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Sein und Zeit

Être et temps : § 44. Dasein, ouverture et vérité

Ser e Tempo

segunda-feira 5 de setembro de 2011, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

 c. Le mode d’être de la vérité et la présupposition de la vérité

En tant que constitué par l’ouverture, le Dasein est essentiellement dans la vérité. L’ouverture est un mode d’être essentiel du Dasein. « Il n’y a » de vérité que dans la mesure où et aussi longtemps que le Dasein est. De l’étant n’est découvert que lorsque, n’est ouvert qu’aussi longtemps que le Dasein est en général. Les lois de Newton  , le principe de contradiction, toute vérité en général ne sont vrais qu’aussi longtemps que le Dasein est. Avant que le Dasein fût, après que le Dasein ne sera plus, aucune vérité n’était ni ne sera, parce qu’elle ne peut alors être en tant qu’ouverture, découverte, être-découvert. Avant qu’elles ne fussent découvertes, les lois de Newton n’étaient pas « vraies » ; il ne suit pas de là qu’elles étaient fausses, ni qu’elles doivent le devenir si aucun être-découvert n’est plus [227] ontiquement possible. Tout aussi peu cette « restriction » implique-t-elle un amoindrissement de l’être-vrai des « vérités ».

Les lois de Newton, avant lui, n’étaient ni vraies, ni fausses : cette proposition ne peut pas signifier que l’étant qu’elles mettent au jour en le découvrant n’était pas avant elles. Ces lois devinrent vraies grâce à Newton, avec elles de l’étant devint en lui-même accessible pour le Dasein. Avec l’être-découvert de l’étant, celui-ci se montre justement comme l’étant qui était déjà auparavant. Découvrir ainsi, tel est le mode d’être de la « vérité ».

Qu’il y ait des « vérités éternelles », cela ne pourra être prouvé de manière satisfaisante que si l’on réussit à montrer que le Dasein était et sera de toute éternité. Tant que cette preuve fait défaut, la proposition demeure une affirmation fantastique, qui ne gagne aucune légitimité à être communément « crue » par les philosophes.

Toute vérité, conformément à son mode d’être essentiel, par lequel elle est à mesure du Dasein, est relative à l’être de celui-ci. Cette relativité signifie-t-elle autant que : toute vérité est « subjective » ? Sûrement pas si l’on interprète « subjectif » au sens de « livré au bon gré du sujet ». Car le découvrir, en son sens le plus propre, soustrait l’énoncer à l’arbitraire « subjectif » et place le Dasein découvrant devant l’étant lui-même. Et c’est seulement parce que la « vérité » comme découvrir est un mode d’être du Dasein qu’elle peut être soustraite à son arbitraire. Même la « validité universelle » de la vérité est simplement enracinée dans le fait que le Dasein peut découvrir et libérer de l’étant en lui-même. C’est ainsi seulement que cet étant peut lier en lui-même tout énoncé possible, c’est-à-dire toute mise-au-jour de lui. La vérité bien comprise est-elle le moins du monde compromise par le fait qu’elle n’est ontiquement possible que dans le « sujet », et apparaît et disparaît avec l’être de ce sujet ?

À la lumière du mode d’être existentialement conçu de la vérité, le sens de la présupposition de la vérité devient également compréhensible. Pourquoi devons-nous nécessairement présupposer qu’il y a de la vérité ? Que veut dire « présupposer » ? Que signifient ces mots : « devoir nécessairement », « nous » ? Et l’expression : « il y a de la vérité » ? « Nous » présupposons de la vérité parce que, étant sur le mode d’être du Dasein, « nous » sommes « dans la vérité ». Nous ne la présupposons pas comme quelque chose d’« extérieur » et « supérieur » à nous, par rapport à quoi nous nous comporterions, à côté d’autres « valeurs ». Ce n’est pas nous qui présupposons la « vérité », c’est elle qui en général rend ontologiquement possible que nous puissions être de telle manière que nous [228] « présupposions » quelque chose. La vérité possibilise la première quelque chose comme de la présupposition.

