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Le Dictionnaire Martin Heidegger

LDMH: Verstehen - entente

ENTENTE

domingo 23 de maio de 2021, por Cardoso de Castro

[ARJAKOVSKY, Philippe, FÉDIER, François & FRANCE-LANORD, Hadrien. Le Dictionnaire Martin Heidegger. Paris: CERF, 2013, p. 397-400]

Comme nombre de termes importants d’Être et temps, l’entente ou l’entendre – das Verstehen   – a d’abord été employé par Heidegger pour traduire du grec, celui en particulier d’Aristote  . Ainsi, dans cette sorte d’antichambre d’Être et temps que sont le Rapport Natorp   (1922) et le cours de 1924-1925 sur le Sophiste à partir de l’Éthique à Nicomaque (GA19  ), l’entente traduit la σοφία   d’Aristote, ce que l’on retrouve dans le beau § 7 de l’Introduction en la philosophie   de 1928-1929 (GA27  ). De même que la « σοφία est la plus haute possibilité d’être » (GA19, 61), l’entente telle que la pense Heidegger est une des possibilités d’être les plus éminentes du Dasein  , à savoir celle en laquelle le « genre d’être du Dasein prend le sens existential du pouvoir-être » (ÊT, 143) et découvre ainsi la possibilité comme étant « sa détermination ontologique la plus originale » (ÊT, 143). L’accent néanmoins est chez Heidegger tout autre, ne serait-ce que parce que l’entente, étant toujours accordée à une tonalité (ÊT, 142), se déploie co-originalement avec la disposibilité. Il n’y a plus pour Heidegger de distinction entre une âme et un corps, mais des manières pour l’être-le-là (Dasein) de s’ouvrir à son là. En ce sens, l’entente passe tout autant par le « corps » (dans une caresse par exemple et dans tout vrai geste) que la tonalité ne dispose l’esprit pour le mettre en résonance (Cézanne parle ainsi de « logique des sensations colorées »). C’est dire que l’entente est de fond en comble existentiale et, en tant que mouvement même de l’existence (GA3  , 227), l’entente n’est rien de figé. C’est pourquoi Heidegger emploie un verbe : das Verstehen. Entendre, c’est ainsi tendre vers l’être de telle manière que, dans ce mouvement en lequel être-le-là est d’entente avec l’être, il ouvre et découvre l’ouvertude du là qu’il a chaque fois à être (ÊT, § 31). C’est dans cette tension de l’entente vers l’être que l’être humain se découvre comme projection (Entwurf  ) – ce qui ne signifie pas que l’homme se lance dans un projet, mais que, sur la lancée (Wurf) que l’être lui ouvre, s’esquisse (entwerfen) pour l’être humain l’élan factif que lui est son propre être en tant que possibilité. Or, se découvrir comme être des possibles c’est proprement libérer la finitude en soi – ainsi, écrit Heidegger dans l’admirable strette qu’est la 4e section du livre sur Kant   :

C’est seulement parce que l’entente de l’être est ce qu’il y a de plus fini dans le fini qu’elle est en mesure de rendre possibles même les facultés dites « créatrices » de l’homme en son déploiement d’être fini [GA3, § 41].

Ainsi, le rapport ententif qu’a l’être humain avec son être comme possibilité prend de nombreuses formes : aussi bien la « création » que la forme la plus inapparente qu’est cette entente immédiate et néanmoins primordiale qu’est l’entente pré-ontologique (ÊT, 12). Mais qu’il saisisse conceptuellement ou non les guises de sa possibilité en les thématisant par exemple (ÊT, 363), l’être humain, en tant qu’il est toujours tendu vers l’être dans l’entente, est cette possibilité. Il convient donc de bien distinguer l’entente de la compréhension : « Il y a des ententes de l’être [Verstehen des Seins ou Seinsverständnis] qui ne sont pas des compréhensions de l’être [Erfassen   ou Begreifen   des Seins] », dit Jean Wahl   (Introduction à la pensée de Heidegger, p. 105) en paraphrasant un passage du cours d’Introduction en la philosophie (GA27, 191). Dès lors, traduire das Verstehen par « la compréhension » (E. Martineau  ), c’est ne pas faire la distinction que fait Heidegger en se privant d’une possibilité qu’offre notre langue, là où l’allemand n’a en revanche qu’un seul mot et doit avoir recours aux guillemets. Ainsi, au début du § 31 d’Être et temps :

« Comprendre » [“Verstehen”], au sens d’un genre possible de connaissance parmi d’autres, distingué par exemple d’« expliquer », doit s’interpréter de pair avec « expliquer », comme un dérivé existential de cet entendre primordial qui constitue avec la disposibilité l’être du là.

