fois déjà encontre d’une manière ou d’une autre fait comprendre son mode d’être expressément, et cela de telle sorte que du même coup deviennent manifestes les voies possibles conduisant à la PURe découverte de l’étant intramondain. Le tout de ce projeter, auquel appartiennent l’articulation de la compréhension d’être, la délimitation - guidée par elle - du domaine réal et la pré-esquisse de la conceptualité adéquate à l’étant, nous le nommons la thématisation. Elle vise à une libération de l’étant rencontré à l’intérieur du monde permettant à celui-ci de s’« ob-jeter » à un PUR découvrir, c’est-à-dire de devenir objet. La thématisation objective. Elle ne « pose » pas tout d’abord l’étant, mais le libère de telle manière qu’il devient « objectivement » interrogeable et déterminable. L’être objectivant auprès du sous-la-main intramondain a le caractère d’une présentification privilégiée [NA: La thèse selon laquelle toute connaissance tend à l’« intuition » a le sens temporel suivant : tout connaître est présentifier. Toute science, ou même toute connaissance philosophique tend-elle à un présentifier ? La question doit demeurer encore indécise. - HUSSERL   utilise l’expression « présentifier » pour caractériser la perception sensible : cf. Recherches logiques, 1ère éd., 1901, t. II, p. 588 et 620. Une telle détermination « temporelle » du phénomène ne pouvait pas ne pas s’imposer à l’analyse intentionnelle de la perception et de l’intuition. Que et comment l’intentionnalité de la « conscience » se fonde sinon à son tour dans la temporalité ekstatique du Dasein, c’est ce que montrera notre prochaine section.]. Celle-ci se distingue avant tout du présent de la circon-spection en ceci que la découverte de la science concernée est uniquement attentive à l’être-découvert du sous-la-main. Ce s’attendre à l’être-découvert se fonde existentiellement en une résolution du Dasein par laquelle il se projette vers le pouvoir-être dans la « vérité ». Ce projet est possible parce que l’être-dans-la-vérité constitue une détermination d’existence du Dasein. Nous n’avons pas à poursuivre ici plus avant l’origine de la science à partir de l’existence authentique. Tout ce qu’il convient actuellement de comprendre, c’est que, et comment la thématisation de l’étant intramondain a pour présupposition la constitution fondamentale du Dasein, l’être-au-monde. ETEM §69 [EtreTemps69]

Que le fait de parler, au cours de l’interprétation existentiale, d’une déterminité « spatio-temporelle » du Dasein ne puisse signifier que cet étant se trouve « dans l’espace et aussi dans le temps », c’est ce qu’il n’est plus besoin d’élucider. La temporalité est le sens d’être du souci. La constitution du Dasein et ses guises d’être ne sont ontologiquement possibles que sur la base de la temporalité, abstraction faite de ce que cet étant survient - ou non - « dans le temps ». Mais alors, il faut que la spatialité spécifique du Dasein, elle aussi, se fonde dans la temporalité. D’un autre côté, la monstration que cette spatialité n’est existentialement possible que par la temporalité ne saurait avoir pour but de déduire l’espace du temps, voire de le dissoudre en PUR temps. Si la spatialité du Dasein est « embrassée » par la temporalité dans le sens d’une dérivation existentiale, cette connexion - qu’il nous faudra clarifier dans la suite - est alors elle-même différente de la primauté du temps sur l’espace entendue au sens du Kant  . Que les représentations empiriques de l’étant sous-la-main « dans l’espace » se déroulent, en tant qu’événements psychiques, « dans le temps », et que le « physique » survienne ainsi lui aussi médiatement « dans le temps » cela ne constitue nullement une interprétation ontologico-existentiale de l’espace en tant que forme de l’intuition, mais n’est que la constatation ontique du déroulement du psychiquement sous-la-main « dans le temps ». ETEM §70 [EtreTemps70]

