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Marion (2010:35-40) – aparição - fenômeno - dação

segunda-feira 4 de março de 2024, por Cardoso de Castro

destaque

Todo o fenômeno aparece, mas só aparece na medida em que se mostra. Heidegger estabeleceu que o fenômeno se define como aquilo que se mostra em si e a partir de si mesmo: "[…] aquilo que se mostra em si mesmo" [Sein und Zeit  , § 7, p. 31]. Mas ele deixou largamente indeterminado o modo como se pode pensar o si que atua naquilo que se mostra. Com efeito, como pode um fenômeno pretender desenvolver-se por si e em si, se um Eu transcendental   o constitui como objeto, disponibilizado para e pelo pensamento que o governa exaustivamente? Num tal mundo — o dos objectos técnicos, o nosso na sua maior parte — os fenômenos só atingem a categoria de objetos, pelo que a sua fenomenalidade permanece emprestada, como derivada da intencionalidade e da intuição que lhes conferimos. Para admitir, por outro lado, que um fenômeno se mostra, teríamos de ser capazes de reconhecer que ele tem um si, de tal forma que toma a iniciativa de se manifestar. A questão que se coloca é a de saber se e como essa iniciativa de manifestação pode caber [35] a um fenômeno. Propusemos uma resposta: um fenômeno só se mostra na medida em que primeiro se dá — tudo o que se mostra tem, para o fazer, de primeiro se dar. E, no entanto, como veremos, o inverso não é exatamente verdadeiro: nem tudo o que se dá se mostra — o dar nem sempre é fenomenalizado. Mas como é que podemos identificar o que é dado? A dação não pode ser vista diretamente, pois só se pode ver aquilo que já se mostra, ou pelo menos, no caso dos objetos, que se mostra. Se a manifestação pode resultar da dação, a dação deve precedê-la; permanece, portanto, anterior a ela, ou seja, não está ainda envolvida no espaço da visibilidade e, portanto, a rigor, invisível. Não poderíamos, portanto, acceder à dação, ao movimento pelo qual o fenômeno se dá, contornando a visibilidade do que eventualmente aí se mostra, supondo, é claro, que uma fenomenalidade não-objetiva pudesse ser atestada dessa forma. Assim, só resta um caminho: tentar identificar, no espaço de manifestação, regiões onde os fenômenos se mostram, em vez de se deixarem simplesmente mostrar como objetos. Ou, em alternativa, identificar as regiões onde o si do que se mostra atesta indiscutivelmente o impulso, a pressão e, por assim dizer, o impacto do que é dado. O si do que se mostra manifestaria indiretamente que ele se dá mais essencialmente. O mesmo si, que encontraríamos no fenômeno que se mostra, viria do si originário do que se dá. Mais claramente, o si da fenomenalização manifestaria indiretamente o si da dação, porque este último o operaria e, por fim, se tornaria uno com ele.

original

Tout phénomène apparaît, mais il n’apparaît qu’autant qu’il se montre. Que le phénomène se définisse comme ce qui se montre en soi et à partir de soi, Heidegger l’a établi et fait admettre : « […] ce qui-se-montre-en-soi-même. » [1] Mais il a laissé largement indéterminée la façon dont peut se penser le soi à l’œuvre dans ce qui se montre. Comment en effet un phénomène peut-il revendiquer de se déployer par lui-même et en soi-même, si un Je transcendantal le constitue comme un objet, mis à disposition pour et par la pensée qui le gouverne exhaustivement ? Dans un tel monde — celui des objets techniques, le nôtre pour sa plus grande part —, les phénomènes n’atteignent que le rang d’objets, leur phénoménalité reste donc d’emprunt, comme dérivée de l’intentionnalité et de l’intuition que nous leur conférons. Pour admettre au contraire qu’un phénomène se montre, il faudrait pouvoir lui reconnaître un soi, tel qu’il prenne l’initiative de sa manifestation. La question devient dès lors de savoir si et comment une telle initiative de manifestation peut échoir à [35] un phénomène. Nous avons proposé une réponse : un phénomène ne se montre que pour autant que d’abord il se donne — tout ce qui se montre doit, pour y parvenir, d’abord se donner. Pourtant, comme nous le verrons, la réciproque ne vaut pourtant pas exactement : tout ce qui se donne ne se montre pas pour autant — la donation ne se phénoménalise pas toujours. Mais comment repérer ce qui se donne ? La donation de soi ne peut en effet pas se voir directement, puisque ne se voit que ce qui déjà se montre ou, du moins, dans le cas des objets, est montré. Si la manifestation résulte peut-être de la donation, la donation doit la précéder ; elle lui reste donc antérieure, autrement dit non encore engagée dans l’espace de la visibilité, par suite, à strictement parler, invue. Nous ne pourrions donc pas accéder à la donation, au mouvement par lequel le phénomène se donne, en contournant la visibilité de ce qui éventuellement s y montre, à supposer, bien sûr, qu’une phénoménalité non objective puisse ainsi s’attester. Il ne reste donc qu’une seule voie : tenter de cerner, dans l’espace de la manifestation, des régions où des phénomènes se montrent, au lieu de se laisser simplement montrer comme des objets. Ou encore, dégager les régions où le soi de ce qui se montre atteste indiscutablement la poussée, la pression et pour ainsi dire l’impact de ce qui se donne. Le soi de ce qui se montre manifesterait indirectement qu’il se donne plus essentiellement. Le même soi, que l’on repérerait dans le phénomène se montrant, proviendrait du soi originel de ce qui se donne. Plus nettement, le soi de la phénoménalisation manifesterait indirectement le soi de la donation, parce que celui-ci l’opérerait et, à la fin, ne ferait plus qu’un avec lui.

