Página inicial > Gesamtausgabe > GA02: Ser e Tempo > Être et temps : § 16. La mondialité du monde ambiant telle qu’elle s’annonce (…)

Sein und Zeit

Être et temps : § 16. La mondialité du monde ambiant telle qu’elle s’annonce dans l’étant intramondain.

Ser e Tempo

sábado 9 de julho de 2011, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

Le monde n’est pas lui-même un étant intramondain, et pourtant il détermine cet étant à tel point qu’il ne peut faire encontre et, en tant qu’étant découvert, se montrer en son être que pour autant qu’il « y a » monde. Mais comment « y a-t-il » monde ? Si le Dasein   est constitué ontiquement par l’être-au-monde et si une compréhension d’être de son Soi-même appartient - si indéterminée soit-elle - tout aussi essentiellement à son être, n’a-t-il pas alors une compréhension du monde, une compréhension préontologique, laquelle se passe certes et peut se passer d’aperçus ontologiques explicites ? Est-ce que quelque chose comme le monde ne se manifeste pas à l’être-au-monde préoccupé en même temps que l’étant rencontré à l’intérieur du monde, c’est-à-dire que son intramondanéité ? Ce phénomène ne vient-il pas sous un regard préphénoménologique, et ne se tient-il pas toujours déjà sous un tel regard sans exiger une interprétation thématiquement ontologique ? Le Dasein, au sein   même de son identification préoccupée avec l’outil à-portée-de-la-main, n’a-t-il pas une possibilité d’être d’après laquelle, en même temps que l’étant intramondain dont il se préoccupe, la mondanéité même de cet étant luit [1] d’une certaine manière à ses yeux ?

Si de telles possibilités d’être du Dasein se laissent mettre en évidence à l’intérieur de l’usage préoccupé, alors s’ouvrira un chemin pour suivre la lueur d’un tel phénomène, et pour tenter pour ainsi dire de le « fixer » et de questionner les structures qui s’y montrent.

À la quotidienneté de l’être-au-monde appartiennent des modes de préoccupation qui [73] font apparaître l’étant dont le Dasein se préoccupe de manière telle que c’est alors la mondialité [2] de l’intramondain qui vient au paraître. Dans la préoccupation, l’étant de prime abord à-portée-de-la-main peut être rencontré comme inutilisable, comme impropre à son emploi déterminé. L’instrument de travail apparaît endommagé, le matériau inapproprié. L’outil, en tout état de cause, demeure alors à-portée-de-la-main : mais ce qui découvre l’inemployabilité, ce n’est pas la constatation avisante de telles ou telles propriétés, mais la circon-spection propre à l’usage qui utilise. En une telle découverte de l’inemployabilité, l’outil s’impose. L’imposition [3] donne l’outil à-portée-de-la-main sous la figure d’un certain ne-pas-être-à-portée-de-la-main. Or cela implique ceci : l’inutilisable gît simplement là - il se montre comme chose-outil qui a tel ou tel aspect et qui, en son être-à-portée-de-la-main, manifeste par cet aspect qu’elle était aussi et constamment sous-la-main. Le pur être-sous-la-main s’annonce   dans l’outil, pour ensuite cependant se retirer à nouveau dans l’être-à-portée-de-la-main d’un étant dont on se préoccupe, en se sens qu’on le remet en état. Cet être-sous-la-main de l’inutilisable n’est pas encore purement et simplement privé de tout être-à-portée-de-la-main, l’outil ainsi sous-la-main n’est pas encore une chose qui surviendrait seulement quelque part. La dégradation de l’outil n’est pas encore un simple changement chosique, une simple mutation de propriétés survenant dans un étant sous-la-main.

