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Jean Wahl (1998:34-40) – aletheia

sábado 10 de fevereiro de 2024, por Cardoso de Castro

destaque

[…] A verdade não é uma propriedade da proposição: está nas próprias coisas. E aqui se acentua o aspecto objetivista da teoria de Heidegger. Não é na proposição sobre o ser que reside a verdade, mas é o próprio ser que é revelado ou verdadeiro. E é apenas porque o ser é verdadeiro que podemos formular proposições sobre ele que são verdadeiras. Consequentemente, a verdade da proposição é derivada da verdade do ser. A verdade, no seu sentido antigo, a descoberta, pertence ao próprio ser.

original

[…] la spontanéité en nous, celle dont parle Kant  , recouvre autre chose qui est une réceptivité. Nous nous livrons aux choses afin qu’elles se montrent telles qu’elles sont ; ceci nous le retrouverons, et c’est le fondement de ce que Heidegger appellera sa théorie de la vérité. En second lieu, nous avons à tenir compte du fait que les choses ne sont jamais séparées les unes des autres. Nous n’avons pas devant nous seulement — pour reprendre l’exemple qu’il prenait— la craie blanche, mais nous avons aussi le tableau noir. Et ce n’est pas là une simple juxtaposition, ou du moins cette juxtaposition a un caractère particulier. Elle est déterminée par le fait que la craie, le tableau, la serviette pour effacer ce qui a été écrit, font partie d’une sorte de totalité. Ce ne sont donc pas seulement des choses spatialement juxtaposées, mais il y a entre elles une juxtaposition particulière. La craie sert à écrire, la serviette à effacer, et je ne trouve pas d’équivalent pour traduire le mot que Heidegger emploie ici, il y a une Bewandtniszusammenhang, mettons une “tournure d’ensemble” [1] qui est le fondement de toutes ces choses, craie, tableau… Et c’est seulement sur le fondement de cette totalité que nous voyons ces choses différentes. Sans l’intelligence de ce fondement total, intelligence qui n’est jamais complète, [36] mais au travers de laquelle le fondement total transparaît, nous ne pourrions pas employer le tableau ou la craie.

Cet ensemble est lui-même relié à des ensembles plus généraux, comme la salle de cours, liée elle-même à l’ensemble des bâtiments, et tout cela est dominé par l’idée d’endroit où l’on donne des cours. Donc, nous ne pourrions pas éprouver, dit Heidegger, même les choses qui se présentent à nous si nous n’avions pas cette idée générale de la totalité dans laquelle elles sont. Dès que nous sommes ici, nous nous mouvons à l’intérieur de cette totalité qui est la salle de conférences, elle-même partie d’un ensemble de bâtiments universitaires. C’est là l’arrière-plan sur lequel tous les détails se détachent. Tout cet ensemble est immédiatement découvert quand nous disons : “la craie est auprès de la chaise”. Les largeurs de la perspective de ce qui nous est ouvert se déplacent constamment, néanmoins il y a une largeur moyenne dans laquelle nous nous mouvons. Et sans cela, nous verrions bien les choses, mais nous ne les saisirions pas dans ce qu’elles sont. Elles n’en seraient pas moins réelles, peut-être pas moins menaçantes, peut-être ne le seraient-elles plus en un certain sens, mais nous ne saurions pas quoi faire d’elles.

C’est donc un tort de la théorie classique — et ce n’est pas le seul — que de poser la question d’un sujet, d’un terme isolé.

Et nous voyons en troisième lieu — et c’est relié à ce que nous venons de dire — que nous sommes auprès des choses sans toujours nous occuper d’elles. La craie était là, le tableau était là avant que nous en parlions. Le “séjourner auprès de” est donc différent de “s’occuper de”.

Heidegger arrive de là à l’idée qu’il y a une ouverture de ce qui est dans son ensemble, une “révélation” (en allemand : Unverborgenheit  ) de ce qui est dans son ensemble, révélation faite à nous-mêmes [2].

Ici, une première observation peut être faite. C’est ce que Heidegger nous avait dit : il y a trois sortes de manière d’être —je le rappelle —, il y a l’être qui est simplement [37] présent à nos yeux (Vorhandensein  ), comme un paysage, il y a les outils et les ustensiles (Zuhandensein), et il y a l’être humain (Dasein  ). Nous voyons qu’ici, il s’est appuyé sur ce qu’il appelle outils ou ustensiles. Il a quelquefois pris le mot par lequel il désigne les spectacles pour désigner les ustensiles. Il prend la craie comme un exemple de chose qui n’est pas l’être humain, et il nous montre ce que c’est que l’“être auprès” tel qu’il le conçoit. Donc, sa démonstration est peut-être viciée par ce fait qu’il s’appuie sur les outils et les ustensiles et non sur n’importe quel objet : il prend un type d’objet déterminé. Nous pouvons passer sur ce point, car il essaiera par la suite d’étendre cela à tous les types d’objets.