Que veut dire « présupposer » ? Comprendre quelque chose comme le fondement de l’être d’un autre étant. Une telle compréhension de l’étant en ses connexions d’être n’est possible que sur la base de l’ouverture, c’est-à-dire de l’être-découvrant du Dasein. Présupposer de la « vérité » signifie alors la comprendre comme quelque chose en-vue-de quoi le Dasein est. Mais le Dasein - ceci est impliqué dans la constitution d’être comme souci - est à chaque fois en avant de soi. Il est l’étant pour lequel, en son être, il y va de son pouvoir-être le plus propre. À l’être et au pouvoir-être du Dasein comme être-au-monde appartient essentiellement l’ouverture et le découvrir. Pour le Dasein, il y va de son pouvoir-être-au-monde, et, conjointement, de la préoccupation circon-specte découvrante de l’étant intramondain. Dans la constitution d’être du Dasein comme souci, dans l’être-en-avant-de-soi, est inclus le « présupposer » le plus originaire. C’est parce qu’à l’être du Dasein appartient une telle auto-présupposition que « nous » devons nécessairement aussi « nous » présupposer, en tant que déterminés par l’ouverture. Ce « présupposer » inhérent à l’être du Dasein ne se rapporte pas à de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein, et qui est de surcroît, mais uniquement à lui-même. La vérité présupposée, ou le « il y a » par lequel son être doit être déterminé a le mode ou le sens d’être du Dasein lui-même. Si nous devons nécessairement « faire » la présupposition de la vérité, c’est parce qu’elle est déjà « faite » avec l’être du « nous ».

Nous devons nécessairement présupposer la vérité, elle doit nécessairement être en tant qu’ouverture du Dasein, tout comme celui-ci même doit nécessairement être en tant qu’à chaque fois mien et tel : cela appartient à l’être-jeté essentiel du Dasein dans le monde. Le Dasein a-t-il à chaque fois par lui-même librement décidé, pourra-t-il à chaque fois décider s’il veut ou non advenir au « Dasein » ? « En soi » il est impossible d’apercevoir pourquoi de l’étant doit être découvert, pourquoi de la vérité et du Dasein doit nécessairement être. La réfutation ordinaire du scepticisme, c’est-à-dire de la négation de l’être ou de la cognoscibilité de la « vérité » reste toujours à la moitié du chemin. Tout ce qu’elle montre dans une argumentation formelle, c’est que, si l’on juge, de la vérité est présupposée. Il y a là une manière d’indiquer qu’à l’énoncé de la « vérité » appartient, autrement dit que la mise au jour est en son sens d’être un découvrir. Seulement, reste alors non clarifiée la raison pour laquelle il doit nécessairement en aller ainsi, et où se trouve le fondement ontologique de cette connexion nécessaire d’être de l’énoncé et de la vérité. De même, le mode d’être de la vérité et le sens du présupposer et de son fondement ontologique dans le Dasein lui-même restent dans une totale obscurité. En outre, l’on méconnaît alors que même si personne ne juge, la [229] vérité n’en est pas moins déjà présupposée pour autant qu’en général le Dasein est.

Pas plus que l’être de la « vérité » ne peut être « prouvé », pas plus un « sceptique » ne peut être réfuté. Du reste, le sceptique, s’il est facticement, selon la guise de la négation de la vérité, n’a pas non plus besoin d’être réfuté. Pour autant qu’il est et qu’il s’est compris dans cet être, il a éteint le Dasein, et avec lui la vérité, dans le désespoir du suicide. La vérité ne se laisse pas prouver dans sa nécessité, parce que le Dasein, le premier, ne saurait être pour lui-même soumis à une preuve. Aussi peu il est montré qu’il y a des « vérités éternelles », tout aussi peu il est montré qu’il y ait jamais eu - contrairement à ce que croient au fond, en dépit de leur entreprise même, les réfutations du scepticisme - un « vrai » sceptique. Et pourtant, il y en a eu peut-être plus souvent que ne voudrait le croire l’ingénuité des tentatives formalo-dialectiques pour confondre le scepticisme.

