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Sein und Zeit

Être et temps : § 69. La temporalité de l’être-au-monde et le problème de la transcendance du monde.

Ser e Tempo

quinta-feira 17 de julho de 2014, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

 a) La temporalité de la préoccupation circon-specte.

Comment obtenir l’orientation du regard requise par l’analyse de la temporalité de la préoccupation ? Nous avons appelé l’être préoccupé auprès du « monde » l’usage dans et avec le monde ambiant [1]. Comme phénomènes exemplaires de l’être auprès…, nous avions choisi l’utilisation, le maniement, la production de l’à-portée-de-la-main et leurs modes déficients et indifférents, autrement dit l’être auprès de ce qui appartient au besoin quotidien [2]. Même l’existence authentique du Dasein se tient en une telle préoccupation - et cela même lorsque celle-ci lui demeure « indifférente ». Ce n’est point l’à-portée-de-la-main dont le Dasein se préoccupe qui cause la préoccupation, de telle manière que celle-ci ne prendrait naissance que sous l’influence de l’étant intramondain. Il n’est pas plus possible d’expliquer ontiquement l’être-auprès de l’à-portée-de-la-main à partir de celui-ci que de dériver inversement celui-ci à partir de celui-là. Toutefois, la préoccupation en tant que mode d’être du Dasein et l’étant dont il se préoccupe en tant qu’à-portée-de-la-main intramondain ne sont pas non plus simplement ensemble sous-la-main, ce qui n’empêche qu’il existe entre eux une « connexion ». Le avec-quoi bien compris de l’usage jette sur l’usage préoccupé lui-même une lumière. Inversement, le manquement de la structure phénoménale de l’avec-quoi de l’usage a pour conséquence une méconnaissance de la constitution existentiale de celui-ci. Certes, pour l’analyse de l’étant qui fait de prime abord encontre, cela représente un gain essentiel que de ne pas passer par-dessus le caractère spécifique d’outil de cet étant. Mais il est plus important encore de comprendre que l’usage préoccupé ne séjourne jamais auprès d’un outil isolé. L’utilisation, le maniement d’un outil déterminé demeure comme tel orienté sur un complexe d’outils. Supposons par exemple que nous cherchions un outil « égaré » : bien loin que la chose cherchée soit alors simplement ou primairement visée dans un « acte » isolé, c’est tout l’orbe du complexe d’outils qui est déjà pré-découvert. Tout « procéder », tout « s’emparer » ne se heurte pas de but en blanc à un outil prédonné isolément, mais il revient toujours du monde d’ouvrage à chaque fois déjà ouvert dans cet emparement vers un outil particulier.

Or il résulte de là, pour l’analyse de l’usage, et plus précisément de son avec-quoi, une [353] consigne : celle d’orienter l’être existant auprès de l’étant dont il se préoccupe non pas justement sur un outil isolément à-portée-de-la-main, mais bien sur la totalité d’outils. Du reste, la méditation du caractère d’être privilégié de l’outil à-portée-de-la-main, la tournure [3], ne contraint pas moins à une telle appréhension de l’avec-quoi de l’usage. Ce terme de tournure est ici compris ontologiquement. L’expression : avec quelque chose, il retourne de quelque chose, ne veut pas constater ontiquement un fait, mais indiquer le mode d’être de l’à-portée-de-la-main. Le caractère de rapport de la tournure, du « avec…, de… » indique qu’un outil est ontologiquement impossible. Certes, il se peut qu’un unique outil soit à-portée-de-la-main et que les autres « fassent défaut ». Mais en cela justement s’annonce   l’appartenance de cet étant à-portée-de-la-main à un autre. L’usage préoccupé ne peut en général laisser circon-spectivement de l’à-portée-de-la-main faire encontre que s’il comprend déjà quelque chose comme de la tournure, c’est-à-dire le retourner de quelque chose qu’il y a à chaque fois avec quelque chose. L’être circon-spect-découvrant-auprès-de… de la préoccupation est un laisser-retourner, autrement dit un projeter compréhensif de tournure. Si le laisser-retourner constitue la structure existentiale de la préoccupation, si cependant celle-ci, en tant qu’être-auprès… appartient à la constitution essentielle du souci, et si enfin celui-ci se fonde de son côté dans la temporalité, alors il faut que la condition existentiale de possibilité du laisser-retourner soit cherchée dans un mode de temporalisation de la temporalité.

