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L’Absolu Technique

Milet (2000:67-70) – De l’ustensile, considéré en lui-même

L’essence mathématique de l’ustensile

sexta-feira 20 de dezembro de 2019, por Cardoso de Castro

MILET  , Jean-Philippe. L’Absolu Technique. Paris: Kimé, 2000, p. 67-70

S’il est pertinent de lire, dans Qu’est-ce-qu une chose ?, une invitation à interpréter Etre et Temps suivant le fil conducteur de l’apprentissage des usages, c’est au cœur de l’ustensilité qu’il convient de chercher l’émergence du mathématique. L’usage se montre à partir de l’étant disponible (ou utilisable, Zuhanden  ). Le disponible est accessible à partir du Zeug   — et, de prime abord et le plus souvent, comme Zeug. Heidegger rapproche le Zeug des pragmata  , qu’il rapporte, curieusement, au genre d’être de la praxis  . En quoi l’analyse de l’ustensile nous met-elle sur le chemin de la question de l’apprendre ? En ceci que les déterminations de l’ustensile supposent une affinité initiale de celui-ci avec la main, affinité qui a le caractère d’un savoir. Ce savoir, pré-théorétique, sollicite un certain regard, coup d’oeil avisé qui discerne, évalue, anticipe. Le fil conducteur de l’apprendre émerge tout au long de l’analyse.

Par essence, dit Heidegger, un ustensile est quelque chose qui est «fait…pour» : remarque apparemment triviale. Sauf si l’on prend soin de préciser que le rapport entre l’outil et sa propriété n’a pas le caractère d’une adjonction accidentelle entre un support et une fonction, mais que l’outil se présente comme l’unité concrète, c’est-à-dire indissociable, du support et de la fonction. Un marteau qui ne martellerait pas ne serait pas un marteau, ou alors, dirait Aristote  , seulement par homonymie. Le marteau est son usage — mais alors, il n’apparaît, comme tel, que pris dans un réseau de renvois, manifeste à travers un complexe instrumental :

«Les différentes variétés de «fait pour», comme l’ustensilité, la contribution, la destination à un emploi, la maniabilité constituent une totalité instrumentale. Dans la structure du «fait-pour», réside un renvoi de quelque chose à quelque chose.»

En quel sens le renvoi témoigne-t-il de la dimension ontologique de l’outil ? A partir de l’ustensile pour écrire, du stylo, par exemple, se constitue une multiplicité de renvois qui inclut la plume, l’encre, le papier, le sous-main, le bureau, le mobilier, la pièce, et en dernière instance, l’habitation. Or, le stylo n’apparaît comme stylo que pris dans cette multiplicité de renvois. Le complexe d’instrumental tout entier est impliqué d’avance dans la fonction, et la co-définit, et c’est la fonction ainsi déterminée qui ne fait qu’un avec le support. Ou encore, le stylo n’est accessible à un usage que pour autant que le complexe instrumental y est pré-dévoilé : mais ce pré-dévoilement n’est pas thématique, l’usage ne suppose pas une visée expresse du complexe instrumental, en tant que s’y trouve pré-comprise une modalité de l’être-au-monde, à savoir l’habitation. L’habitation est vue, mais pas selon un mode théorique. Elle a sa vue propre.

Manier un outil, c’est en avoir appris l’usage. Mais ce qui est susceptible d’être appris n’est pas seulement le «fait pour», c’est le complexe au sein   duquel l’outil est inscrit. C’est la vue préalable du complexe qui donne accès au fait pour.

La détermination de cette vue est essentielle à la compréhension de la dimension ontologique de l’ustensile. A travers l’ustensile, ce qui est accessible est la manière dont le Dasein   est déjà orienté sur l’étant — ou encore, ce qui est accessible est la manière dont, a priori  , l’étant est prédévoilé. Dire que l’ustensile a une dimension ontologique n’implique pas que son utilisation serait solidaire d’une ontologie   explicite, mais bien plutôt, qu’elle implique une compréhension pré-ontologique. Celle-ci a le caractère de la vue d’ensemble (Umsicht  ) qui prend la mesure des tâches qui s’imposent et des possibilités correspondantes, en discernant les problèmes, c’est-à-dire les obstacles. Une telle vue est appréciation pragmatique ; ce qui s’y trouve évalué est l’ensemble des possibilités que recèle un ustensile : les connexions dont il est susceptible avec d’autres ustensiles, les usages auxquels il est propre, le réseau de renvois dont il est solidaire : «L’ouvrage comporte le réseau entier des renvois à l’intérieur duquel l’outil se présente.». A travers ces évaluations, se profile la connexion des tâches, des usages établis qui les requièrent, et des prescriptions auxquelles obéissent ces usages. A travers les éléments solidaires de cette connexion, est prédévoilé un horizon   d’existence. C’est sur le fond de ce prédévoilement que le maniement d’un ustensile est possible. Le regard qui apprécie l’utilisabilité d’un ustensile se soumet au contexte référentiel, en tant qu’il est prédévoilé. Le regard propre à l’appréciation de l’utilisabilité s’oriente sur un contexte prédévoilé. Le contexte du prédévoilement est pragmatique et renvoie à des usages. Qu’en est-il du prédévoilement du contexte ?