Mais peut-on détecter une telle remontée du soi phénoménalisant au soi donnant ? Quels phénomènes gardent en eux la trace de leur donation, au point que leur mode de phénoménalisation non seulement ouvrirait un tel accès à leur soi originaire, [36] mais le rendrait incontestable ? Une hypothèse se propose : il s’agirait des phénomènes du type de l’événement. En effet, l’événement apparaît bien comme d’autres phénomènes, mais il se distingue des phénomènes objectifs en ce que, lui, ne résulte pas d’une production, qui le livrerait comme un produit, décidé et prévu, prévisible selon ses causes et par suite reproductible suivant la répétition de telles causes. Au contraire, en advenant, il atteste une origine imprévisible, surgissant de causes souvent inconnues, voire absentes, du moins non assignables, que l’on ne saurait donc non plus reproduire, parce que sa constitution n’aurait aucun sens. Mais on objectera que de tels événements restent rares, que leur imprévisibilité les rend précisément impropres à l’analyse de la manifestation, bref qu’ils n’offrent aucun terrain sûr à l’enquête sur la donation. Pouvons-nous mettre en question ce jugement en apparence évident ? Nous allons le tenter du moins, en prenant l’exemple d’une indiscutable factualité, de cette salle — la Salle des Actes, où se tient, aujourd’hui, cette séance académique.