Mais l’usage préoccupé ne se heurte pas seulement à de l’inemployable à l’intérieur de ce qui est déjà à-portée-de-la-main, il rencontre aussi de l’étant qui fait défaut - qui non seulement n’est pas « maniable », mais encore n’est absolument pas « à main ». En tant que découverte d’un non-à-portée-de-la-main, un constat d’absence de cette sorte découvre du même coup l’à-portée-de-la-main dans un certain être-sans-plus-sous-la-main. Dans cette remarque de son non-à-portée-de-la-main, l’étant à-portée-de-la-main revêt le mode de l’insistance. Plus le besoin de ce qui fait défaut se fait sentir de façon pressante, plus proprement il est rencontré dans son ne-pas-être-à-portée-de-la-main, et d’autant plus insistant devient l’étant à-portée-de-la-main, au point même de sembler perdre le caractère de l’être-à-portée-de-la-main. Il se dévoile comme sans-plus-sous-la-main, dont il n’y a rien à faire sans ce qui manque. Le désarroi, en tant que mode déficient d’une préoccupation, découvre l’être-sans-plus-sous-la-main d’un étant à-portée-de-la-main.

Enfin, dans l’usage du monde de la préoccupation, le non-à-portée-de-la-main peut faire encontre non seulement au sens de ce qui est inemployable ou de qui manque purement et simplement, mais encore en tant que non-à-portée-de-la-main qui précisément ne fait pas défaut et n’est pas inutilisable, mais qui « fait obstacle » à la préoccupation. Ce vers quoi la préoccupation ne peut pas se tourner, ce pour quoi elle n’a « pas le temps », cela est du [74] non-à-portée-de-la-main selon la guise de ce qui ne convient pas, de ce qui n’est pas en place. Ce non-à-portée-de-la-main perturbe, et rend visible la saturation de l’objet premier et primaire de la préoccupation. Avec cette saturation s’annonce d’une façon nouvelle l’être-sous-la-main de l’étant à-portée-de-la-main : c’est l’être de ce qui traîne encore, et demande à être liquidé.

Les modes de l’imposition, de l’insistance et de la saturation ont pour fonction de porter au paraître dans l’étant à-portée-de-la-main le caractère de l’être-sous-la-main. Cependant, l’à-portée-de-la-main n’est pas alors encore simplement considéré et fixé comme du sous-la-main, l’être-sous-la-main qui s’annonce demeure lié à l’être-à-portée-de-la-main de l’outil. Celui-ci ne se voile pas encore en simples choses. L’outil devient seulement « une chose qu’on a laissée traîner » [4] et qu’il faudrait écarter du chemin ; ce besoin d’éloignement manifeste cependant que l’étant à-portée-de-la-main est demeuré tel en dépit de son être-sous-la-main irréductible.

En quoi cette indication au sujet de la modification de la rencontre de l’étant à-portée-de-la-main et du dévoilement de son être-sous-la-main peut-elle contribuer à l’éclaircissement du phénomène du monde ? En analysant cette modification, nous sommes restés attachés à l’être de l’étant intramondain, et nous n’avons donc pas encore réussi à nous rapprocher du phénomène du monde. Et pourtant, même sans encore le saisir, nous nous sommes assurés de la possibilité de porter ce phénomène sous le regard.

Dans l’imposition, l’insistance et la saturation, l’étant à-portée-de-la-main perd d’une certaine manière son être-à-portée-de-la-main. D’autre part, celui-ci est lui-même compris - quoique non thématiquement - dans l’usage de l’à-portée-de-la-main. Il ne disparaît pas purement et simplement, mais, dans l’imposition de l’inemployable, il prend pour ainsi dire congé. L’être-à-portée-de-la-main se montre encore une fois, et c’est justement alors que se montre aussi la mondialité de l’à-portée-de-la-main.

