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Schnell (2004:28-33) – fenômeno

quarta-feira 10 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

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No §7 [Ser e Tempo  ], Heidegger propõe duas séries de distinções na tentativa de definir o significado de "fenômeno". A primeira série reúne os diferentes significados do senso comum, a segunda, mais técnica, fornece o quadro para a sua abordagem "fenomenológica" do fenômeno. Convém notar, desde já, que para Heidegger o fenômeno não se limita a um "puro aparecer", contrariamente ao que se encontra frequentemente nos comentadores. De fato, tal como em Husserl  , esta estrutura designa primeiro um modo de dação. Numa primeira série de distinções, Heidegger isola dois tipos de modos de dar-se: o "mostrar-se" (sich zeigen  ) e o "manifestar-se" (sich melden  ). Aquilo que se mostra caracteriza-se por aquilo a que poderíamos chamar uma dação daquilo que se mostra (diríamos: uma auto-dação). O que se manifesta, por outro lado, caracteriza-se por uma referência a outra coisa (falaremos de "hetero-dação").

original

Dans le §7 d’Être et Temps, Heidegger procède à une énumération prétendument exhaustive de la notion de « phénomène ». Nous reconstituons d’abord l’inventaire donné par Heidegger avant d’opposer l’acception qu’il retient pour son ontologie   fondamentale dans Être et Temps à celle, « orthodoxe », de la phénoménologie husserlienne.

Dans ce §7, Heidegger propose deux séries de distinctions pour tenter de cerner le sens du « phénomène ». Une première série rassemble les différentes acceptions relevant du sens commun, une deuxième, plus technique, dresse le cadre de son approche « phénoménologique » du phénomène. Remarquons d’emblée que le phénomène ne se limite pas pour Heidegger, contrairement à ce qu’on peut souvent trouver chez les commentateurs, à un « pur apparaissant ». En effet, cette structure désigne d’abord, comme chez Husserl, un mode de donation. Dans une première série de distinctions, Heidegger isole deux types de modes de donation : le « se montrer » (sich zeigen) et le « se manifester » (sich melden). Ce qui se montre est caractérisé par ce qu’on pourrait nommer une donation de ce qui se montre lui-même (nous dirons : une auto-donation). Ce qui se manifeste est en revanche caractérisé par un renvoi à autre chose. (Nous parlerons à"hétéro-donation.) D’où les distinctions suivantes :

1. Le phénomène au sens formel (formale Phänomenbegriff) est auto-do-nation de quelque chose qui se donne tel qu’il est. (Exemple : tel homme, mon ami Paul.) Heidegger juxtapose indistinctement ce qui se montre en lui-même (das Sich-an-ihm-selbst  -zeigende [1]) et — ce qui n’est pas du tout la même chose — le fait de se montrer en-lui-même (das Sich-an-sich-selbst-zeigen [2]) ; cette acception du phénomène (l’étant qui se montre en lui-même) en est l’acception positive   et originaire.

2. L’apparence (Schein) est auto-donation de quelque chose qui est autre qu’il ne se donne. (Exemple : tel homme, qui, quand je m’approche, s’avère être un arbre.) Cette acception suppose la première (1.) et en est la modification privative.

3. Un troisième sens du phénomène est l’apparition (Erscheinung). L’apparition n’est pas une auto-donation, mais une hétéro-donation : ce qui apparaît ne se montre pas lui-même, mais se manifeste à travers autre chose qui, lui, se montre — d’où la nécessité de la distinguer du phénomène au sens formel du terme (exemple : le symptôme d’une maladie). Le symptôme se montre, la maladie elle-même ne se montre jamais. Ce qui se montre est l’indice de l’apparition, ce qui implique qu’il est tributaire de ce qui apparaît. L’apparition ne désigne pas ce qui se montre (c’est le phénomène), le manifestant, mais l’apparaissant, c’est-à-dire ce qui, en ne se montrant pas, se manifeste. Elle englobe les indications, symptômes, symboles, etc. — bref, elle inclut toute sorte de renvoi. [29] Notons que le « ne pas » de l’apparition (l’apparition est un « ne-pas-se-montrer ») ne doit pas être confondu avec le caractère privatif de l’apparence. En revanche, tout comme l’apparence, l’apparition exige elle aussi le phénomène au sens strict : (« L’apparaître est la manifestation par l’intermédiaire de quelque chose qui se montre lui-même [3]. ») A partir de ce qui précède, on peut distinguer deux sens de l’apparition :

  •  le fait d’apparaître (exemple : la maladie en tant qu’elle se manifeste)
  •  cela même qui apparaît (ou qui manifeste, au sens transitif, ce qui ne se donne pas) (exemple : les symptômes de la maladie) (cette acception est sans doute plus souvent utilisée que la première)

    4. Compte tenu de cette dernière distinction, Heidegger propose encore une quatrième acception : la simple apparition (bloße Erscheinung) qui, cette fois, ne désigne pas ce qui manifeste quelque chose et ne se montre pas, mais le manifestant lui-même en tant que seul indice de ce qui, justement, ne se montre pas. L’exemple type d’une telle « simple apparition » (qui est également une hétéro-donation) est pour Heidegger le « phénomène » en tant qu’« objet de l’intuition empirique » chez Kant  .