Dans le plus simple avoir-en-main d’un outil, le laisser-retourner est présent. Ce dont il retourne a le caractère du pour… ; c’est de ce point de vue que l’outil est employable ou employé. La compréhension du pour… c’est-à-dire du « de » de la tournure, a la structure temporelle du s’attendre à… C’est en étant attentive au pour…, et seulement ainsi, que la préoccupation peut en même temps revenir vers quelque chose dont il retourne. Le s’attendre au « de », inséparable du conserver de l’avec-quoi de la tournure, voilà ce qui possibilise, en son unité ekstatique, la présentification spécifiquement maniante de l’outil.

Le s’attendre au pour… n’est ni la considération d’une « finalité », ni l’attente de l’achèvement imminent de l’ouvrage à produire. Il n’a absolument pas le caractère d’un saisir thématique, pas plus d’ailleurs que le conserver de ce avec quoi il retourne ne signifie un constater thématique. L’usage qui manie se rapporte tout aussi peu seulement au « de » qu’à [354] l’avec-quoi du laisser-retourner. Celui-ci se constitue bien plutôt dans l’unité du conserver qui s’attend, de telle sorte que le présentifier qui en résulte rend possible l’identification caractéristique de la préoccupation à son monde d’outils. Le s’occuper de… « authentique », totalement adonné à…, n’est ni seulement auprès de l’ouvrage, ni seulement auprès de l’outil de travail, ni auprès des deux « ensemble ». Le laisser-retourner fondé dans la temporalité a déjà fondé l’unité des rapports où la préoccupation se « meut » circon-spectivement.

À la temporalité qui constitue le laisser-retourner, un oubli spécifique est essentiel. Pour pouvoir se mettre à l’oeuvre et manier « effectivement », c’est-à-dire se « perdre » dans le monde d’outils, le Soi-même doit nécessairement s’oublier. Mais dans la mesure où, dans l’unité de la temporalisation de la préoccupation, c’est à chaque fois un s’attendre qui est régissant, le pouvoir-être propre du Dasein préoccupé n’en est pas moins - comme nous le montrerons encore - mis lui aussi en souci.

Le présentifier s’attendant-conservant constitue la familiarité conformément à laquelle le Dasein comme être-l’un-avec-l’autre s’y « reconnaît » dans le monde ambiant public. Nous comprenons existentialement le laisser-retourner comme un laisser-« être ». C’est sur sa base que l’à-portée-de-la-main peut faire encontre à la circon-spection comme l’étant qu’il est. Par suite, nous pouvons éclairer encore plus avant la temporalité de la préoccupation si nous prenons garde à ces modes du laisser-faire-encontre circon-spect qui ont été caractérisés auparavant [4] comme imposition, insistance et saturation. L’outil à-portée-de-la-main, considéré en son « en-soi véritable », ne fait justement pas encontre à un percevoir thématique de choses, mais dans la non-imposition de ce qui se laisse trouver dans l’« évidence » de son « objectivité ». Mais lorsque dans le tout de cet étant quelque chose s’impose alors apparaît du même coup la possibilité que la totalité d’outils s’impose comme telle. Comment le laisser-retourner doit-il être existentialement structuré pour pouvoir laisser faire encontre quelque chose qui s’impose ? La question ne vise plus maintenant des incitations factices infléchissant l’attention vers quelque chose de prédonné, mais le sens ontologique de cette possibilité d’inflexion comme telle.

De l’inemployable - par exemple le refus déterminé opposé par un outil - ne peut s’imposer que dans et pour un usage concret. Même le « percevoir » et le « représenter » le [355] plus aigu et le plus persévérant de choses ne saurait jamais découvrir quelque chose comme l’endommagement de l’instrument. L’avoir-en-main doit pouvoir être perturbé pour que du non-maniable fasse encontre. Or qu’est-ce que cela signifie ontologiquement ? Le présentifier attentif-conservant est retenu, par ce qui se dégagera ensuite comme endommagement, dans son identification aux rapports de tournure. Le présentifier, qui est cooriginairement attentif au pour-quoi, est arrêté auprès de l’outil utilisé, et cela de telle façon que c’est maintenant seulement que le pour-quoi et le pour… font encontre expressément. Néanmoins, le présentifier lui-même peut à son tour rencontrer seulement un étant inapproprié pour…, dans la mesure où il se meut déjà dans un conserver attentif de ce avec quoi il retourne de quelque chose. Le présentifier est « arrêté », autrement dit : dans son unité avec le s’attendre conservant, il se place encore davantage en lui-même et constitue ainsi la « considération, l’examen » et l’élimination de la perturbation. Si l’usage préoccupé était simplement une séquence de « vécus » se déroulant « dans le temps », et même si ceux-ci étaient aussi intimement « associés » que l’on voudra, un laisser-faire-encontre de l’outil s’imposant comme inemployable demeurerait ontologiquement impossible. Quoi qu’il rende accessible comme « usable » en fait de complexes d’outils, le laisser-retourner doit comme tel se fonder dans l’unité ekstatique du présentifier attentif-conservant.