L’idée à laquelle il est arrivé par l’analyse de ces ustensiles ou outils, c’est que l’étant, comme il dit, nous est ouvert ou révélé. Cet étant ne nous est pas caché, c’est cela ce que signifie “révélé”, et vous verrez facilement pourquoi il traduit “révélé” par cette forme négative. L’étant nous est découvert, et c’est parce qu’il nous est découvert que nous pouvons vérifier et garantir à son contact les propositions que nous prononçons à son sujet. Cette ouverture, c’est donc le fait que ce qui était caché nous est révélé. Heidegger emploie pour cela le mot Unverborgenheit, caractère du non-caché, et je proposerai de traduire cela par le terme de “découverture” [3]. Le réel [38] nous est découvert. Or, réfléchissons sur ce mot “découverture”, et nous verrons que si nous essayons de le traduire en grec, nous pourrons le traduire par le mot “aletheia  ”, car d’après Heidegger, le mot “aletheia” veut dire précisément ce qui n’est pas dans sa cachette. Heidegger insiste beaucoup sur cette étymologie, élément essentiel de sa théorie de la vérité. Donc, l’étant auprès duquel nous sommes est découvert ou est vrai. Et c’est parce que l’étant nous est découvert que nous pouvons garantir ou vérifier les propositions faites à son sujet.

C’est là la théorie vers laquelle nous nous orientons tout au long de ces développements au sujet de la vérité. La vérité n’est pas une propriété de la proposition : elle est dans les choses elles-mêmes. Et nous voyons là s’accentuer l’aspect objectiviste de la théorie de Heidegger. Ce n’est pas dans la proposition au sujet de l’étant qu’est la vérité, mais c’est l’étant lui-même qui est révélé ou vrai. Et c’est seulement parce que l’étant est vrai que nous pouvons formuler à son sujet des propositions qui sont vraies. Par conséquent, la vérité de la proposition est dérivée de la vérité de l’étant. La vérité, dans son sens antique, la découverture, appartient à l’étant lui-même.

On pourrait rapprocher cela, dit Heidegger — pour nier d’ailleurs ce rapprochement —, de la théorie scolastique d’après laquelle tout être est un être vrai [4]. Mais, selon lui, les philosophes scolastiques, quand ils veulent appliquer la vérité à l’être, l’appliquent à l’être, d’après Heidegger, parce que l’être est pensé par Dieu, et l’être est vrai parce qu’il est pensé par la vérité absolue. L’être est donc vrai dans la conception traditionnelle de la vérité, parce qu’il est créé, tandis que dans la conception de Heidegger, la vérité est dans les choses, indépendamment du fait qu’elles soient créées ; et, en effet, d’après lui, elles ne sont pas créées. Pour lui, c’est quelque chose d’extrêmement important qu’ont vu les Grecs quand ils ont créé ce mot “aletheia”. Mais en fait, la réflexion sur l’aspect négatif [39] du mot “aletheia” n’a pas frappé les philosophes, même grecs. Il n’en faut pas moins reconnaître ce mérite aux Grecs qui ont philosophé avec une telle passion, d’avoir désigné la plus positive   et la plus belle réalité, la vérité, par une détermination négative. Ils ont eu l’idée que la vérité est conquise par une sorte de vol ; l’étant est ravi en quelque sorte à sa cachette [5]. Il s’était caché, et maintenant il est ramené à la lumière. Cela suppose que l’étant est d’abord caché.

