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Didier Franck (2005) – explicitação [Auslegung]

sábado 9 de março de 2024, por Cardoso de Castro

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Qual é a estrutura desta explicitação [Auslegung  ] da compreensão [Verständnis  ]? Esta estrutura pode ser analisada em três momentos. Muitas vezes, Heidegger analisa os fenômenos fazendo emergir neles uma estrutura tripla. Existe frequentemente um caráter formal   de triplicidade. Isto porque, no fim de contas, tudo o que tem a ver com o Dasein   deriva o seu significado da temporalidade, e a temporalidade articula três ekstases. […] Só se pode compreender o martelo como martelo se já se tiver todo o sistema de referências. A explicitação [Auslegung] baseia-se na aquisição prévia de uma forma [aspecto] posto, e Heidegger chama a esta posição prévia Vorhabe  . […] A explicitação também se baseia sempre numa visão prévia: Vorsicht  . Por fim, e aqui mudamos de dimensão, se se trata de explicar, de explicitar o sentido, é sempre necessário dispor de uma conceptualidade, seja ela explicitamente elaborada ou já existente. E, consequentemente, qualquer explicitação pressupõe uma concepção prévia. É aqui que discordo da tradução. Em alemão: Vorgriff  , literalmente uma apreensão prévia. Mas ele usa-o em paralelo com Begriff. E a conceptualidade é mencionada na mesma frase. Anticipation [tr. Martineau  ] soa demasiado a visão prévia. É preciso traduzir literalmente como apreensão prévia, lembrando que se trata de conceptualidade. Em outras palavras, quando se pega no martelo para transformar isto naquilo, só se pode compreender o seu significado se esse significado estiver articulado, e está articulado numa e por uma conceptualidade, que é uma conceptualidade implícita. Estamos sempre dentro de uma conceptualidade. Dito de outra maneira, mesmo que seja demasiado porque ainda não falamos da afirmação, mas Nietzsche   diz: "Toda a palavra é um prejulgado."

original

Quelle est la structure de cette explicitation du comprendre ? Cette structure, elle se laisse analyser en trois moments. Très souvent, Heidegger analyse les phénomènes en faisant ressortir en eux une triple structure. Il y a souvent un caractère formel de triplicité. C’est parce qu’en fin de compte, tout ce qui touche au Dasein tire son sens de la temporalité, et la temporalité articule trois ekstases. Dans l’analyse de la peur, il y avait trois termes. Pourquoi est-ce que je dis ça ? C’est parce que les trois dimensions de l’explicitation portent le préfixe vor-, et donc portent un sens temporel. Dans l’analyse traditionnelle du concept de temps, au fond on procède toujours du maintenant présent. Le passé et l’avenir sont compris comme un maintenant qui n’est plus et un maintenant qui n’est pas encore. De manière générale, le concept traditionnel de temps décrit un temps qui se temporalise à partir du présent, du maintenant. On peut discuter sur la manière dont on conçoit le présent, dont on conçoit le maintenant, mais c’est toujours à partir du maintenant présent qu’on conçoit le temps. Avec Heidegger, ça change, puisque c’est l’ekstase   du futur qui est ce à partir de quoi se tempore la temporalité. C’est à partir de l’avenir que s’ouvre les autres dimensions du temps. C’est pas la première fois, parce que d’une certaine façon, mais c’est très compliqué, mais c’était déjà le cas chez Nietzsche dans l’éternel retour. Il y a aussi le cas de Schelling   qui est compliqué. Pour comprendre la terminologie de Heidegger, il faut comprendre que le temps se tempore à partir d’une projection de soi loin en avant hors de soi. J’en viens maintenant à l’explicitation. Vous ne pouvez comprendre le marteau comme marteau que si vous disposez déjà de la totalité du système des renvois. L’explicitation se fonde sur l’acquisition préalable de la tournure, et cette acquisition, Heidegger la nomme Vorhabe (acquis préalable). Je préfère acquis préalable à préacquisition, parce qu’on n’acquiert rien qu’à un moment on n’avait pas encore. L’explicitation se fonde toujours aussi dans une prévision : Vorsicht, une vue préalable. Enfin, et là on change de dimension, s’il s’agit d’expliciter, expliciter le sens, il faut toujours disposer d’une conceptualité, qu’elle soit explicitement élaborée ou qu’elle soit déjà là à disposition. Et par conséquent, toute explicitation suppose une préconceptualité. C’est la où je ne suis pas d’accord avec la traduction. En allemand : Vorgriff, littéralement une prise préalable. Mais il emploie ça en parallèle avec Begriff. Et justement il est question de la conceptualité dans la même phrase. Anticipation, ça ressemble trop à vue préalable. Il faut traduire littéralement par prise préalable en rappelant que ça renvoie à une conceptualité. Pour le dire en d’autres termes, lorsque vous vous saisissez du marteau pour en faire ceci en cela, vous ne pouvez en comprendre le sens que si ce sens est en lui-même articulé, et il est articulé dans et par une conceptualité, qui est une conceptualité implicite. On est toujours dans une conceptualité. Pour le dire autrement, même si ce serait trop parce qu’on n’a pas encore parlé de l’énoncé, mais Nietzsche dit : « Tout mot est un préjugé. »