Comment, maintenant, la « constatation » de ce qui manque, c’est-à-dire n’est pas à-portée-de-la-main (et non pas simplement à-portée-de-la-main comme non-maniable), est-elle possible ? Du non-à-portée-de-la-main est découvert circon-spectivement dans le regret. Celui-ci, ainsi que le « constat » fondé en lui du non-être-à-portée-de-la-main de quelque chose, a ses présuppositions existentiales propres. Le regretter n’est nullement un non-présentifier, mais un mode déficient du présent, au sens d’un non-présentifier d’un étant attendu ou toujours déjà disponible. Si le laisser-retourner circon-spect n’était pas « nativement » attentif à ce dont il se préoccupe et si le s’attendre ne se temporalisait pas en unité avec un présentifier, alors le Dasein ne pourrait jamais « trouver » que quelque chose fait défaut.

Inversement, la possibilité de l’être-surpris par quelque chose se fonde en ceci que le présentifier attentif d’un à-portée-de-la-main est in-attentif à un autre à-portée-de-la-main se tenant avec le premier dans un contexte possible de tournure. C’est l’in-attention propre au présentifier perdu qui ouvre pour la première fois l’espace de jeu « horizontal » à l’intérieur duquel du surprenant peut assaillir le Dasein.

Ce que l’usage préoccupé ne maîtrise pas en tant que produire, que procurer, mais aussi en tant que détourner, que tenir-éloigné, que protection contre…, cela se dévoile dans son insurmontabilité. La préoccupation s’en arrange. Toutefois, cet accommodement de… est un [356] mode propre du laisser-faire-encontre circon-spect. C’est sur la base de ce découvrir que la préoccupation peut trouver devant elle ce qui dérange, perturbe, empêche, menace, et en général résiste d’une manière ou d’une autre. La structure temporelle de l’accommodement réside dans une non-conservation attentive-présentifiante. Le présentifier attentif, par exemple, ne compte pas « sur » l’étant inapproprié, mais néanmoins disponible. Le ne-pas-compter-avec… est un mode du tenir-compte de ce à quoi l’on ne peut s’en tenir. Il n’est pas oublié, mais conservé de telle manière qu’il demeure justement à-portée-de-la-main en son inappropriement. Un tel étant appartient au fonds quotidien du monde ambiant facticement ouvert.

C’est seulement dans la mesure où du résistant est découvert sur la base de la temporalité ekstatique de la préoccupation que le Dasein factice peut se comprendre en son abandon à un « monde » dont il ne devient jamais maître. Même lorsque la préoccupation demeure restreinte à l’urgence de ce qui s’impose quotidiennement à elle, elle n’est pourtant jamais un pur présentifier, mais jaillit d’un conserver attentif sur la base duquel - s’il n’est lui-même ce « fondement » - le Dasein existe en un monde. Par suite, le Dasein facticement existant s’y reconnaît toujours déjà d’une certaine manière dans un « monde » étranger.

Le laisser-retourner de la préoccupation fondé par la temporalité est une compréhension encore tout à fait préontologique, non-thématique de la tournure et de l’être-à-portée-de-la-main. Dans quelle mesure finalement la temporalité fonde également la compréhension de ces déterminations d’être comme telles, cela sera montré dans la suite. Auparavant, il convient de mettre encore plus concrètement en évidence la temporalité de l’être-au-monde. Dans cette intention  , nous suivrons la « formation » de la conduite théorique vis-à-vis du « monde » à partir de la préoccupation circon-specte pour l’à-portée-de-la-main. La découverte circon-specte, aussi bien que théorique, de l’étant intramondain est fondée sur l’être-au-monde. L’interprétation temporalo-existentiale de celle-là préparera donc la caractérisation temporelle de cette constitution fondamentale du Dasein.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1Cf. supra, §15, p. [66] sq.

[2Cf. supra, §12, p. [56] sq.

[3Cf. supra, §18, p. [83] sq.

[4Cf. supra, §16, p. [72] sq.