La résolution où le Dasein revient vers lui-même ouvre les possibilités à chaque fois factices d’exister authentique à partir de l’héritage qu’elle assume en tant que jetée. Le retour résolu vers l’être-jeté abrite en soi un se-délivrer de [NT: Ce « de » est ici un génitif.] possibilités traditionnelles, quoique non pas nécessairement en tant que traditionnelles. Si tout « bien » est héritage et si le caractère de la « bonté » se trouve dans la possibilisation d’existence authentique, alors se constitue à chaque fois dans la résolution la délivrance d’un héritage. Plus authentiquement le Dasein se [384] résout, c’est-à-dire se comprend sans équivoque à partir de sa possibilité la plus propre, insigne dans le devancement vers la mort, et plus univoque et nécessaire est la trouvaille élective de la possibilité de son existence. Seul le devancement dans la mort expulse toute possibilité arbitraire et « provisoire » ; seul l’être-libre pour la mort donne au Dasein son but PUR et simple et rejette l’existence dans sa finitude. La finitude saisie de l’existence arrache à la multiplicité sans fin des possibilités immédiatement offertes de la complaisance, de la légèreté, de la dérobade et transporte le Dasein dans la simplicité de son destin. Par ce terme, nous désignons le provenir originaire du Dasein, inclus dans la résolution authentique, où, libre pour la mort, il se délivre à lui-même en une possibilité héritée et néanmoins choisie. ETEM §74 [EtreTemps74]

Nous obtiendrons la réponse si nous en revenons à la pleine structure d’essence du temps du monde, et si nous lui comparons ce que la compréhension vulgaire du temps connaît. À titre de premier moment essentiel du temps de la préoccupation, nous avions dégagé la databilité. Elle se fonde dans la constitution ekstatique de la temporalité. Le « maintenant » est essentiellement maintenant que… Le maintenant compris dans la préoccupation, saisi - quoique non pas comme tel -, datable est à chaque fois un maintenant approprié ou inapproprié. À la structure du maintenant appartient la significativité. C’est pourquoi nous appelions le temps de la préoccupation temps du monde. Or dans l’explicitation vulgaire du temps comme suite de maintenant fait défaut aussi bien la databilité que, aussi, la significativité. La caractérisation du temps comme PUR l’un-après-l’autre ne laisse point l’une et l’autre structure « venir au paraître ». L’explicitation vulgaire du temps les recouvre. La constitution ekstatico-horizontale de la temporalité, où se fondent la databilité et la significativité des maintenant, est nivelée par ce recouvrement. Les maintenant sont pour ainsi dire amputés de ces rapports, et, ainsi mutilés, ils se font simplement suite pour constituer le l’un-après-l’autre. ETEM §81 [EtreTemps81]

La compréhension vulgaire du temps, au contraire, voit le phénomène fondamental du temps [427] dans le maintenant, plus précisément dans le maintenant PUR, amputé de sa structure pleine, que l’on nomme « présent ». D’où il appert qu’il doit rester fondamentalement impossible d’éclaircir ou même de déduire de ce maintenant-là le phénomène ekstatico-horizontal de l’instant qui appartient à la temporalité authentique. De manière correspondante, l’avenir compris ekstatiquement, le « alors » (futur) datable, significatif et le concept vulgaire de l’« avenir » - au sens du maintenant PUR qui n’est pas encore arrivé et arrive seulement - ne coïncident nullement, et pas davantage l’être-été ekstatique, le « alors » (passé) datable, significatif et le concept du passé au sens du PUR maintenant qui a passé. Bien loin que le maintenant soit gros du pas-encore-maintenant, le présent jaillit de l’avenir dans l’unité ekstatique originaire de la temporalisation de la temporalité [NA: Que le concept traditionnel de l’éternité, prise au sens du « maintenant fixe » (nunc stans), soit puisé dans la compréhension vulgaire du temps et dans une orientation sur l’idée de l’être-sous-la-main « constant », il n’est même pas besoin de l’élucider en détail. Si l’éternité de Dieu devait se laisser « construire » philosophiquement, elle ne pourrait être comprise que comme une temporalité plus originaire et « infinie ». La via negationis et eminentiae peut-elle constituer un chemin dans cette direction ? Laissons la question ouverte.]. ETEM §81 [EtreTemps81]

