Página inicial > Fenomenologia > Marion (1998:§2) – a não-evidência

Marion (1998:§2) – a não-evidência

sábado 16 de março de 2024, por Cardoso de Castro

Jeffrey L. Kosky

Admitting the phenomenality proper to the phenomenon—its right and its power to show itself on its own terms—thus implies understanding it in terms of givenness. Husserl  , summing up at the end of his career what was gained in his first “breakthrough work,” the Logical Investigations, indicates exactly what change was demanded of philosophical thought: “It was there [in 1901] that evidence’ (that dead logical idol) was transformed into a problem for the first time, freed from the privilege accorded scientific evidence and broadened to include the universality of original self-givenness [zur allgemeinen originale Selbstgebung   erweiter]”. What broadening is being referred to here? No doubt the broadening of (Kantian) sensible intuition to categorical intuition. But Husserl is not   concerned solely with the question of intuition here; and for that matter, this broadening itself must be justified. In fact, what is at issue is, more universally, the broadening of evidence to givenness. Broadening or deepening, or—because the “depths” would here seem more disputable than profitable—transformation. Why, that is, does Husserl disqualify evidence as a mere dead idol? Why didn’t he instead privilege its use, as well as the whole semantic network that connects it to the gaze, sight, the truth, etc.? Precisely because he redefined it radically —for sight and the gaze would see absolutely nothing if evidence remained a mere subjective impression, an effect of consciousness, in short an idolatrous mirror where the mind refers to itself an impression that impresses only it. For evidence not to close itself up in a simple idol of the gaze and not to remain a dead letter (one that consciousness sends to itself), what is necessary, with an absolute phenomenological necessity, is that evidence give more than a state or lived experience of consciousness, that it carry in its clarity the appearing of a nonconscious, a nonlived, a nonthought. What is needed is that on its screen there be projected and come forward something other than it—the unevident, the phenomenon itself. For this paradox must be admitted: the phenomenon remains, inasmuch as it is an instance exterior to consciousness, completely unevident, since evidence is defined as a mode or state of consciousness alone, independent from and indifferent to a possible transcendence. One cannot, solely on the basis of the criterion of evidence, demarcate solipsistic evidence from a things evidence. In order for evidence to decide by itself between a film without depth and the figure of a reality, in short for it to be able to let the phenomenon be seen, or rather, let it appear, a new term has to be introduced—givenness. Evidence sees nothing if givenness does not give it to let appear what does not belong to it, the essential unevidence of appearing as phenomenal appearing. For phenomenology does not begin with appearing or evidence (otherwise it would remain identical to metaphysics), but with the discovery, as difficult as it is stupefying, that the evidence, blind in itself, can become the screen of appearing—the place of givenness. Place of givenness, therefore not its origin but rather its point of arrival: the origin of givenness remains the “self” of the phenomenon, with no other principle or origin besides itself. “Self-givenness, Selbstgebung, donation de soi” indicates that the phenomenon is given in person  , but also and especially that it is given of itself and starting from itself. Only this givenness, having originated in itself, can give the self of the phenomenon and invest evidence with the dignified rank of guardian of phenomenality, uprooting it from its idolatrous death. Of course, this change from dead evidence to evidence charged with givenness is enacted only through the operation of the reduction, but the reduction would not produce any phenomenological advance if it was limited to reducing evidence to the real immanence of lived experiences, however certain they might be. It draws its legitimacy and its fruitfulness only from serving givenness, from which, like evidence (though in an other mode), it receives all. Givenness gives life to the reduction as much as to the evidence, since it alone gives them charge over phenomenality.