Qu’est-ce que ça veut dire cette dimension de préacquisition, prévision, pré-saisie ? Ça veut dire que l’explicitation n’est rien sans présupposés. Il n’y a pas de vision pure, de donnée pure qui soit libre de présupposé, i.e. libre de sens. Il n’y a pas de vision pure qui serait l’accès originaire, ça c’est une construction fantastique. On est toujours déjà dans du sens. Ignorer cela, c’est au fond ignorer la structure ekstatique du Dasein, et faire ça, c’est franchement ne rien comprendre à rien. Si toutes les hérésies sont dans l’Eglise, alors on peut aussi bien considérer que toutes les sottises sont dans la philosophie  . Il y a une seule exception. La révélation de Dieu, elle n’a pas de présupposé. Elle est à elle-même ses propres présupposés. Dieu se révèle, mais c’est sans condition préalable, ça relève de sa seule et exclusive liberté. Et là effectivement il n’y a pas de présupposé. Quelle est la dimension de la révélation chrétienne ? C’est la trinité. Mais la trinité, c’est Dieu même. Donc il n’y a pas de condition, Dieu apporte avec lui-même les conditions de sa révélation. N’importe quel théologien vous dira ça, c’est une banalité. Mais ça fait contraste.

Maintenant, qu’est-ce que ça veut dire cette structure de l’explicitation ? Ça répond d’une certaine façon à ce qu’on appelait l’a priori  . Au fond, ça se fonde dans la constitution d’être du Dasein comme transcendance. Maintenant qu’est-ce qui est compris véritablement dans l’explicitation ? Ce qui est compris avec le marteau, c’est ce qu’on peut en faire. Quand vous prenez le marteau pour aller frapper, au fond vous avez compris ce que vous allez faire avec lui, vous avez ouvert le marteau relativement à sa possibilité. Vous avez compris le mode d’être du marteau. Lorsqu’un étant est compris ainsi, on dit qu’il a du sens. Mais ce qui est compris ce n’est pas en toute rigueur le sens, c’est le marteau. Dans le « en tant que », ce qui est véritablement compris, c’est le marteau. Ce qui signifie que le sens est ce en quoi se tient la compréhensibilité de quelque chose. C’est la dimension au sein   de laquelle se tient la compréhensibilité de quelque chose. Quand on interroge le sens de l’être, on interroge la dimension unique où se tient la compréhension de toute chose. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le sens, c’est « la structure formelle-existentiale de l’ouverture qui appartient au comprendre. » Sous le titre de sens, Heidegger dans une langue qui n’est pas celle de l’a priori, au fond reprend ce qu’il y a dans l’a priori. C’est ce que nous devons déjà savoir pour savoir telle ou telle chose. Pourquoi n’utilise-t-il pas le terme d’a priori ? C’est qu’a priori appartient au domaine de la théorie de la connaissance. L’a priori renvoie au connaître, qui renvoie au sujet. Mais Husserl   a découvert un a priori qui ne soit pas corrélatif d’un sujet… Bon… La compréhension est un existential constituant du da. Dans une lettre à Jean Beaufret   qui accompagne la