« Le temps, en tant que l’unité négative de l’extériorité, est également un PURement-et-simplement abstrait, idéel. - Il est l’être qui, tandis qu’il est, n’est pas, et, tandis qu’il n’est pas, est : le devenir intuitionné ; ce qui veut dire que les différences, qui sont certes PURement-et-simplement momentanées, se supprimant immédiatement, sont déterminées comme extérieures, mais extérieures à elles-mêmes » [NA: Id., §258.]. Le temps se dévoile à cette explicitation comme le « devenir intuitionné ». Ce dernier, suivant Hegel  , signifie un passage de l’être au [431] rien, ou du rien à l’être [NA: Cf. HEGEL, Wissenschaft   der Logik  , Livre I, section 1, chapitre 1, éd. G. Lasson, 1923, t. I, p. 66 sq. (NT: Cf. Science de la Logique, trad. fr. P.J. Labarrière et G. Jarczick, t. I (texte de 1812), 1972, p. 57 sq.)]. Le devenir est aussi bien naître que périr. L’être - ou le non-être - « passe ». Or qu’est-ce que cela signifie par rapport au temps L’être du temps est le maintenant ; mais dans la mesure où tout maintenant n’est plus « maintenant » ou n’est pas encore « maintenant », il peut être également saisi comme non-être. Le temps est le devenir « intuitionné », c’est-à-dire le passage qui n’est pas pensé, mais s’offre PURement et simplement dans la suite des maintenant. Si l’essence du temps est déterminée comme « devenir intuitionné », alors il se révèle du même coup que le temps est primairement compris à partir du maintenant, et cela tel qu’il est trouvable par le PUR intuitionner. ETEM §82 [EtreTemps82]

Comment maintenant l’esprit est-il lui-même compris pour qu’il puisse être dit qu’il lui est conforme, dans sa réalisation, de tomber dans le temps déterminé comme négation de la négation ? L’essence de l’esprit est le concept. Par ce terme, Hegel n’entend pas l’universel intuitionné d’un genre comme forme d’un pensé, mais la forme de la pensée se pensant elle-même : c’est le se-concevoir - en tant que saisie du non-Moi. Dans la mesure où le saisir du non-Moi représente un différencier, il y a dans le concept PUR comme saisie de ce différencier un différencier de la différence. C’est pourquoi Hegel peut déterminer l’essence de l’esprit de manière formelle-apophantique comme négation de la négation. Cette « négativité absolue » offre l’interprétation logiquement formalisée du cogito cogitare rem où Descartes voit l’essence de la conscientia. ETEM §82 [EtreTemps82]

Le concept est ainsi la conception auto-concevante du Soi-même, conception où le Soi-même est proprement comme il peut être, à savoir libre. « Moi est le concept PUR lui-même qui comme concept est venu à l’être-là » [NA: Cf. Hegel, Wiss. d. Logik, éd. citée, t. II, 2ème partie, p. 220 (NT: trad. citée, t. III, 1981, p. 44)]. « Mais Moi est cette unité premièrement PURe, se rapportant à elle-même, et cela non pas immédiatement, mais tandis qu’il fait abstraction de toute déterminité et contenu et retourne à la liberté de l’égalité sans bornes avec soi-même » [NA: Ibid.]. [434] Ainsi le Moi est-il « universalité », et tout aussi bien immédiatement « singularité ». ETEM §82 [EtreTemps82]

Comme l’inquiétude du développement de l’esprit se portant à son concept est la négation de la négation, il lui demeure conforme, tandis qu’il se réalise, de tomber « dans le temps » comme dans la négation immédiate de la négation. Car « le temps est le concept lui-même qui est là et se représente à la conscience comme intuition vide ; c’est pourquoi l’esprit apparaît nécessairement dans le temps, et il apparaît dans le temps aussi longtemps qu’il ne saisit pas son concept PUR, c’est-à-dire n’élimine pas le temps. [Le temps] est le PUR Soi-même extérieur, intuitionné par le Soi-même, non pas saisi, le concept seulement intuitionné » [NA: Cf. Phänomenologie   des Geistes, dans Werke, t. II, 1832, p. 604 (NT: trad. fr. J. Hyppolite, t. II, 1941, p. 305)]. Ainsi l’esprit apparaît-il nécessairement, de par son essence, dans le temps. « L’histoire du monde est donc en général l’explicitation de l’esprit dans le temps, tout comme l’idée s’explicite comme nature dans l’espace » [NA: Cf. Die Vernuft in der Geschichte  , éd. citée, p. 134.]. L’« exclure » qui appartient au mouvement du développement abrite en soi une relation au non-être. C’est le temps, compris à partir du maintenant qui se « raidit ». ETEM §82 [EtreTemps82]