Comment cela se fait-il ? Pourquoi tout étant est-il caché primitivement, originellement ? C’est là une question que les Grecs n’ont pas vue, dit Heidegger, et que leurs successeurs ont encore moins vu. L’Antiquité elle-même n’a pas pris conscience que dans son idée de vérité était enfermée une négation. Mais maintenant que nous l’avons vu, nous ne pouvons pas nous détacher de ce problème. Comment se fait-il que la vérité s’affirme d’abord dans la langue grecque sous la forme négative ? Il y a là, dit Heidegger, dans cette création du mot “aletheia ”, comme un éclair, une clarté donnée sur l’essence de la vérité elle-même, mais qui s’est évanouie aussitôt et qui s’est enfouie dans les ténèbres. Pourquoi cela ? Nous retrouvons ici la critique que Heidegger fait de la proposition. La vérité n’est abordable que par des propositions, des propositions exprimées, des entrelacements de mots et de représentations. Et pour les Grecs, c’était éminemment le cas puisqu’ils s’intéressaient beaucoup au langage, et identifiaient, en un certain sens, le langage et la pensée. C’est pour cette raison que la vérité s’est présentée sous forme de liaison, de représentations ou de synthèse prédicative. Et la voie qui pouvait ouvrir la réflexion sur le mot “aletheia” a été fermée par le fait que notre regard se tournait vers les propositions. Le souvenir de la clarté primitive qui résidait dans le mot “aletheia” s’est perdu, a été comme enterré, enfoui, et ce que nous avons à faire, c’est ramener à la lumière le contenu originel de ce mot.

Nous sommes ici à peu près au bout de la réflexion de [40] Heidegger au sujet de l’idée de vérité, dans la perspective de sa tendance objectiviste. Mais nous ne pouvons pas le suivre ou l’approuver jusque-là. Nous pouvons dire avec lui (et en admirant son analyse) que la proposition est relation avec l’objet de la proposition ; nous pouvons dire aussi avec lui que cette relation de la proposition à son objet suppose un séjour auprès des choses. Mais pouvons-nous dire que les choses par elles-mêmes sont vraies ? Et sur ce point n’a-t-il pas tort de critiquer la philosophie   classique ? Je crois, au contraire, que c’est une des acquisitions de la philosophie traditionnelle, d’avoir vu que le lieu de la vérité est dans la proposition. Naturellement cela ne s’explique que parce qu’il y a une relation de la proposition aux choses. Si nous avons à chercher la vérité, c’est dans la proposition orientée vers les choses, comme le dit Heidegger. Mais c’est cependant dans la proposition elle-même, et non dans les choses vers lesquelles elle est orientée, que nous avons à trouver la vérité.


Ver online : Jean Wahl


WAHL, Jean. Introduction à la pensée de Heidegger. Paris: Livre de Poche, 1998


[1Bewandtnis : cf. Heidegger, GA 27, § 12, p. 75. Les traductions récentes de Sein und Zeit ont proposé de rendre cette notion par “finalité” (Rudolf Boehm, Alphonse de Waelhens, L’Être et le Temps, Gallimard, 1964), “tournure” (Emmanuel Martineau, Être et Temps, trad. hors commerce, Authentica, 1985), ou “conjointure” (Être et Temps, trad. François Vezin, Gallimard, 1986).

[2Heidegger, GA 27, § 12, p. 78.

[3Heidegger, GA 27, § 12, p. 78 : “Die Offenbarkeit des Seienden ist eine Unverborgenheit” (L’être-manifeste de l’étant est une « découverture »). Dans le cours, Heidegger renvoie expressément à Être et Temps, p. 212-230, ainsi qu’à un article de Rudolf Bultman inspiré de la démarche de Heidegger et qui porte sur la question de la vérité dans VÉvangile de Jean. Parmi les nombreuses tentatives pour rendre Unverborgenheit en français, signalons entre autres : “non-latence” (Gilbert Kahn, Introduction à la métaphysique, P.U.F., 1958), “non-dissimulation” (Rudolf Boehm, Alphonse de Waelhens, L Être et le Temps, Gallimard, 1964), “hors-retrait” (Emmanuel Martineau, trad. hors commerce, Authentica, 1985, p. 163), “non-retrait” (François Vezin, Gallimard, 1986, p. 271), “être découvert” ou “découverteté” (Jean-François Courtine dans son recueil d’articles intitulé Heidegger et la phénoménologie, J. Vrin, 1990, p. 273). Rappelons enfin que selon Boehm et Waelhens, le premier à traduire en allemand aletheia par Unverborgenheit aurait été Nicolaï Hartmann dans Platos Logik des Seins, Gieàsen, 1909, p. 239, n. 1.

[4Ibid., p. 78 : “Omne ens est verum.” En fait, les Scolastiques distinguaient deux sortes de vérités : — la vérité logique ou vérité de la connaissance, qui est une propriété du jugement — et la vérité métaphysique qui est une des propriétés transcendantales de l’être.

[5Cf. Heidegger, Einleitung in die Philosophie, GA 27, § 12, p. 79 sqq., et notamment Etre et Temps, Ire partie, p. 212-230.