    Cette série de distinctions est redoublée par une deuxième, caractérisant l’approche phénoménologique dans son acception heideggerienne, opposant le concept formel du phénomène au concept « vulgaire » et au concept proprement « phénoménologique ». En effet, de la première série de distinctions, Heidegger ne retiendra véritablement que la première et la quatrième acception. Tout d’abord, le phénomène au sens originaire qui est le concept formel du phénomène. Pourquoi le caractérise-t-il comme un concept formel ? Parce que l’intention   fondamentale de Heidegger consiste à poser les fondements ontologiques de la phénoménologie. Or, le phénomène compris comme « ce qui se montre » n’indique rien à propos du fait de savoir s’il s’agit là d’un étant, d’un « caractère d’être » de l’étant ou encore d’autre chose. La critique implicite qu’Heidegger adresse à la phénoménologie husserlienne c’est qu’elle sous-détermine ontologiquement la notion de phénomène. Selon Heidegger, il faut que le concept formel du phénomène « s’applique » à un étant (i. e. qu’il lui corresponde) pour que ce concept formel trouve son usage « légitime » [4], c’est-à-dire, pourrait-on ajouter, sa fondation ontologique. Comme Kant caractérise les « phénomènes » non seulement comme des représentations, mais également comme des objets (c’est-à-dire comme des étants), le concept formel du phénomène trouve justement une application légitime chez Kant, et Heidegger appelle cet usage du phénomène le concept « vulgaire » de ce dernier (et qui coïncide ainsi avec la « simple apparition »). Dans ce concept « vulgaire » du phénomène, il faut qu’il l’ait quelque chose qui, de façon implicite ou « non thématique », se montre a priori   et à même (vorgängig und mitgängig) [30] les phénomènes et qui puisse être rendu thématique. Ce quelque chose assure le lien entre ce qui affecte notre sensibilité et les phénomènes au sens « originaire » (c’est-à-dire au sens de Kant). Il est caractérisé par le fait qu’il répond précisément de la manière dont les phénomènes au sens vulgaire apparaissent, se donnent.

    Pour pouvoir caractériser les phénomènes au sens phénoménologique, qui sont le « thème d’une attestation expresse » [5], Heidegger procède ensuite à une « déformalisation » du concept formel de phénomène, consistant à « amener de façon thématique à la donation de soi » [6] cela même que véhicule le concept vulgaire de phénomène et qui n’est pas thématisé dans l’attitude naturelle. Le phénomène, selon Heidegger, est ainsi ce qui se montre implicitement à même l’apparaissant et qu’il s’agit de thématiser dans la description phénoménologique [7].

    Avec cette formulation, Heidegger est tout à fait proche de l’acception husserlienne. En effet, le « phénomène » pour Husserl est ce qui, sans que l’on préjuge de son statut ontologique, « apparaît » en vertu de la réduction phénoménologique, laquelle est « appliquée » à un apparaissant mondain qui lui sert de « modèle » (Vorbild). Le phénomène n’est donc jamais quelque chose de donné immédiatement, mais « n’apparaît » qu’à travers une médiation. Cette médiation exige qu’on n’en reste pas au niveau de ces « apparitions » immédiates, mais qu’on descende vers les couches ultimement constitutives de ces dernières, autrement dit, vers les « opérations fonctionnelles » (fungierende Leistungen) de la subjectivité transcendantale (en un sens différent du transcendantalisme kantien). Le phénomène est ainsi l’ensemble des structures intentionnelles et pré-intentionnelles (Husserl dit de façon plus exacte : « pré-immanentes ») caractérisant les effectuations propres de la subjectivité transcendantale. Heidegger aura ainsi raison de souligner le caractère « non immédiatement présent » des phénomènes, en revanche il aura tort, aux yeux de Husserl, de les doter d’un statut ontologique (aussi indéterminé qu’il soit). Les phénomènes, selon l’acception de la phénoménologie husserlienne, sont les opérations ou fonctions intentionnelles (et pré-intentionnelles) du sujet qui constituent toute donation de sens ; leur propre donnée est intrinsèquement liée à l’acception de la réduction telle que nous l’avons esquissée plus haut [8].