Nous l’avions souligné : les tonalités sont certes ontiquement bien connues, mais elles ne sont pas pour autant connues dans leur fonction existentiale originaire. Elles passent pour des vécus fugitifs qui « colorent » le tout des « états psychiques ». Mais ce qui, aux yeux d’une observation, présente le caractère de l’apparaître et du disparaître passager appartient en réalité à la constance originaire de l’existence. Certes, dira-t-on, mais qu’est-ce que des tonalités peuvent avoir à faire avec le « temps » ? Que ces « vécus » surgissent et s’en aillent, qu’ils se déroulent « dans le temps », c’est là une constatation triviale, assurément, et même ontico-psychologique. La tâche est pourtant de mettre en lumière la structure ontologique de l’être-intoné dans sa constitution temporalo-existentiale, ce qui, de prime abord, ne peut revenir qu’à rendre pour une fois en général visible la temporalité de la tonalité. La thèse : « l’affection se fonde primairement dans l’être-été » signifie : le caractère existential fondamental de la tonalité est un re-porter vers… Celui-ci ne produit pas tout d’abord l’être-été, mais c’est l’affection qui, à chaque fois, manifeste à l’analyse existentiale un mode de l’être-été. Par suite, l’interprétation temporelle de l’affection ne peut avoir pour intention   de déduire les tonalités de la temporalité et de les dissoudre en PURS phénomènes de temporalisation. Ce qui s’impose tout simplement, c’est de mettre en évidence que les [341] tonalités, envisagées en ce qu’elles « signifient » - et comment elles le « signifient » - existentiellement, ne sont pas possibles sinon sur la base de la temporalité. Notre interprétation temporelle se limitera ici aux phénomènes, déjà analysés de manière préparatoire, de la peur et de l’angoisse. ETEM §68 [EtreTemps68]

La préoccupation attentive-conservante-présentifiante se « laisse » ainsi du temps de telle ou telle manière, et elle se le donne en tant même que préoccupation, c’est-à-dire même sans - et préalablement à - aucune détermination spécifiquement computative de temps. Le temps, ici, se date à chaque fois au sein d’un mode du se-laisser-du-temps préoccupé à partir de ce dont le Dasein se préoccupe justement dans le monde ambiant et qu’il ouvre dans le comprendre affecté - bref à partir de ce que, « le jour durant », on fait. Et selon que le Dasein s’identifie attentivement au sujet de sa préoccupation, et, in-attentif à lui-même, s’oublie, son temps qu’il se « laisse » demeure lui aussi recouvert par cette guise du « laisser ». Dans le « se-laisser-vivre » quotidiennement préoccupé, le Dasein ne se comprend justement jamais comme courant le long d’une séquence continuellement perdurante de « maintenant » PURS. Le temps que le Dasein se laisse a, sur la base de ce recouvrement, pour ainsi dire des trous. Souvent, si nous nous penchons sur le temps « employé », nous ne parvenons plus à reconstruire une « journée ». Cette in-cohérence du temps trouvé, [410] néanmoins, n’est point un morcellement, mais un mode de la temporalité à chaque fois déjà ouverte, ekstatiquement é-tendue. La guise selon laquelle le temps « laissé » « s’écoule » et le mode en lequel la préoccupation se l’indique plus ou moins expressément ne sauraient être expliqués de manière phénoménalement adéquate qu’à cette double condition : d’une part, tenir éloignée la « représentation » théorique d’un flux continu de maintenant ; d’autre part, s’aviser que les guises possibles en lesquelles le Dasein se donne et se laisse du temps doivent être déterminées à partir de la manière dont, conformément à ce qui est à chaque fois son existence, il « a » son temps. ETEM §79 [EtreTemps79]