Original

Admettre la phénoménalité propre du phénomène – son droit et sa puissance à se montrer à partir de lui-même – implique ainsi de la comprendre à partir de la donation. Husserl, récapitulant à la fin de son itinéraire l’acquis de son premier « ouvrage de percée », les Recherches logiques, marque parfaitement la mutation ainsi demandée à la pensée philosophique : « C’est là [en 1901] pour la première fois, par conséquent, que l’ “évidence” (cette idole logique morte) a été transformée en un problème, qu’elle a été libérée de la prévalence de l’évidence scientifique et qu’elle s’est élargie à l’universalité de la donation originale de soi (zur allgemeinen originale Selbstgebung erweitert). » [24]  De quel élargissement s’agit-il ? Sans doute de l’élargissement de l’intuition sensible (kantienne) à l’intuition catégoriale ; mais Husserl ne s’en tient pas ici à la seule question de l’intuition ; et d’ailleurs cet élargissement doit lui-même se justifier. En fait, il y va, plus universellement, de l’élargissement de l’évidence en donation. Élargissement ou approfondissement, ou – parce que la « profondeur » paraîtrait ici plus discutable que profitable – mutation. Pourquoi en effet Husserl disqualifie-t-il l’évidence comme une simple idole morte ? Pourquoi en a-t-il au contraire privilégié l’usage, comme de tout le réseau sémantique qui la lie au regard, à la vue, à la vérité, etc. ? Précisément, parce qu’il l’a redéfinie radicalement – car la vue et le regard ne verraient absolument rien si l’évidence restait une simple impression subjective, un effet de conscience, bref un miroir idolâtrique où l’esprit se renverrait à lui-même une impression qui n’impressionne que lui. Pour que l’évidence ne se referme pas en simple idole du regard et ne reste pas une lettre morte – que la conscience s’envoie à elle-même –, il faut, d’une absolue nécessité phénoménologique, que l’évidence donne plus qu’un état ou un vécu de conscience, qu’elle porte en sa clarté l’apparaître d’un non-conscient, d’un non-vécu, d’un non-pensé. Il faut qu’en son écran, se projette et advienne un autre qu’elle – l’inévident, le phénomène lui-même. Car il faut admettre ce paradoxe : le phénomène reste, en tant qu’instance extérieure à la conscience, parfaitement inévident, puisque l’évidence se définit comme un mode ou état de la seule conscience, indépendant de et indifférent à une éventuelle transcendance ; on ne peut, selon le seul critère d’évidence, démarquer une évidence solipsiste d’une évidence de chose. Pour que l’évidence se décide en elle entre un film sans profondeur et la figure d’un réel, bref pour qu’elle puisse laisser voir, mieux, laisser apparaître le phénomène, il faut introduire un terme neuf – la donation. L’évidence ne voit rien si la donation ne lui donne pas de laisser apparaître ce qui ne lui appartient pas, l’inévidence essentielle de l’apparaître comme apparaître phénoménal. Car la phénoménologie ne commence pas avec l’apparaître ou l’évidence (sinon elle resterait identique à la métaphysique), mais avec la découverte, aussi difficile que stupéfiante, que l’évidence, en elle-même aveugle, peut devenir l’écran de l’apparaître – le lieu de la donation. Lieu de la donation, donc pas son origine, mais son aboutissement : l’origine de la donation reste le « soi » du phénomène, sans principe ni origine que soi. La « donation de soi, Selbstgebung » indique certes que le phénomène se donne en personne, mais aussi et surtout qu’il se donne de lui-même et à partir de lui-même. Seule cette donation originée en soi peut donner le soi du phénomène et investir l’évidence de la dignité de veilleur de la phénoménalité, l’arrachant ainsi à sa mort idolâtrique. Bien entendu, cette mutation de l’évidence morte à l’évidence chargée de donation ne s’accomplit que par l’opération de la réduction. Mais la réduction ne produirait aucune avancée phénoménologique, si elle se bornait à réduire l’évidence à l’immanence réelle des vécus, aussi certaine soit-elle ; elle ne tire sa légitimité et sa fécondité que de son service de la donation, dont, comme l’évidence (quoique sur un autre mode), elle reçoit tout. La donation donne vie autant à la réduction qu’à l’évidence, puisqu’elle seule leur donne la charge de la phénoménalité.


Ver online : Jean-Luc Marion


MARION, J.-L. Étant donné: essai d’une phénoménologie de la donation. 2e éd Paris: PUF, 1998.