    Or, pour Heidegger, ce « phénomène phénoménologique » ne répond pas seulement de l’apparaître des apparitions, mais « il est en même temps quelque chose [31] qui appartient essentiellement à ce qui se montre d’abord et le plus souvent en en constituant (ausmacht) le sens et le fondement ». Voilà le glissement d’une phénoménologie thématisant le sens de l’apparaître à une phénoménologie ontologique : on passe du problème du sens de l’apparaître, des modes de donation, à la thématique du fondement. Heidegger le confirme dans la proposition qui suit immédiatement : « Ce qui, dans un sens insigne, demeure caché et qui retombe dans l’occultation ou qui ne se montre que de façon ’déplacée’ (verstellt  ), ce n’est pas tel ou tel étant, mais (…) l’être de l’étant. » [9]

    C’est ce dernier glissement qui n’est pas acceptable d’un point de vue de l’orthodoxie phénoménologique husserlienne ou, du moins, c’est ici qu’il faut voir le clivage entre la phénoménologie et la métaphysique. Au cœur même de ce qui est censé rendre compte de l’attestation, Heidegger « schlägt um », procède à un tournant (il n’est pas trop tôt pour l’affirmer) qui étayera à jamais la manière dont divergera l’approche de Heidegger de celle de Husserl. Par là, Heidegger reformule d’ailleurs — sans doute à son insu, du moins à cette époque — le point de vue de Fichte   concernant le rapport entre le phénomène et l’être : le phénomène, même dans l’acception opposée à la simple apparition, requiert un fondement ontologique qui serait subrepticement perdu de vue avec la réduction. Or nous verrons dans le chapitre IV de cette première partie dans quelle mesure cette perspective s’éloigne de l’acception proprement husserlienne du phénomène et de la phénoménalité ainsi que des découvertes fondamentales de sa phénoménologie génétique.

    Remarquons que malgré le glissement indéniable que nous venons de mettre en évidence, ce serait pourtant trop simple, voire cela prêterait à confusion —même par rapport une perspective husserlienne ! —, que de mettre radicalement en doute la compréhension heideggerienne de la notion de phénoménalité telle qu’elle a d’abord été mise en avant par Husserl. La thèse selon laquelle l’être serait le phénomène par excellence doit en effet être comprise à la lumière des deux points suivants qui éclairent l’idée d’une « finitude » de l’être :

    1. On a souvent reproché à Heidegger le manque de rigueur (voire tout simplement le caractère circulaire) de l’argumentation qui met en rapport, dans Être et temps, l’être comme objet de la question philosophique fondamentale (qui serait tombée « dans l’oubli ») et l’être — qui est donc bel et bien un être —d’un étant insigne (le Dasein  ) lequel nous donnerait accès à l’être au premier sens du terme, qui fait l’objet d’une analyse « pré-ontologique » et dont il faut toujours déjà avoir une pré-compréhension [10]. Or, le caractère véritablement [32] problématique de la démarche heideggerienne réside dans l’ambiguïté de la notion de l’être telle qu’elle apparaît dès les paragraphes introductifs d’Être et temps. Si, en réalité, il n’y a pas de circularité, c’est que Heidegger traite dans l’ensemble d’Être et temps d’autre chose que de ce qui a d’abord été annoncé dans ce livre. Son ouvrage majeur ne traite pas de l’être « en général » — contrairement à ce que laissent entendre certains passages — mais uniquement de l’être du Dasein qua existence. La dernière phrase du §4 l’affirme sans laisser l’ombre d’un doute : « La question de l’être n’est alors rien d’autre que la radicalisation d’une tendance d’être essentielle appartenant au Dasein lui-même, [à savoir] de la compréhension pré-ontologique de l’être » [11]. Cette existence étant finie, l’être lui-même le sera également !

    2. Mais cette finitude se traduit également par un autre aspect dépassant la perspective stricte à"Être et temps. Nous trouvons cet autre aspect dans l’interprétation heideggerienne d’un bref passage du Théétète de Platon  .

    Comme l’a souligné H. Mörchen [12], Heidegger a attiré l’attention sur le fait qu’au début de ce dialogue, Socrate présente Théétète d’une manière assez insolite. Socrate dit à propos du jeune homme que ses tuteurs ont considérablement réduit (voire tout simplement dilapidé) le bien dont il avait hérité [13]. Ce qui est remarquable, c’est que le « bien », le « bien-fonds » ou encore la « propriété » dont il est question ici se dit en grec « ousia   » et en allemand — « Anwesen   » [14]. Que signifie cette présentation de Théétète selon la lecture heideggerienne ? Que dans un dialogue qui thématise la nature et la connaissance possible de l’ousia, le protagoniste de ce dialogue (qui lui a d’ailleurs donné le nom) a un rapport très intime avec une foncière non-stabilité de cela même qui est pourtant censé fonder toute une tradition   métaphysique de l’être conçu comme présence pleine et stable. Qu’est-ce que cette présentation du personnage de Théétète signifie alors d’autre qu’une remise en cause de la conception selon laquelle l’être serait toujours présent, immuable et stable? (Découverte qui serait tombée à l’oubli quelques années plus tard et que Heidegger aurait refaite plus de deux millénaires après). Il nous semble que c’est bien ainsi qu’il faut comprendre cette indication : si l’être est bien pour Heidegger le « phénomène par excellence », c’est pourtant un être qua Anwesen [33] susceptible de « diminuer », c’est-à-dire de varier (comme ce fut déjà le cas chez Théétète), et donc un être à propos duquel rien n’a encore été dit s’il est simplement identifié à la présence (Vorhandenheit  ) au sens de la métaphysique traditionnelle, c’est-à-dire comme stabilité éternelle.