Même cette salle apparaît, en effet, sur le mode de l’événement. Qu’on n’objecte pas qu’elle s’offre à voir comme un objet — quatre murs, un faux plafond masquant une véranda, un podium, un certain nombre de sièges, disponibles comme autant d’étants permanents et subsistants, et qui demeurent, attendant que nous les habitions en les utilisant ou que nous en constations la subsistance. Mais cette permanence en attente signifie ici curieusement le contraire de la disponibilité objective. a) D’abord, selon le passé. Car, en tant que toujours déjà là, disponible à notre entrée et notre usage, cette salle s’impose à nous comme préalable à nous, étant sans nous, quoique pour nous, qui donc surgit à notre vue comme un fait inattendu, imprévisible, venant d’un passé incontrôlable. Cette surprise ne surgit pas seulement aux salles de tel palais romain, souvent longé lors des promenades extérieures de touriste ignorant ou des marches pressées d’un habitant blasé de la Ville éternelle, mais dont, parfois exceptionnellement invités à y pénétrer, [37] nous découvrons d’un coup la splendeur imprévisible et restée jusqu’alors invue. Cette surprise se déclenche en fait aussi bien pour la Salle des Actes — déjà là, surgie d’un passé que nous ignorons, restaurée maintes fois par des initiatives oubliées, chargée d’une histoire excédant la mémoire (s’agit-il d’un ancien cloître aménagé ?), elle s’impose à moi en m’apparaissant ; j’y entre moins qu’elle ne m’advient d’elle-même, m’englobe et m’en impose. Ce « déjà » atteste l’événement, b) Ensuite, selon le présent. Ici, la nature d’événement du phénomène de cette salle s’avère indiscutablement. Car il ne s’agit plus de la salle des Actes en tant que telle, en général, telle qu’elle subsisterait, dans sa vacuité indifférente, entre telle ou telle occasion de la remplir d’un public indifférencié. Il s’agit de cette Salle ce soir, remplie pour telle occasion, entendre tels orateurs, sur tel thème. La Salle des Actes devient ainsi une « salle » — au sens théâtral d’une « bonne salle ce soir » (ou d’une mauvaise) ; elle dresse aussi une scène, que tel ou tel acteur peut d’abord investir, pour ensuite en retenir l’attention. D’une salle enfin, où ce qui advient ne sont ni les murs et les pierres, ni les assistants, ni les orateurs, mais l’impalpable événement, dont leur parole va s’emparer, pour le faire comprendre ou pour le gâter. Et cela à un moment qui, certes, s’intercalera dans d’autres occasions (autres séances académiques, autres conférences, autres cérémonies universitaires, etc.), mais qui ne se reproduira jamais comme tel à l’identique. Ce soir, sur ce thème et nul autre, entre nous et nuis autres, se joue un événement absolument unique, irrépétable et, pour une large part, imprévisible — car, en ce moment précis où je dis « moment précis », ni vous, ni le Doyen qui préside, ni moi, nous ne savons encore si ce sera une réussite ou un échec. Ce qui apparaît en ce moment donné sous nos yeux échappe ainsi à toute constitution : bien qu’il ait été organisé, suivent des intentions claires et amicales, intellectuelles et sociales, il se montre de lui-même à partir de lui-même. Et dans le se de sa phénoménalité se pressent — mieux, s’annonce   — le soi de ce qui se donne. Le [38] « cette fois, une fois pour toutes » atteste donc aussi le soi du phénomène. c) Enfin, au futur, aucun témoin, aussi instruit, attentif et documenté soit-il, ne pourra, même après coup, décrire ce qui se passe à l’instant présent. Car l’événement de cette prise de parole accordée par un public consentant et une institution bienveillante ne mobilise évidemment pas seulement un cadre matériel — lui-même impossible à décrire exhaustivement, pierre par pierre, époque par époque, assistant par assistant —, mais aussi un cadre intellectuel indéfini. Il faudrait expliquer ce que je dis et ce que je veux dire, d’où je le dis, à partir de quels présupposés, de quelles lectures, de quels problèmes personnels et spirituels. Il faudrait aussi décrire les motivations de chaque auditeur, ses attentes, ses déceptions, ses accords tus et dits, des désaccords masqués en silence ou exagérés par la polémique. Plus, pour décrire ce que la salle de cette Salle des Actes accueille aujourd’hui comme événement, il faudrait pouvoir — ce qui reste heureusement impossible — en suivre les conséquences dans l’évolution individuelle et collective de tous les participants, y compris l’orateur principal. Une telle herméneutique devrait se déployer sans fin et en un réseau indéfini [2]. Aucune constitution d’objet, exhaustive et répétable, ne saurait avoir ici lieu. Par conséquent le « sans fin » atteste que l’événement advint à partir de lui-même, que sa phénoménalité surgissait du soi de sa donation.

De cette première analyse, précisément parce qu’elle s’appuie sur un phénomène de prime abord simple et banal, il ressort que [39] le fait de se montrer peut ouvrir indirectement un accès au soi de ce qui se donne. Car l’événement de la « salle » de la Salle des Actes nous laisse surgir en pleine lumière un phénomène qui non seulement ne provient pas de notre initiative, ni ne répond à notre attente, ni ne pourra jamais se reproduire, mais surtout qui se donne à nous à partir de son soi, au point qu’il nous affecte, nous modifie, presque nous produit. L’événement, nous ne le mettons jamais en scène (rien de plus ridiculement contradictoire que la prétendue « organisation d’événement »), mais, lui, à l’initiative de son soi, nous met en scène en se donnant à nous. Il nous met en scène dans la scène qu’ouvre sa donation.


Ver online : Jean-Luc Marion


MARION, Jean-Luc. De surcroît: études sur les phénomènes saturés. Paris: PUF, 2010


[1Sein und Zeit, § 7, p. 31.

[2On voit déjà que l’interprétation du phénomène, même banal, comme donné, non seulement n’interdit pas l’herméneutique, mais l’exige. Nous répondrions en ce sens aux objections de J. Grondin, in Laval philosophique et théologique, 43/3, 1987, et « La tension de la donation ultime et de la pensée herméneutique de l’application chez Jean-Luc Marion », Dialogue XXXVIII (1999), ou de J. Greisch, « L’herméneutique dans la “phénoménologie comme telle”. Trois questions à propos de Réduction et donation », Revue de métaphysique et de morale, 1999/1. — De même, pour le phénomène saturé du visage, une herméneutique est requise (voir infra, chap. V, § 5, p. 148 sq.). Le débat ne concerne pas la nécessité d’une herméneutique, hors de question depuis au moins Heidegger et Gadamer, mais ses légitimités phénoménologiques, qu’assurent mieux que d’autres certains des phénomènes saturés.