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Heidegger et l’expérience de la pensée

Birault (1978:363-367) – La pensée authentiquement pensante (Denken)

Deuxième partie - L’expérience de la pensée

segunda-feira 19 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

Qu’est-ce donc que cette pensée authentiquement pensante, perpétuellement alléguée et reléguée par la philosophie  ? La réponse est aisée, mais non point l’intelligence de cette réponse : cette pensée est la pensée de l’être. Depuis un demi-siècle, en effet, le mot être se présente comme le mot clef et comme le mot-interdit de la méditation heideggérienne. Le mot clef, parce que toute la pensée se réduit ici à cette unique pensée qu’est la pensée de l’être. Pensée très étroite, très orientée, très cheminante, pensée contingente en son avènement, immobile ou immuable en son objet et dans cet horizon   qui peut être-appelé le ciel du monde :

« Marcher vers une étoile, rien d’autre.
« Penser est se limiter à la pensée d’une pensée qui, un jour, comme une étoile, demeure dans le ciel du monde. »

Le mot-interdit, parce que le mot « être » en sa forme substantive et substantielle égare plus qu’il n’éclaire. Trop chargé d’histoire, trop pétrifié, incapable de dire ce qu’il dit, irrémédiablement captif, semble-t-il, d’une certaine armature conceptuelle dont Sein und Zeit   voulait déjà faire le démontage ou la destruction, le mot être est assurément le mot le plus malaisé du vocabulaire heideggérien. Être est, par exemple, la substantialité de la substance mais aussi bien le « transcendant pur et simple »; il est le non-étant ou le néant, la différence ou le se-différenciant : das Sichunterscheidende, le fondement et cette absence de fondement qu’on peut appeler abîme : Ab-grund  . Il est enfin Ereignis  , un mot courant, et pourtant ici à peu près intraduisible, dans lequel se conjuguent les deux idées d’avènement et d’appropriation. D’où parfois la graphie insolite du mot être : das D’où la croix qui tout ensemble en barre l’accès et en manifeste l’éclatement dans l’opuscule Zur Seinsfrage   : das Sein. D’où l’apparition épisodique mais non point fortuite de certaines équivalences : das « Es gibt   » (le Il y a), das An-wesen   (la pré-sence ou l’ad-venance), die An-kunft   (l’arrivée ou la venue). D’où enfin les recherches encore plus risquées pour trouver aujourd’hui dans le cadre d’une problématique universelle mais non point cosmopolite de la relation essentielle entre la parole et l’être, un terme non métaphysique et non occidental mais peut-être plus adéquat pour désigner ce rapport lui-même, par exemple, les mots japonais Iki et Koto.

Dans tout cela, une certaine distance se creuse, un certain soupçon s’affirme : la distance que la pensée cherche à prendre à l’égard de cette forme essentiellement ambiguë de la pensée qui est celle de la représentation métaphysique, le soupçon que suscite l’énigme de cette première donation, de ce premier envoi de l’être, comme cause, fondement ou raison d’être, au seuil de notre histoire occidentale et pour cette histoire elle-même.

[…]

Enfin, dans un certain ébranlement de la notion même de fondement, et corrélativement aussi, dans une certaine suspension de la philosophie première comme science des premiers principes et des premières causes, nous connaissons aujourd’hui, depuis Kant  , depuis Nietzsche  , depuis Heidegger, d’autres transcendances, d’autres origines, d’autres profondeurs que celles dont la métaphysique s’est éprise à partir d’une première expérience de l’être comme fondement. Des transcendances non transgressives, des transcendances dans l’immanence (une immanence que Husserl  , dans le souvenir et dans l’oubli de Kant, qualifiera de transcendantale). Des origines nullement radicales mais plus bondissantes et peut-être aussi plus originelles (celles auxquelles fait référence le mot allemand Ur-sprung  ). Enfin, des profondeurs sans fond, non fondatives et non fondatrices, plus profondes et plus superficielles, infernales et heureuses, abyssales et affleurantes : celles, par exemple, qui commencent timidement à se faire jour dans cette première ontologie   phénoménologique qu’est l’Analytique transcendantale comme théorie de l’être ou des conditions de possibilité de l’étant phénoménal déterminé comme objet d’une expérience essentiellement finie; celles encore, nullement ontologiques, nullement phénoménologiques, dont parle Nietzsche lorsqu’il dénonce le vieil antagonisme métaphysique du fond et de la forme : abîmes de lumière, fin duvet des apparences, mer sans rivage telle qu’il n’y eut jamais aussi pleine mer; celles enfin, de la terre meuble et nourricière dont parle Heidegger, terre qui porte et qui nourrit les racines de l’arbre philosophique : profondeur « horizontale » d’un horizon essentiellement ombragé, transcendance « oblique » d’un destin toujours masqué, extase d’un pro-jet qui est le projet de l’être, ouverture d’une dimension qui est le monde.


Ver online : Henri Birault