Ainsi donc, dans le traitement de la question de l’être de la vérité et de la nécessité de sa présupposition comme dans celui de la question de l’essence de la question, un « sujet idéal » est en général posé. Le motif, explicite ou non, s’en trouve dans l’exigence légitime - à condition cependant d’être ontologiquement légitimée - que la philosophie ait pour thème l’« a priori   » et non pas des « faits empiriques » en tant que tels. Et pourtant, la position d’un « sujet idéal » satisfait-elle à cette exigence ? Ne s’agit-il pas d’un sujet fantastiquement idéalisé ? Avec le concept d’un tel sujet, l’a priori du seul sujet « factuel », à savoir le Dasein, n’est-il pas manqué ? Est-ce qu’à l’a priori du sujet factice, c’est-à-dire à la facticité du Dasein n’appartient pas la déterminité d’être cooriginairement dans la vérité et la non-vérité ?

Les idées d’un « moi pur » et de « conscience en général » contiennent si peu l’a priori de la subjectivité « effective » qu’elles manquent au contraire, ou même n’aperçoivent pas du tout les caractères ontologiques de la facticité et de la constitution d’être du Dasein. La récusation d’une « conscience en général » ne signifie pas la négation de l’a priori, pas plus d’ailleurs que la position d’un sujet idéalisé ne garantit l’a priori intrinsèque du Dasein.

L’affirmation de « vérités éternelles », ainsi que l’assimilation de l’« idéalité » - phénoménalement fondée - du Dasein avec un sujet idéalisé absolu font partie de ces résidus de théologie chrétienne qui sont encore loin d’avoir été radicalement expulsés de la problématique philosophique.

[230] L’être de la vérité se tient dans une connexion originaire avec le Dasein. Et c’est seulement parce que le Dasein est en tant que constitué par l’ouverture, c’est-à-dire le comprendre, que peut en général être compris quelque chose comme l’être - que la compréhension d’être est possible.

« Il » n’« y a » d’être - non pas d’étant - qu’autant que la vérité est. Et elle n’est qu’autant et aussi longtemps que le Dasein est. Être et vérité « sont »cooriginairement. Ce que signifie : l’être « est », si tant est qu’il doit être distingué de tout étant, cela ne peut être questionné concrètement que si le sens de l’être et la portée de la compréhension d’être sont en général éclaircis. Alors seulement il devient également possible d’expliciter ce qui appartient au concept d’une science de l’être comme tel, de ses possibilités et de ses modifications. Et c’est enfin grâce à une délimitation par rapport à cette recherche et à sa vérité que devra être ontologiquement déterminée la recherche en tant que découverte de l’étant et la vérité de cette découverte.

La réponse à la question du sens de l’être fait encore défaut. En quelle mesure l’analyse fondamentale du Dasein jusqu’ici accomplie a-t-elle contribué à préparer l’élaboration de cette question ? La libération du phénomène du souci a permis de clarifier la constitution d’être de l’étant à l’être duquel appartient quelque chose comme la compréhension de l’être. Ainsi, l’être du Dasein a été en même temps délimité par rapport à des modes d’être (être-à-portée-de-la-main, être-sous-la-main, réalité) qui caractérisent l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein. Enfin le comprendre lui-même a été précisé, ce qui a permis en même temps de garantir la transparence méthodique du procédé compréhensif-explicitatif de l’interprétation de l’être.

Si c’est, avec le souci, la constitution d’être originaire du Dasein qui doit être conquise, alors il faut aussi que, sur cette base, la compréhension d’être comprise dans le souci puisse être portée au concept, autrement dit le sens de l’être délimité. Mais est-ce qu’avec le phénomène du souci la constitution ontologico-existentiale la plus originaire du Dasein est ouverte ? Est-ce que la multiplicité structurelle contenue dans le phénomène du souci livre la totalité la plus originelle de l’être du Dasein factice ? Est-ce que la recherche antérieure a en général réussi à prendre en vue le Dasein comme totalité ?


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]