Página inicial > Hermenêutica > Didier Franck (1998:262-266) – o medo

Didier Franck (1998:262-266) – o medo

sábado 9 de março de 2024, por Cardoso de Castro

destaque

Nietzsche   nunca deixou de fazer do medo a disposição fundamental do homem. É, antes de mais, o sentimento original da humanidade, pois "desde há centenas de milênios que o homem é, e em grau supremo, um animal acessível ao medo" [Humano demasiado humano, I, § 169]. Se "a época do medo foi a mais longa de todas as épocas" [A Gaia Ciência, § 48]. Se "a época do medo foi a mais longa de todas as épocas" [ibidem], então o medo deve ser considerado como "aquilo que mais antigamente se implantou no homem" [1884, 26 (280)]. Mas então, e acima de tudo, o medo é o sentimento do qual a humanidade se origina, o sentimento que forma a humanidade. É o "mestre do entendimento" [Aurora, § 142]. Ele "manda saber" [A Gaia Ciência, § 355], é a "mãe da moral  " [ibidem]. É a "mãe da moral" [Além do bem e do mal, onde se diz o mesmo do perigo] e faz nascer o desejo de verdade e de certeza [Cf. 1884, 26 (301)]. O medo não é apenas a fonte de toda a moral e ciência, mas também de toda a filosofia, uma vez que o espanto, que Platão   e Aristóteles   colocam na origem desta última, é apenas um "medo enfraquecido" [1886-1887, 7 (3); cf. Platão, Teeteto, 155 d, e Aristóteles, Metafísica, A, 982, b 12].

original

En affirmant le caractère globalement chaotique du monde, Nietzsche met simultanément en garde contre la pensée selon laquelle le monde serait un être vivant. « L’hypothèse que le tout serait un organisme contredit à l’essence de l’organique. »  [1]  Néanmoins, si le monde n’est pas un organisme, tout organisme vit dans le monde où, par exemple, il trouve à se nourrir. Ce constat soulève aussitôt la question suivante : comment un organisme peut-il vivre dans un monde chaotique de forces multiples et finies, dans un monde qui « ne souffre aucune immobilité » et « n’a jamais un instant de repos »  [2] , dans un monde instable, changeant, en devenir ? La question est d’autant plus inévitable que « la formation de l’organique est l’exception des exceptions »  [3] , autrement dit que le corps est un produit du hasard. Qu’est-ce à dire, sinon que l’individu lui-même n’est plus une « éternelle singularité » mais « l’état de fait le plus complexe du monde, le suprême HASARD »  [4]  ? Dès lors, comment le corps qui, à titre de formation de domination et hiérarchie organisée de forces, tire son origine du seul hasard puisque celui-ci n’est autre que « le heurt des impulsions créatrices »  [5] , comment un tel corps pourrait-il se conserver en vie si les forces qui le constituent sont à la fois essentiellement variables et fortuitement liées, et que « le hasard brise tout à nouveau »  [6]  ? Comment, dans un monde en devenir et au sein   du « flux absolu de l’événement »  [7] , une formation hiérarchique durable est-elle possible et comment l’état de fait le plus complexe du monde pourrait-il s’y conserver sans assurer la constance du monde lui-même ?

Durer, c’est se maintenir, et nul corps ne saurait se maintenir dans le monde sans assurer sa propre constance et celle du monde. Comment est-ce possible et comment la nécessité s’en fait-elle ressentir ? Dès l’instant où, dans un monde chaotique, des forces inégales entrent par hasard en relation pour donner lieu à un corps – et l’inégalité est la condition même de cette relation –, celui-ci est ipso facto menacé de dispersion au moindre dysfonctionnement hiérarchique comme au moindre changement de son rapport au monde : d’un instant à l’autre. Sitôt conjointes en un corps, les forces peuvent se disjoindre et puisque le monde est originairement un danger pour le corps, le corps ne saurait vivre autrement que dans la peur.

Que faut-il entendre ici par « peur » ? S’agit-il, pour reprendre la définition aristotélicienne, de « la peine ou du trouble consécutif à l’image d’un mal à venir susceptible de détruire ou de peiner »  [8]  ? Sans doute la peur qu’éprouve le corps est-elle liée à l’imminence d’une destruction possible, mais comme il n’y a qu’une sorte de force  [9]  la menace provient autant du corps en tant que tel que du monde dans l’ensemble de son devenir, et non d’un quelconque étant intra-mondain. Avec « l’étant » cesse et le devenir, et le danger. La peur n’est donc pas un sentiment parmi d’autres mais, selon la parole de celui qui se nomme le consciencieux de l’esprit, « le sentiment héréditaire et fondamental de l’homme », sentiment à partir duquel, ajoute-t-il, « s’explique toute chose, péché originel, vertu originelle. Ma vertu aussi est née de la peur, elle s’appelle : science »  [10] .

Nietzsche n’a cessé de faire de la peur la disposition fondamentale de l’homme. Elle est d’abord le sentiment originaire de l’humanité puisque « pendant des centaines de millénaires, l’homme a été et au suprême degré un animal accessible à la peur »  [11] . Si « l’époque de la peur fut la plus longue de toutes les époques »  [12] , il faut tenir la peur pour « ce qui a été le plus anciennement implanté dans l’homme »  [13] . Mais la peur est ensuite, et surtout, le sentiment dont l’humanité est originaire, le sentiment formateur d’humanité. Elle est « maîtresse de la compréhension »  [14] , nous « enjoint à connaître »  [15] , est « mère de la morale »  [16]  et donne lieu à la volonté de vérité et de certitude  [17] . La peur n’est pas seulement à la source de toute morale et de toute science mais également de toute philosophie   puisque l’étonnement, que Platon et Aristote placent à l’origine de celle-ci, n’est qu’une « peur affaiblie »  [18] .

