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Vers une définition de la philosophie [GA56-57]

GA56-57:31-33 – axioma

§ 7. Le problème axiomatique fondamental

sábado 27 de novembro de 2021, por Cardoso de Castro

HEIDEGGER, Martin. Vers une définition de la philosophie. Tr. Sophie-Jan Arrien et Sylvain Camilleri. Paris: Seuil, 2017 (ebook)

HEIDEGGER, Martin. Towards the Definition of Philosophy. Tr. Ted Sadler. London: Continuum, 2008

Arrien et Camilleri

Au fondement de tout connaître reposent ainsi (peu importe l’attitude que l’on adopte par ailleurs à l’égard des théories scientifiques et méthodologiques spécifiques) des concepts, des principes fondamentaux et des axiomes derniers, et ce, tant dans les sciences inductives que déductives. C’est seulement grâce à ces axiomes que quelque chose peut être démontré à propos des faits et à partir des faits. C’est seulement grâce à de tels axiomes en tant que lois normatives que les sciences deviennent des sciences. Ils donnent l’impulsion originelle (Ur-sprung) à la connaissance – et la science qui prend pour objet ces origines est la science originaire, la philosophie. « Le problème de la philosophie est [donc] celui de la validité des axiomes. » [1] Je ne tiens compte pour commencer que des axiomes théoriques (logiques) – à titre de simple illustration – et laisse provisoirement de côté les axiomes éthiques et esthétiques.

Les axiomes sont des normes, des lois, des principes, c’est-à-dire des « liaisons de représentations ». Leur validité doit être démontrée. Ici surgit de nouveau la difficulté inhérente à l’idée de science originaire : comment ces axiomes peuvent-ils être démontrés ? Ils ne peuvent pas être tirés déductivement d’autres principes encore plus généraux puisqu’ils sont eux-mêmes, en vertu de leur propre concept, les premiers principes (fondamentaux) à partir desquels tout autre principe peut être démontré. L’on ne peut pas non plus faire dériver indirectement les axiomes des faits puisqu’ils sont déjà présupposés dans la saisie d’un fait en tant que fait (dans sa subordination à un concept général), tout comme ils sont présupposés par le parcours méthodique de l’induction elle-même.

Le fait que nous soyons de nouveau face à cette difficulté maintes fois soulevée – difficulté qui caractérise la tâche d’une fondation de l’origine et du commencement – indique que nous évoluons dans la sphère de la science originaire. Et de fait, [32] après plusieurs tentatives infructueuses, nous avons réussi, apparemment sans y prendre garde, à passer des sciences particulières à la science originaire. La psychologie ayant permis cette médiation, c’est en elle que doit résider le point critique. L’indéniable caractère commun de toutes les connaissances en tant qu’elles sont des processus psychiques nous a ramenés à une science, la psychologie – mais à celle-ci comme science empirique particulière qui peut être interprétée, parallèlement à la science naturelle physique, comme une science naturelle psychique.

Le pas vers une nouvelle « légalité dans le psychique » nous a déjà conduits au domaine de la science originaire, c’est-à-dire à son indice (la circularité de sa fondation). Cette autre légalité « dans le psychique » est donc l’indice d’un problème authentiquement scientifique-originaire, c’est-à-dire philosophique.

Cela dit, les concepts de « psychique », de « loi » et de « norme » restent complètement non élucidés. En cet état brut du matériel conceptuel utilisé, rien n’explique de prime abord comment le psychique peut être soumis à une double légalité (à la légalité des sciences de la nature et à une autre légalité) ; rien n’explique non plus comment le psychique, réglé par les lois naturelles, s’avère accessible à un autre type de normativité.

En lien avec l’introduction d’une nouvelle légalité dans la sphère psychique, les connaissances (à titre de phénomènes psychiques) apparaissent elles aussi soumises à une nouvelle légalité au regard de leur appréhension. Elles sont maintenant considérées comme vraies dans la mesure où elles ont une validité. L’examen normatif des connaissances isole parmi ces dernières une classe privilégiée : les connaissances vraies se distinguent en raison de leur valeur particulière. Cette valeur même ne sera compréhensible que dans la seule mesure où les connaissances vraies ont en elles-mêmes un caractère de valeur. La vérité en elle-même est validité et, en tant que telle, elle est quelque chose ayant une valeur.

« […] La philosophie s’occupe de la validité de ces liaisons de représentations qui, elles-mêmes indémontrables, fondent avec une évidence immédiate toute démonstration. » [2] Comment [33] l’évidence immédiate des axiomes doit-elle être démontrée ? Comment, c’est-à-dire par quel chemin et selon quelle méthode ?