La vue d’ensemble à l’œuvre dans le réseau de renvois, si elle cherche et tâtonne, ou, comme on dit, «réfléchit», a le caractère de l’explicitation herméneutique. A la différence de l’explicitation apophantique, elle ne requiert pas l’énonciation. L’énoncé est la forme que prend la parole dans l’opération du jugement. Au jugement, il appartient de mettre en lumière, de faire ressortir la constitution d’être — ce qu’est la chose comme telle. Mais le jugement détache la chose de ses renvois. Dans le jugement, l’ustensile est neutralisé : non seulement le contexte référentiel, mais encore, le prédévoilement comme trait du contexte, et le mode de compréhension qui lui est propre, à savoir la familiarité qui s’y retrouve et s’y reconnaît, parce qu’à travers les outils les usages et les œuvres, elle se meut dans l’horizon qu’elle s’est déjà approprié comme sa possibilité d’existence. Dans l’explicitation herméneutique, s’accomplit un prédévoilement pré-judicatif et pré-énonciatif du réseau de renvois, des usages et des possibilités d’existence auxquels est intrinsèquement lié l’ustensile. La portée ontologique de l’ustensile est herméneutique : elle autorise le thème, mais aussi le champ de recherche d’une herméneutique instrumentale.

Cette dernière, plus qu’esquissée dans Etre et Temps, n’atteint cependant sa portée que si elle fait apparaître l’ustensile comme le médiateur d’une ouverture au tout de l’étant. Pour qu’à travers l’ustensile, s’accomplisse le prédévoilement de la totalité de l’étant, ne faut-il pas que l’ustensilité soit étendue à la totalité de l’étant ? Que devient le partage entre étant «naturel» et étant «fabriqué» ? L’originalité de la pensée heideggérienne de l’ustensile ne tient pas seulement au caractère d’index ontologique de celui-ci ; elle tient aussi à l’irréductibilité de l’ustensile à un produit fabriqué. Les produits fabriqués constituent certes, en qualité d’ustensiles, des exemples d’utilisables se rencontrant «de prime abord et le plus souvent». Mais l’utilisable est coextensif à la nature, comprise comme l’ordre de ce qui précède toute fabrication : «Dans l’ustensile mis en usage et de par son usage se dévoile simultanément la «nature», la «nature» dans la lumière de ces produits naturels.» Les «produits naturels», et d’abord les «éléments», apparaissent comme des utilisables, et, en raison de leur intégration à un circuit de renvois, comme des ustensiles. Ils ne sont pas des ustensiles au même titre que des produits fabriqués : mais leur utilisabilité est présupposée par la fabrication, ou plutôt, la fabrication tire sa possibilité d’avoir discerné à l’avance l’utilisabilité mais aussi, l’ustensilité des matériaux naturels, l’ustensilité consistant dans la préinscription de ces derniers en un réseau de renvois. La vue qui détermine la nature comme antérieure à l’artifice est théorique : c’est à l’étant subsistant qu’elle a affaire, c’est-à-dire à l’étant détaché de son réseau de renvois, et du prédévoilement inhérent à ce réseau. Ce qui est prédévoilé à travers le réseau est l’être-au-monde ; une compréhension pré-ontologique de l’être-au-monde est implicite à l’appréhension de la «nature dans la lumière de ses produits naturels» ; c’est pourquoi le phénomène de la nature ne peut être mis en lumière qu’à partir de l’être-au-monde. Mais ce qu’il révèle, c’est que la vue d’ensemble, en tant qu’elle est pragmatique — à travers cette vue, se laisse aisément reconnaître la techne   dans sa dimension de savoir familier — implique l’instrumentalisation de la totalité de l’étant, produit comme utilisable et comme ustensile. Cette détermination est propre à l’horizon pragmatique de l’existence : elle suppose l’occultation de l’être de l’étant. Ce qui est occulté, en particulier, est la manière dont les connexions pragmatiques laissent «luire» le phénomène du monde. Mais il apparaît qu’une compréhension ontologique de l’ustensile, parce qu’elle fait de l’ustensile un index ontologique, exclut la restriction de l’ustensile à l’outil fabriqué, mais l’étend à la totalité de l’étant. Cette extension consiste à reconnaître l’instrumentalisation de tout l’étant comme le propre de la quotidienneté préoccupée. L’étant naturel, comme l’étant fabriqué, est explicité dans la perspective de son utilisabilité. Le caractère d’ustensile de la totalité de l’étant précède et rend possible la distinction entre ce qui est naturel et ce qui est fabriqué. Et partant, tout savoir concernant l’étant — et d’abord, les savoirs «pragmatiques» — s’édifie sur le prédévoilement de l’utilisabilité.

C’est donc sur fond d’explicitation herméneutique que le maniement d’un outil peut être appris — apprendre l’outil, c’est apprendre le monde auquel il appartient — mais de telle sorte que l’appropriation de ce monde demeure de l’ordre de la compréhension pré-ontologique. Le monde forme le véritable horizon de l’apprendre.


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