    Et nous comprenons dès lors la subtilité du propos heideggerien (et la proximité somme toute surprenante avec Husserl, une proximité que ne cessent de mettre en avant leurs élèves, mais que les maîtres eux-mêmes ont toujours niée) : il ne s’agit absolument pas, pour Heidegger, de livrer simplement un soubassement stable au phénomène husserlien, mais, au contraire, il s’agit de penser la phénoménalité — dans sa foncière non-stabilité ! — comme dimension de tout apparaître, ou encore « l’apparaître en général » tel qu’il a lieu dans toutes les formes de l’apparaître.


  • Ver online : Alexander Schnell


    SCHNELL, Alexander. La genèse de l’apparaître. Etudes phénoménologiques sur le statut de l’intentionnalité. Beauvais: Association pour la promotion de la Phénoménologie, 2004.


    [1M. Heidegger, Sein und Zeit, Niemeyer, Tübingen, 1986 (16ème édition), p. 28.

    [2M. Heidegger, Sein und Zeit, op. cit, p. 31.

    [3M. Heidegger, ibid., p. 29.

    [4M. Heidegger, ibid., p. 31.

    [5M. Heidegger, ibid, p. 35.

    [6M. Heidegger, ibid., p. 31.

    [7Cf. à ce propos les analyses de Fink du « Vorschein » dans le Manuscrit Z-IV, p. 95a : cette « pro-parition » d’un phénomène, écrit-il, « n’est pas phénoménologiquement le point ultime, indépassable pour la question phénoménologique (Nichtüberfragbare) ; mais elle devient la base du pro-jet d’un com-prendre spécifique : com-prendre à partir de l’origine: nous nommons le phénomène originairement compris le Rückschein (Hinterschein) (rétroparition) ».

    [8Notons que cette définition du phénomène ne se dégage pas d’une manière immédiate de la lecture des textes de Husserl (et l’on trouve en effet de nombreux passages où Husserl identifie purement et simplement phénomène et apparition).

    [9M. Heidegger, Sein und Zeit, op. cit., p. 35.

    [10Ainsi, on pourrait en effet renvoyer au §4 de Sein und Zeit, op. cil, p. 13, où Heidegger écrit que l’analytique (pré-)ontologique requiert une analyse de l’existentialité en tant que « constitution d’être (Seinsverfassung) » du Dasein qui, à son tour, suppose déjà l ’idée de l ’être en général ! Un constat qui ne peut que surprendre étant donné que l’analyse du Dasein — l’étant qui fait accéder à l’être — avait été décrite comme condition nécessaire pour pouvoir d’abord poser la question de l’être (et les remarques de Heidegger du §2 concernant cette circularité ne permettent pas non plus de dissiper le caractère problématique d’une telle démarche parce que Heidegger l’distingue bien entre l’être (en général) et l’être du Dasein alors que ce n’est plus le cas dans le passage cité du §4).

    [11M. Heidegger, Sein und Zeit, op. cit., p. 15 (c’est nous qui soulignons). Et c’est l’idée d’une telle radicalisation qui justifie le glissement — opéré subrepticement par Heidegger — de l’acception de l’analytique existentiale comprise comme « pré-ontologie » vers une acception comprise comme « ontologie fondamentale ».

    [12H. Mörchen: « Heideggers Satz: "’Sein’ heißt ’Anwesen’" », dans Martin Heidegger: Innen- und Außenansichten, Francfort s/Main, stw, 1989, p. 176 sq.

    [13Platon, Théétète, 144d.

    [14Notons que J.-T. Desanti caractérise la philosophie, d’une manière critique, exactement avec ces mêmes termes (« propriété », « domicile fixe »), voir J.-T. Desanti, Philosophie : un rêve de flambeur. Variations philosophiques 2, Paris, Grasset, 1999, p. 15. N’est-ce pas à dire que ce que Heidegger diagnostique ici pour Vousia, Desanti entend le faire valoir pour le statut de la philosophie en général ?