Sous cette forme, la position du problème est encore certes assez imprécise, mais par rapport à nos premières tentatives, tout à fait générales, elle a déjà une forme plus concrète. Il y devient à tout le moins visible que cette problématique, liée à des principes derniers et à des axiomes qui sont présupposés par chaque science particulière, en est une singulière qui ne peut jamais être l’objet d’une science particulière. Les sciences particulières se répartissent selon la multiplicité et la spécificité des connaissances. La philosophie, elle, a pour objet l’unité de ces dernières, c’est-à-dire leur sens unitaire en tant que connaissance. Quand bien même les sciences particulières se perfectionneraient encore et s’étendraient à des domaines à ce jour inconnus, quand bien même leurs frontières s’effaceraient et que toutes tendraient vers l’idéal d’une science unitaire, elles n’en demeureraient pas moins toujours des connaissances qui présupposent la question du sens de la connaissance en général et la question de la validité des axiomes qui y sont appliqués.

Comment la philosophie doit-elle démontrer leur validité ? Comment, c’est-à-dire selon quelle méthode ? Quelle est la méthode adéquate pour fonder la validité des axiomes ? Les axiomes sont supposés représenter un nouveau type de lois au sein du psychique. Il s’agit donc en premier lieu de décrire le psychique et les légalités qu’il peut receler.

Sadler

Underlying all knowledge therefore – the inductive as also the deductive sciences, and irrespective of specific scientific and methodological theories – there are ultimate concepts, basic principles and axioms. Only through these axioms can anything be established about facts and from facts. Through such axioms, as normative laws, sciences first become sciences. Axioms are the origin or ‘primal leap’ [Ursprung] of knowledge, and the science which has these origins for its own object is primordial science, philosophy. ‘The problem of philosophy is [therefore] the validity of the axioms.’ Here I take account only of theoretical (logical) axioms, simply for illustration; for the moment ethical and aesthetic axioms will be left aside.

Axioms are norms, laws, principles, i.e. ‘representational connections’. Their validity is to be demonstrated. Here the difficulty inherent in the idea of primordial science once again shows itself: how are axioms to be proven? They cannot be deductively arrived at through other still more universal principles, for they are themselves the first (fundamental) [26] principles from which every other principle is demonstrable. Just as little can axioms be indirectly derived from facts, for they are already presupposed for the conception of a fact as fact (its subordination under universal concepts), as also for the methodological process of induction.

That we are once again confronted by this frequently mentioned difficulty, characteristic of the task of grounding the origin and inception, is a sign that we are operating in the sphere of primordial science. Indeed, [32] apparently without noticing it, and after various unsuccessful attempts, we have arrived at the primordial science from the individual sdences. The mediation was achieved by psychology; it must therefore occupy the critical position. The undeniably common character of all knowledge as psychic process led back to a particular science, psychology, but to psychology as an empirical and particular science, which can be conceived as a natural science of the psychic analogous to the physical sciences.

The step towards a new ‘lawfulness in the psychical’ already brought us into the realm of primordial science, i.e. to its distinctive feature (the circularity of grounding). Therefore this other lawfulness ‘in the psychical’ is a sign of a genuine primordial-scientific, i.e. philosophical, problem.

Of course, the concepts of ‘the psychic’, of ‘law’, and of ‘norm’, remain completely unexplained. The unrefined state of the conceptual materials employed means that it is initially inexplicable how the psychic should be governed by a double lawfulness, one natural-scientific and the other something different; nor is it explicable how the psychic governed by natural law should be accessible through an additional normativity.

In conjunction with the introduction of a new lawfulness in the psychical, knowledge as a psychical phenomenon also comes under a new lawfulness that would apprehend it. Knowledge is now considered as true in so far as it possesses validity. The normative consideration of knowledge separates out a preferred class: true knowledge is distinguished by its particular value. This value is intelligible only because true knowledge in itself has the character of value. Truth in itself is validity and as such something valuable.

’Philosophy concerns itself with the validity of those representational connections which, themselves unprovable, ground all proof with immediate evidence.’ How [33] is the immediate evidence of axioms to be shown? How, i.e. in what way, by what method?

To be sure, posing the problem in this form is still vague, but in [27] comparison with our initial and very general attempts it already has a more concrete form. At least one thing has become evident, namely that this problematic, which is connected with the ultimate principles and axioms presupposed by any particular science, is utterly distinctive, and as such can never be the object of a particular science. The particular sciences are divided according to the diversity and specificity of their knowledge. Philosophy has their unity for its object, their unitary sense as knowledge. The particular sciences may become ever more perfected and may extend to previously unknown new domains, their boundaries may become fluid as they all strive for the idea of a unitary science; they nevertheless presuppose the meaning of knowledge in general and the question of the validity of the axioms which they themselves apply.

How is philosophy to demonstrate this validity? How, i.e. by what method? What is the appropriate method for grounding the validity of axioms? The axioms are supposed to be a new kind of law in the psychic. First of all, therefore, the nature of the psychic and its possible lawfulness must be described.


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[1Wilhelm Windelband, « Kritische oder genetische Methode ? » (1833), Präludien. Aufsätze zur Philosophie und ihrer Geschichte, vol. II, 5e édition augmentée, Tübingen, 1915, p. 108. (« Méthode critique ou méthode génétique ? », Néokantismes et théorie de la connaissance, trad. M. de Launay et C. Prompsy, Paris, Vrin, 2000, p. 235.)

[2Ibid., p. 109 ; trad. fr. p. 235.