La structure de l’être de l’étant à-portée-de-la-main comme outil est déterminée par les renvois. L’« en-soi » spécifique et évident des « choses » les plus proches fait encontre dans la préoccupation qui se sert d’elles - sans y prendre garde expressément - et qui donc peut se heurter à de l’inutilisable. Un outil est inemployable, cela implique que le renvoi concret d’un pour… à une destination est perturbé. Les renvois eux-mêmes ne sont pas considérés proprement, ils sont « là » dans la soumission préoccupée à eux. Mais dans la perturbation du renvoi - dans l’inemployabilité pour… - le renvoi devient exprès. Non pas encore, certes, en tant que structure ontologique, mais ontiquement pour la circon-spection qui se heurte à la détérioration de l’instrument. Avec ce réveil circon-spect du renvoi à ce qui est chaque fois le [75] « pour-cela », celui-ci même et, avec lui, le complexe d’ouvrage, tout l’« atelier » en tant que lieu où la préoccupation se tient toujours déjà, deviennent visibles. Le complexe d’outils luit, non pas comme quelque chose qui n’aurait pas encore été vu, mais comme le tout constamment et d’emblée pris en vue dans la circon-spection. Or, avec une telle totalité, c’est le monde qui s’annonce.

De même le manque d’un étant à-portée-de-la-main, dont la présence quotidienne était si « évidente » que nous n’en avions même pas fait la remarque, est une rupture des complexes de renvois découverts dans la circon-spection. La circon-spection se heurte au vide et voit maintenant seulement ce pour quoi et avec quoi ce qui manque était à-portée-de-la-main. Derechef s’annonce le monde ambiant. Ce qui luit ainsi n’est assurément pas lui-même un à-portée-de-la-main parmi d’autres, et encore moins un sous-la-main qui, par exemple, fonderait l’outil à-portée-de-la-main. Il est dans le « là » avant toute constatation et considération. Il est lui-même inaccessible à la circon-spection dans la mesure où celle-ci porte toujours sur de l’étant, et pourtant il lui est à chaque fois déjà ouvert. « Ouverture », ce terme sera utilisé dans la suite terminologiquement, et il aura toujours le sens de « être ouvert à… », « avoir de l’ouverture pour… » [5].

Que le monde ne « consiste » pas en de l’étant-à-portée-de-la-main, c’est ce que montre entre autres le fait que la lueur du monde dans les modes de préoccupation qu’on vient d’interpréter ne va jamais sans une dé-mondanéisation de l’à-portée-de-la-main, où vient alors au paraître son être-sans-plus-sous-la-main. Pour que l’outil à-portée-de-la-main puisse, dans la préoccupation quotidienne pour le « monde ambiant », faire encontre en son « être-en-soi », il faut que les renvois et les totalités de renvois auxquels la circon-spection s’« identifie » demeurent pour elle non thématiques, et le soient aussi et surtout pour toute saisie in-circon-specte, « thématisante ». Le ne-pas-s’annoncer du monde est la condition de possibilité permettant à l’étant à-portée-de-la-main de ne pas ressortir hors de sa non-imposition. En cela se constitue la structure phénoménale de l’être-en-soi de cet étant.

Les expressions privatives comme non-imposition, non-insistance, non-saturation visent un caractère phénoménal positif de l’être de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Ces négations désignent le caractère de retenue-en-soi de l’à-portée-de-la-main, autrement dit ce que nous avons en vue en parlant d’être-en-soi, même si, de manière tout à fait caractéristique, c’est « d’abord » au sous-la-main en tant que thématiquement constatable que nous l’attribuons. Mais tant que l’on s’oriente primairement, voire exclusivement, sur le sous-la-main, il est impossible d’éclaircir ontologiquement l’« en-soi ». Et pourtant une interprétation est indispensable si l’on veut que l’expression d’« en soi » présente quelque pertinence ontologique. La plupart du temps, on invoque ontiquement et emphatiquement - [76] cet en soi de l’être, non d’ailleurs sans un certain droit phénoménal. Toutefois, cette invocation ontique ne peut prétendre faire office de l’énoncé ontologique qu’elle croit fournir. Notre analyse antérieure suffit à montrer clairement que l’être-en-soi de l’étant intramondain n’est saisissable ontologiquement que sur le fondement du phénomène du monde.

