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Marion (1989:259-262) – o tédio [Langeweile]

sábado 20 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

destaque

[…] O primeiro [tédio] consiste em aborrecer-se com algo, portanto por algo: de acordo com a temporalidade correspondente, o aborrecimento lamenta perder tempo com algo que não o merece; desafia, portanto, o privilégio concedido, por manuseamento utilitário, a um ente particular. O segundo [tédio] consiste em estar aborrecido consigo mesmo a respeito de algo: de acordo com a temporalidade correspondente, o tédio atribui-nos um estado presente desprovido de qualquer futuro; expõe-nos, portanto, a receber todo ente, todo ente como um todo, de frente e indiscriminadamente. Por fim, o "tédio profundo" põe em causa o "eu" em pessoa: aborrecemo-nos de nós mesmos em nós mesmos, de modo que todo o ente enquanto tal entra em suspensão: "O ente como um todo tornou-se indiferente. Aqui o acesso à totalidade do ente resulta diretamente da indiferença: é precisamente porque o tédio afoga na névoa da indiferença não só os estados, mas sobretudo as diferenças entre estados e mesmo a diferença entre os estados intramundanos e o Dasein   — "… todos os homens e nós com eles…" —, que a quantidade de estados se reduz. A indiferença torna-os todos indiferenciados, de modo que alguns já são suficientes para nos fazer experimentá-los todos. O tédio, ao confundir todos os estados do ente na indiferenciação, abre-se à totalidade do ser e, portanto, ao mundo: "Chamamos ao espaço (Weite) deste ’como um todo’ (’im Ganze  ’), tal como ele se abre no tédio profundo, o mundo." Assim, através da tonalidade do tédio, o Dasein accede ao ente como um todo enquanto fenômeno dado em pessoa, sem reservas nem condições; o ente em totalidade dá-se a ver, precisamente porque o tédio torna indiferentes as diferenças qualitativas e quantitativas entre os entes. O Dasein é assim lançado como tal no meio do ente como um todo.

original

Comment donc l’ennui nous jette-t-il au milieu   de l’étant en sa totalité ? Dans le maniement quotidien des étants, je m’adresse toujours à tels étants particuliers ou particularisés par l’usage, jamais à l’étant dans son ensemble. Pourtant, parfois, l’étant particularisé dans le maniement vient à perdre son privilège : l’ennui marque d’indifférence tel étant jusqu’alors privilégié, pour confondre ensemble tous les étants par l’indifférenciation de l’étant en son ensemble, tel qu’il m’ennuie. La conférence de 1929 distingue, certes très allusivement, entre l’ennui pour tel ou tel étant (un spectacle, une occupation, voire un désœuvrement) et « l’ennui profond, s’étirant comme un brouillard silencieux dans les abîmes du Dasein, [qui] confond toutes choses, les hommes et nous-mêmes avec eux, dans une étrange indifférence »  [1] . En fait, cette distinction se déploie beaucoup plus explicitement dans un cours contemporain, Die Grundbegriffe der Metaphysik   (hiver 1929-1930) [GA29-30  ], qui analyse deux types d’ennui avant d’atteindre, lui aussi, l’ « ennui profond ». Le premier consiste à s’ennuyer de quelque chose, donc pour quelque chose : selon la temporalité correspondante, l’ennui regrette de perdre du temps pour ce qui ne le mérite pas; il conteste donc ici le privilège accordé, par le maniement utilitaire, à tel étant particulier. Le second consiste à s’ennuyer soi-même de soi-même à propos de quelque chose : selon la temporalité correspondante, l’ennui nous assigne à un état présent destitué de tout avenir; il nous expose donc à recevoir de front et indistinctement tout étant, tout l’étant dans son ensemble. Enfin l’ « ennui profond » met en cause le « soi » en personne : on s’ennuie de soi en soi, en sorte que tout l’étant comme tel entre en suspension : « L’étant dans son ensemble est devenu indifférent. »  [2]  Ici l’accès à la totalité de l’étant résulte directement de l’indifférence : c’est précisément parce que l’ennui noie dans la brume de l’indifférence non seulement les étants, mais surtout les différences entre étants et même la différence entre les étants intra-mondains et le Dasein — « … tous les hommes et nous-mêmes avec eux… » —, que la quantité d’étants effectivement abordés importe peu : l’indifférence les rend tous indifférenciés, en sorte que quelques-uns suffisent déjà à les faire éprouver tous. L’ennui, en confondant tous les étants dans l’indifférenciation, ouvre à la totalité de l’étant, donc au monde : « Nous nommons l’espace (Weite) de ce “dans son ensemble” (“im Ganze”), tel qu’il s’ouvre dans l’ennui profond, le monde. »  [3] Ainsi, par la tonalité de l’ennui, le Dasein accède-t-il à l’étant dans son ensemble comme à un phénomène donné en personne, sans réserve ni condition; l’étant en totalité se donne à voir, précisément parce que l’ennui rend indifférentes les différences qualitatives et quantitatives entre les étants. Le Dasein se trouve donc bien jeté comme tel au milieu de l’étant dans son ensemble.