Quel est le caractère essentiel de la peur qui, en tant que sentiment de faiblesse  [19] , s’oppose au sentiment de puissance ? Lorsque la peur est consécutive à l’approche d’un danger surgissant du monde ou d’autrui, j’en deviens ipso facto dépendant. Lorsque la peur est peur de soi et que je m’apeure de moi-même, c’est parce que je peux être un autre et n’ai pas la force de m’approprier, c’est-à-dire de dominer, toutes les possibilités qui surgissent des multiples forces qui me constituent. Et quand la peur est peur pour soi, c’est parce que le soi ne vise qu’à se préserver et conserver. Obéissant à une sollicitation extérieure ou révélatrice de ma faiblesse, la peur est donc « servile »  [20] , engendre la grégarité – « la nécessité de la formation de troupeaux repose dans la peur »  [21] . Penser à partir de la peur et ce, quels que soient les objets de la pensée ou de la peur, c’est toujours « penser bassement ». Si, comme le remarque encore Aristote, la peur porte à la délibération  [22] , celle-ci ne saurait être qu’une « pauvre manière de penser »  [23] . Plus généralement, c’est toute l’Europe « qui porte la marque d’une manière de penser apeurée, habituée à la servilité »  [24] . La peur est donc essentiellement réactive, et avec elle tout notre être et toute notre connaissance dès lors qu’ils en sont transis et habités comme par leur ultime fondement pathétique.

A quoi la peur réagit-elle ou que redoute toute formation de domination ? Après avoir réaffirmé que « chez l’homme primitif, la peur du mal est prépondérante », Nietzsche demande : « qu’est-ce que le mal ? » et répond aussitôt : « Il est de trois sortes : le hasard, l’incertain, le soudain. »  [25]  Le mal désigne donc tout ce sur quoi on ne saurait compter. Or, si le hasard, l’incertitude et la soudaineté caractérisent l’événement et le devenir, nul ne saurait se défendre de la peur sans convertir le hasard en nécessité, l’incertitude en certitude, la soudaineté en prévisibilité, l’événement en état et le devenir en être. Mais comment cette conversion est-elle possible, sinon par la formation de cas identiques qui impliquent précisément « la falsification fondamentale de tout événement ». Fondamentale, cette falsification ne peut porter que sur l’événementialité elle-même. Au regard d’un flux d’événements toujours nouveaux, il n’y a pas de cas identiques. Par conséquent, et si la vérité est adéquation au « réel », la supposition de cas identiques falsifie le caractère événementiel ou chaotique du monde puisqu’elle pose une identité là où tout diffère, et de l’être constant là où tout est devenir. A quelle nécessité cette falsification répond-elle ? Pourquoi la logique est-elle indispensable au maintien de l’unité du corps, c’est-à-dire aussi du monde ?


Ver online : Didier Franck


FRANCK, Didier. Nietzsche et l’ombre de Dieu. Paris: PUF, 1998.


[11881, 11 (213) ; cf. 11 (201).

[21881, 11 (148).

[3Le gai savoir, § 109.

[41881, 11 (72) ; cf. 11 (7), où Nietzsche oppose les « individus imaginaires » aux « vrais “systèmes de vie” », et 11 (121).

[51883-1884, 24 (28) ; cf. 1884, 25 (159), sur le « caractère prodigieusement hasardeux de toutes les combinaisons ».

[61885, 34 (180).

[71881, 11 (293).

[8Rhétorique, II, 5, 1382 a 21-22.

[9Cf. 1888, 23 (2).

[10Ainsi parlait Zarathoustra, IV, « De la science » ; à propos du « consciencieux de l’esprit », cf. 1884-1885, 31 (10), n° 3 et Ainsi parlait Zarathoustra, IV, « La sangsue ». Ce que Nietzsche impute à la peur correspond, mutatis mutandis, à ce que Heidegger impute à l’angoisse qui, pour l’analytique existentiale, fait office de réduction. Preuve, si besoin était, que le partage entre peur et angoisse est bien souvent difficile à établir. Cf. Sein und Zeit, § 30 et 40 ; voir également J.-L. Chrétien, « Peur et altérité », in La voix nue, p. 226 sq.

[11Humain, trop humain, I, § 169 ; cf. 1879-1880, 1 (96).

[12Le gai savoir, § 48.

[131884, 26 (280).

[14Aurore, § 142.

[15Le gai savoir, § 355.

[16Par-delà bien et mal, § 201 ; cf. § 262, où la même chose est dite du danger.

[17Cf. 1884, 26 (301).

[181886-1887, 7 (3) ; cf. Platon, Théétète, 155 d, et Aristote, Métaphysique, A, 982, b 12.

[191880, 4 (194).

[201884, 25 (88).

[211884, 27 (49) ; cf. 1887, 10 (39).

[22Cf. Rhétorique, II, 5, 1383 a 6-7.

[231887-1888, 11 (363), ad. 3.

[241884, 25 (160).

[251887, 10 (21) ; cf. 1881, 11(71).