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Jocelyn Benoist (2001:45-49) – dar-se (es gibt)

sexta-feira 29 de março de 2024, por Cardoso de Castro

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O que considero interessante na noção de "dado", tal como é comumente utilizada pelas duas grandes tradições filosóficas do nosso século, é o fato de estar imediatamente aberta à crítica e ao criticismo. Atualmente, está sob ataques violentos, que não são, evidentemente, inteiramente novas. Este é, desde o início, um dos pontos, senão o ponto, criticado na fenomenologia, que, enquanto modo de pensar o "dado", é suspeita de uma certa forma de intuicionismo ingênuo, ou de dogmatismo. Por outro lado, é também o ponto em que, na tradição analítica, uma certa crítica de inspiração wittgensteiniana se volta internamente contra o positivismo lógico. A tese do "dado" parece conduzir a um absurdo que pode ser resumido simplesmente: se há um dado, ele tem de ser dado; no entanto, parece absolutamente impossível apresentá-lo, "dá-lo" a si próprio como um "puro dado". O próprio "dado" nunca é dado. É sempre já dito, formado, constituído, organizado, dependendo de falarmos a linguagem do idealismo transcendental   clássico ou aquela forma subtil de idealismo linguístico que poderia muito bem ser uma certa versão da filosofia analítica.

original

Ce qui me paraît intéressant dans la notion de « donné » telle qu’elle est couramment employée par les deux grandes traditions philosophiques de notre siècle, c’est qu’elle soit immédiatement critiquable et critiquée. Elle connaît aujourd’hui de [46] violents assauts [1], qui ne sont bien sûr pas entièrement nouveaux. Depuis le départ, c’est un des points, voire le point reproché à la phénoménologie qui, en tant que pensée du « donné », est soupçonnée d’une certaine forme d’intuitionnisme naïf, ou de dogmatisme. D’autre part, c’est aussi le point à partir duquel, dans la tradition   analytique, une certaine critique d’inspiration wittgensteinienne se retourne de façon interne contre le positivisme logique. La thèse du « donné » semble alors déboucher sur une absurdité que l’on pourrait résumer simplement : s’il y a du donné, il doit être donné ; or il semble absolument impossible de jamais le présenter, de jamais se le « donner » en tant que « pur donné ». Le « donné » lui-même n’est jamais donné. Il est toujours déjà dit, formé, constitué, organisé, selon que l’on parle le langage de l’idéalisme transcendantal classique ou de cette forme subtile d’idéalisme linguistique que pourrait bien être une certaine version de philosophie   analytique.

Or, s’il y a une chose qui me paraît devoir être conservée de l’empirisme et de la phénoménologie (sur ce point je les mettrai dans le même sac, l’un et l’autre se plaçant sous le signe de cette espèce d’immanence radicale par laquelle justement tout est « donné », immanence dont Husserl   saluait la découverte chez Hume  ), c’est précisément cette idée de « donné ». Elle me paraît constituer le principal intérêt de leur philosophie et le legs que celle-ci peut faire à une philosophie postmétaphysique comme celle à laquelle aujourd’hui sans doute nous sommes nombreux à aspirer, même si c’est de façon divergente.

Mais alors, au-delà du slogan, en quel sens y a-t-il du donné ? Qu’est-ce que le donné ? En quel sens parle-t-on de donné et quel intérêt cela a-t-il de conserver cette formule ? Ces questions exigent naturellement une analyse de la notion et c’est à cette étude préliminaire très simple que je voudrais inviter : quelles sont les [47] différentes dimensions de la notion de « donné », et à quoi, de façon perspective, peut-elle servir ? Ma thèse est qu’elle met en jeu toute une série de présupposés radicaux qu’il est indispensable de maintenir, qui ne peuvent être découverts que selon son fil conducteur et qui vont très au-delà du misérable donné « chosifié » attribué aux empiristes, « donné » sur lequel les idéalistes s’acharnent depuis des siècles, s’étant ainsi créé la partie trop facile. Précisément l’intérêt de la notion de donné est-il sans doute que, si on l’examine jusqu’au bout, celui-ci se révèle ce qui ne peut être « chosifié », et ce qui par là même bouscule les catégories trop faciles de l’idéalisme.

La première représentation qui paraît associée à l’idée de « donné » me semble être ce que je nommerai la « représentation hylémorphique ». Le donné est d’abord conçu comme matière, matériau pour on ne sait trop quelle fabrication à venir, comme les bois épars destinés à l’œuvre d’un vaisseau ou à l’édification d’un camp retranché. Il y a un matériau qui est là d’abord, « donné », et il n’y a plus qu’à l’utiliser, le mettre en forme. Car toute matière appelle une forme : raisonner en termes de « matière », selon cette dimension du concept de donné, c’est se placer déjà en attente de la forme et sous sa loi, seule susceptible de justifier ce donné d’être donné, puisque donné pour elle. Dans le langage de la perception, on sait la portée de cette théorie : notre perception serait faite de noyaux sensibles, sensations ou sense-data, peu importe, qui seraient ultérieurement informés par une activité judicative ou autre, qui en ferait la perception de telle ou telle chose, donc la perception en un sens accompb. La perception se présenterait alors comme une sorte de fabrication. C’est en effet le paradigme de la fabrication, du faire quelque chose de quelque chose (de précisément ce qui est « donné ») qui une fois de plus gouverne l’ontologie   héritée des Grecs.