Lettre sur l’humanisme. Elle n’est pas dans les œuvres complètes en allemand. Heidegger dit : le mieux serait de traduire par être-le-là, et il dit que le là, c’est l’ouverture à l’être, Lichtung  , l’Aletheia  . Ce que nous étudions ici sous le titre du comprendre, c’est le Dasein en tant qu’ouverture. Ce n’est pas seulement l’ouverture à l’étant, car tout cela ne serait rien s’il n’y avait l’ouverture à l’être. Quand Heidegger dit compréhension de l’être, il ne veut rien dire d’autre qu’ouverture à l’être : ce qui est nécessaire à l’être pour que l’être se montre. Ça signifie deux choses : si l’être a besoin du Dasein pour se montrer, ça veut dire que l’être est fini. Et le motif essentiel et discret de la finitude de l’être chez Heidegger doit être exclusivement compris comme celui-là. Ça veut dire nécessairement que le Dasein est fini lui-même. Mais la finitude du Dasein est au fond corrélative de la finitude de l’être. Plus tard, Heidegger se focalisera sur le rapport entre être et Dasein. Mais dans Sein und Zeit  , ce qui est au centre, c’est la finitude du Dasein. On comprend très bien ce que veut dire finitude du Dasein : c’est le pouvoir-mourir. C’est pas compliqué. Mais finitude de l’être, je ne crois pas que Heidegger l’ait réellement expliqué. Mais ça ne peut avoir d’autre sens que ceci : l’être a besoin du Dasein. Brauch. Seul le Dasein peut avoir du sens, et aussi bien ne pas en avoir. Le sens de l’être n’est rien derrière l’être. Ça veut dire que l’être n’est rien d’autre que ce qui est impliqué dans la compréhensivité du Dasein. Ça veut dire : il n’y a pas d’être sans Dasein. Mais au fond, la bonne formule, c’est : il n’y a pas de Dasein sans l’être. Mais ce qui est essentiel, c’est le rapport. Mais si le Dasein est historicité, alors l’être n’est rien en dehors de son histoire. L’être n’est pas un invariant. Son histoire c’est tout lui. En un sens, il n’est rien en dehors du Dasein mais l’inverse vaut aussi. Le point essentiel c’est le rapport, on l’entrevoit déjà dans Sein und Zeit  .

La fin du § 32 est consacrée au fait que l’explicitation a une structure triple qui fait référence à une préacquisition, prévision, présaisie. Ça veut dire qu’il y a une sorte de cercle vicieux, qui est appelé cercle herméneutique : pour comprendre quelque chose il faut l’avoir déjà compris. On ne peut pas faire objection de cercle vicieux puisque la structure du Dasein l’impose.

L’herméneutique, ça a été employé d’abord pour l’interprétation biblique. St Augustin   : « Il faut croire pour comprendre et il faut comprendre pour croire. » C’est le principe fondamental de l’exégèse biblique. Mais l’ordre dans lequel c’est énoncé n’est pas indifférent. L’accent est porté sur la foi, et à juste titre. L’explicitation de la Bible, c’est la vie du croyant. La croyance, elle est reçue, elle n’est pas acquise. On ne se dit pas : tiens, ça y est, je vais croire.


Ver online : Didier Franck


FRANCK, Didier. Nietzsche et l’ombre de Dieu. Paris: PUF, 1998.