Autrement dit, la compréhension qui va de pair avec l’explication (Erklären  ) n’est qu’un mode dérivé et théorique de cette entente primordiale qu’est l’être-au-monde. « En français », écrit Pierre Jacerme dans un texte essentiel, « ‘‘comprendre’’ est bien trop ‘‘intellectuel’’ ; or de quoi parle Heidegger quand il parle du Verstehen ? Il parle de l’être-au-monde. Il s’agit donc de dire que le Dasein est de taille à s’y retrouver par rapport au monde… » (L’Éthique, à l’ère nucléaire, p. 162). Au sujet de la distinction entre comprendre et entendre, un des textes les plus forts figure dans le cours sur Hölderlin   de 1934-1935 :

Où quelque chose est expliqué, il n’y a plus rien à entendre… Entendre, à proprement parler et en le saisissant dans son essence originale, c’est savoir l’inexplicable ; non pas que l’entente l’expliquerait et, une fois expliqué, qu’elle le mettrait à l’écart. Entendre, c’est prendre justement l’inexplicable comme tel. […] Plus notre entente est originale, plus l’inexpliqué et l’inexplicable comme tels deviennent amples et se révèlent [GA39  , 246-247].

Ces remarques – dont la portée herméneutique est littéralement bouleversante – impliquent une mutation de la notion de sens telle qu’elle a lieu dans Être et temps (§ 32) et dont nous pouvons voir les conséquences dans ces lignes étonnantes :

Ce qui est entendu n’est jamais soi-même sens ; nous n’entendons pas quelque chose en tant que sens, mais toujours seulement « au sens de… ». Le sens n’est jamais le thème de l’entente [De l’essence de la vérité, GA34  , 18].

Nous comprenons du même coup que la question du sens de être telle que la pose Heidegger en vue de fonder l’ontologie   n’est pas une nouvelle explication, mais bien une question (GA40  , § 29) qui laisse se déployer l’inexplicable dans toute sa plénitude. Laisser se déployer ainsi l’inexplicable c’est en définitive ce que Heidegger nomme l’« entente de l’être » (Seinsverständnis) qui donne à notre finitude sa mesure la plus intime (GA3, 229) et qui a pour notre Dasein la « place la plus éminente dans la mesure où s’annonce   en elle une puissance en laquelle la possibilité essentielle d’aître de notre Dasein trouve purement et simplement son assise » (GA40, 88). Et c’est à partir de cette possibilité que, inépuisablement, nous sommes en notre là triplement ouvert aux autres, au monde et à nous-mêmes, car il ne saurait y avoir de rapport au monde pour l’être humain sans entente de l’être. En effet, c’est dans ce Verstehen qui est à la fois un Vorstehen (ÊT, 143 et Questions iv, p. 268), dans cette entente, donc, qui est aussi une manière de tenir debout devant, que nous sommes de taille à soutenir ce devant quoi nous sommes.

Mais si dans Être et temps Heidegger perçoit qu’il n’y a de rapport au monde possible que grâce au rapport à l’être que porte l’être humain dans l’entente, il n’aperçoit pas encore pleinement que l’être humain ne peut porter ce rapport que parce qu’il est toujours d’emblée porté par l’être et comme entendu par lui. C’est donc parce que l’être s’ouvre et se découvre (mouvement qui, sans être vraiment pensé, affleure dès Être et temps sous le nom d’« ouvertude d’être en général » notamment au § 31 consacré à l’entente) à l’être humain que ce dernier peut avoir une entente de quoi que ce soit. C’est à partir de ce mouvement de lancée (Wurf) en laquelle l’être s’ouvre à l’être humain que Heidegger pense à neuf l’entente dans les Apports à la philosophie. Dans l’entente de l’être, la vérité de l’être trouve l’élément de sa fondation (GA65  , 259) dans la mesure où, en s’adressant à l’être humain, l’être amène son entente à se tenir en telle façon que l’ek-sistence y accomplit sa manière endurante de tenir instamment (ausstehende Inständigkeit  ) dans l’Ouvert ou la flagrance (Offenheit  ) de l’être. Étant ainsi amené dans l’Ouvert par son entente de l’être, l’être humain advient dès lors à soi et au monde, hors de toute subjectivité (GA65, 303). [Hadrien France-Lanord, LDMH  :397-400]


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