Autre constituant familier de l’idée de « donné » : l’idée de présence, si fortement soulignée par Hume par exemple, dans son opposition fondamentale de l’impression à l’idée. Le donné [48] a de toute évidence partie liée avec ce que Ton a nommé, d’une façon sur laquelle je n’épiloguerai pas ici, « métaphysique de la présence ». Raisonner en termes de « donné », c’est manifestement se situer dans une perspective pour laquelle il y a du donné et du non-donné. Le donné n’a de sens que par rapport à ce qui ne l’est pas. Le couple présence/absence paraît donc constituer un axe fondamental de la notion de donné. D’où les innombrables rappels au donné, proclamations de « retour au donné », formulés par l’empirisme ou la phénoménologie. Le donné n’existe qu’en tant que ce à quoi on veut revenir, et lorsqu’on avance ce programme, c’est toujours contre ceux qui sont censés ne pas s’y tenir. Il y a des gens qui ne parleraient pas du donné, qui feraient de la métaphysique, en ce sens kantien du terme où précisément ils se tiendraient au-delà du donné, parleraient de ce qui ne peut pas être donné ou alors, moins métaphysiquement mais de façon plus évidemment fausse, de choses qu’ils se seraient mal données. Le donné est alors le schibboleth qui nous autorise ou non à parler. Mais, faut-il remarquer d’entrée de jeu, de quoi parlent donc ces gens, s’ils ne parlent pas du donné ?

Enfin, dernière structure notable qui semble liée à la notion de donné : d’une certaine façon, ce que l’on a nommé le « mythe de l’intériorité » lui-même. Symétriquement, la référence au « donné » semble constituer comme une sorte de « mythe de l’extériorité », mais c’est en fait la même chose : les deux thèses (que je me sois intérieur à moi-même et que le donné me soit extérieur) s’appuient sur la même représentation des choses, à savoir qu’il y ait un intérieur et un extérieur, et que la survenue de quoi que ce soit doive être conçue comme le passage d’un milieu   à l’autre. C’est cette idée sans doute que l’on retrouve à la base du concept de « réceptivité » tel qu’il semble immédiatement lié à celui de donné. Ce qui est donné est reçu, mais en quel sens ? Ceci semble supposer une instance qui reçoive et c’est ce qu’on nomme habituellement le « sujet ». La donation se conçoit alors comme le passage de quelque chose du milieu extérieur au milieu intérieur, si cela a un sens. Cette idée est en [49] elle-même problématique, et c’est elle qui donne lieu à tous les paradoxes de la représentation, dont sans doute la conception kantienne pousse jusqu’au bout l’aporie lorsqu’elle parle de la réceptivité comme celle que nous avons à nos représentations elles-mêmes. Car comment pouvons-nous bien recevoir nos représentations, ces représentations qui, par construction, seraient précisément censées être en nous ? C’est le problème lorsqu’on raisonne en termes de sujet, ce que nous conduit apparemment à faire la notion de donné : le donné est ce qui vient en plus, ce qui est ajouté sans que je puisse comprendre comment ; une fois qu’on est à l’intérieur on ne peut absolument plus entendre comment l’extérieur y surgit, alors que pourtant l’extériorité caractéristique de celui-ci ne prend son sens que depuis cette intériorité même au départ postulée.

Ces trois déterminations suffisent à mettre en lumière le caractère central de la notion de donné, qui se tient réellement au centre du dispositif de la métaphysique traditionnelle, cristallisant autour de lui trois thèses de fond dont on connaît le rôle stratégique : la structure hylémorphique, à laquelle la présupposition du donné offre toujours déjà son matériau toujours prêt ; la métaphysique de la présence, à laquelle le donné fournit sa garantie, étalon-or d’une vérité mise à l’abri des aléas de la valeur « aveugle » de la circulation signitive ; le mythe de l’intériorité, auquel le donné prête le supplément nécessaire à penser la sortie de soi d’une intériorité par là même confirmée.


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BENOIST, Jocelyn. L’Idée de phénoménologie. Paris: Beauchesne, 2001


[1Cf. J. Mac Dowell, Mind and the World, Harvard University Press, Cambridge (Mass.), 1994. Cf. aussi Jacques Bouveresse, Langage, perception et réalité, t. I : La perception et le jugement, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1995, qui relativise ces critiques, tout en les suivant assez loin.