Mais si le monde peut luire d’une certaine manière, alors il faut qu’il soit en général ouvert. Tandis que de l’à-portée-de-la-main intramondain est accessible à la préoccupation circon-specte, le monde est à chaque fois et déjà préalablement ouvert. Le monde est par conséquent quelque chose « où » le Dasein, en tant qu’étant, était à chaque fois déjà, ce vers quoi il ne peut toujours que faire retour tandis que, expressément, il se porte vers quoi que ce soit.

Être-au-monde signifie d’après notre interprétation antérieure : l’identification non thématique, circon-specte aux renvois constitutifs de l’être-à-portée-de-la-main de l’ensemble d’outils. La préoccupation est à chaque fois déjà ce qu’elle est sur la base d’une familiarité avec le monde. Dans cette familiarité, le Dasein peut se perdre dans l’étant qui lui fait encontre à l’intérieur du monde et être capté par lui. Mais de quoi exactement le Dasein est-il familier, et pourquoi la mondialité de l’intramondain peut-elle luire ? Comment doit-on comprendre plus précisément la totalité des renvois où la circon-spection se « meut », et où l’être-sous-la-main de l’étant pénètre dès qu’une brèche s’y ouvre ?

Pour répondre à ces questions qui visent à une élaboration du phénomène et du problème de la mondanéité, il s’impose d’analyser plus concrètement les structures dont ces questions mettent en question la cohérence.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1NT: « Luire » (aufleuchten) : ce mot, lui non plus, n’est pas métaphorique, comme le montrera son emploi ultérieur au sein du présent paragraphe, p. [75]

[2NT: « Mondialité » : le mot allemand dit littéralement : conformité au monde, propriété d’être à la mesure du monde. On ne confondra pas cette détermination avec la mondanéité du Dasein, ou du monde « lui-même ».

[3NT: Imposition, insistance, saturation. BW traduisaient les trois termes allemands employés dans cette page : Auffälligkeit, Aufdringlichkeit, Aufsässigkeit (non néologiques) par « attention », « importunité » et « persévération », ce qui est sans doute plus conforme aux indications du dictionnaire, mais non pas à l’esprit de la présente analyse, dans la mesure où ces trois déterminations concernent moins l’« expérience » de l’outil par le « sujet » que l’outil lui-même selon que, tout en s’effaçant, il apparaît pour la dernière - ou plutôt pour la première - fois. Il faut ici respecter, en d’autres termes, le fait que l’être-sous-la-main, s’il transparaît, ne devient pas pour autant considérativement thématique. Le marteau mal emmanché, le marteau sans clous, le marteau et les clous rencontrant l’obstacle d’un noeud dans le bois, bien loin de retenir mon attention, de m’être importuns, de m’imposer leur persévération - ce qui est évidemment exact, mais secondaire ici - demeurent si bien à-portée-de-la-main que c’est alors justement que leur être-à-portée-de-la-main s’annonce.

[4NT: Il faudrait traduire carrément par « un machin », puisque tel est dans un allemand plus familier l’autre sens du mot Zeug, outil. « Was machen sie mit diesen alten Zeugen ? », « Que cherchez-vous à tirer de ces vieilles choses ? » aurait dit Husserl à Heidegger, parlant… de ses propres Recherches logiques.

[5NT: Le concept d’« ouverture » (Erschlossenheit) sera analysé au §28. Comme le remarquent BW, n. 1 à la p. [133], le terme d’Aufgeschlossenheit, dont Heidegger se sert ici pour en donner une première idée générale, « s’applique tout particulièrement à un homme qu’on juge ouvert et accessible à toute idée nouvelle et étrangère à toute sollicitation raisonnable, un homme compréhensif et abordable ».