Cet aboutissement phénoménologique suscite pourtant une double remarque, à développer ultérieurement. (a) Heidegger ne prend pas même la précaution de justifier que l’ennui ait une portée ontique, voire ontologique; or cette assomption pourrait se contester doublement. Soit que l’ennui n’ait pas la puissance de rendre indifférenciés les étants, donc d’ouvrir l’accès à l’étant dans son ensemble : ne peut-on envisager que tel ou tel étant, absolument exceptionnel ne dissipe, du seul fait de son apparaître, l’ennui le plus profond ? L’ennui triomphe-t-il toujours de la splendeur du beau, du sublime ou du bien ? Sa puissance ne s’exerce-t-elle pas surtout sur l’étant résolument commun ? Soit au contraire que l’ennui, justement parce qu’il pourrait suspendre même la splendeur du bien et le prestige du beau, ne s’épuise pas dans le champ ontico-ontologique, bref déploie une autorité irréductible à la « question de l’être ». Par défaut ou par excès, l’ennui ne pourrait-il donc point échapper à la thématisation du « phénomène d’être » ? Ces interrogations trouvent un renfort dans la seconde remarque. (b) La tonalité de l’ennui se trouve privilégiée en 1929, tant par la conférence que par le cours. Pourtant la conférence fait allusion à deux autres tonalités, d’ailleurs conjointes : la joie devant le Dasein de l’aimé; si joie et amour, eux aussi, permettent d’accéder à l’étant dans son ensemble, pourquoi ne bénéficient-ils jamais d’une analyse aussi poussée que l’ennui  [4]  ? S’ils se trouvent mentionnés, sans plus d’égard, faut-il en inférer qu’ils n’eussent point permis d’aboutir à un résultat aussi avéré que l’ennui ? Mais alors, pourquoi les avoir même mentionnés ? S’ils ne conviennent pas exactement au « phénomène d’être », est-ce par défaut (comme de simples intentionnalités de la conscience), ou par excès (comme des instances irréductibles à la philosophie  ) ?  [5] . Leur mention, qui en dit ainsi trop et trop peu, ne peut manquer de susciter ces interrogations.


Ver online : Jean-Luc Marion


MARION, J.-L. Réduction et donation: Recherches sur Husserl, Heidegger et la phénoménologie. Paris: PUF, 1989.


[1« Das Seiende im Ganzen ist gleichgültig geworden », Wegmarken, p. 110.

[2Die Grundbegriffe der Metaphysik. Welt-Endlichkeit-Einsamkeit, GA, 29/30, § 31, p. 212. Une analyse de cette analyse de l’ennui a été fournie par M. Haar, « Le temps vide et l’indifférence à l’être », in Exercices de la patience, 7, 1986.

[3Die Grundbegriffe der Metaphysik, GA29-30, § 39, p. 251.

[4L’étude des énoncés de Heidegger concernant l’amour (et la joie) reste à faire. Mentionnons quelques textes. — (a) "Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs (été 1925), § 20 : « Das, was wir hier als In-Sein des Daseins herausstellten und noch näher charakterisierten, ist das ontologische Fundament dafür, was Augustinus und vor allem dann Pascal kannten. Sie nannten das, was eigentlich erkennt, nicht das Erkennen, sondern Liebe und Hass » (GA, 20, p. 222) : la réduction de l’amour à la « question de l’être » est ici assez violente, pour que Heidegger ne tente pas de la justifier (même « plus tard », comme le promet la suite du texte). — (b) D’ailleurs ce même cours avait commencé par traiter de l’amour à partir de l’intentionnalité, sur le mode d’une simple noèse parmi d’autres : « Jedes Sich-richten-auf, Furcht, Hoffnung, Liebe hat den Charakter des Sich-richtens-auf, den Husserl als Noesis bezeichnet » (ibid., p. 61). — © Hölderlins Hymnen « Andenken » (1941-1942) maintient cette réduction, à sa manière : « Liebe und Taten sind das Dichterische des Zeit-Raumes, in dem die Sterblichen eigentlich “da” sind » (§ 54, GA, 52, p. 161). — (d) Brief über den « Humanismus » (1946) : « Sich einer “Sache” oder einer “Person” in ihrem Wesen annehmen, das heisst : sie lieben : sie mögen » (Wegmarken, GA, 9, p. 316) : il s’agit ici sans conteste de reconduire l’amour à la « question de l’être ». — (e) D’autres textes reprennent seulement la réduction, propre à la métaphysique, de l’amour à la volonté; ainsi Hölderlins Hymnen « Germanien » und « Das Rhein » (1934/1935), GA, 39, p. 82 et 94; Nietzsche I (1935), p. 470 (voir Nietzsche metaphysiche Grundstellung im abendländischen Denken. Die ewige Wiederkehr des Gleichen (été 1937), § 22, GA, 44, p. 232). On pourrait y rattacher le jugement sans appel porté sur (contre) la charité chrétienne par Nietzsches Wort « Gott ist tot » (1943) : « Christlicher Glaube wird da und dort sein. Aber die in solcher Welt waltende Liebe ist nicht das wirkend-wirksame Prinzip dessen, was jetzt geschieht » (Wegmarken, GA, 5, p. 254). — Quant à la joie, elle ne reçoit pas un traitement meilleur. Certes, l’Einführung in die Metaphysik (été 1935) oppose à l’ennui le « Jubel des Herzens » (GA, 40, p. 3), mais sans autre explication. On ne saurait non plus considérer les textes de Nietzsche I (p. 56 et 65) ou de Ueberwindung der Metaphysik, § 28 (1936-1946, in Vorträge und Aufsätze, I, Pfullingen, 19541, p. 91) comme des indications phénoménologiques suffisantes.

[5Comme nous l’avons esquissé dans Prolégomènes à la charité, Paris, 1986, en particulier chap. IV.