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Didier Franck (1998:380-383) – a memória

sexta-feira 12 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

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Como a memória é possível? Numa nota que precede quase imediatamente a primeira formulação do eterno retorno, Nietzsche   responde: "A nossa memória baseia-se no ver como igual e no tomar como igual: em outras palavras, numa visão imprecisa; é originalmente da maior grosseria e considera quase tudo como igual. — O fato de as nossas representações funcionarem como excitações desencadeadoras advém de representarmos e experimentarmos sempre numerosas representações como iguais (das Gleiche), devido, portanto, à memória grosseira que vê como IGUAL e à imaginação que, preguiçosamente, afabula como igual o que, na verdade, difere. — O movimento do pé como representação não poderia ser mais diferente do movimento que se segue!   A memória deriva, portanto, a sua possibilidade da igualização de duas maneiras. Por um lado, recordar é sempre recordar algo, e aquilo para o qual a memória se volta e regressa deve, pelo menos até certo ponto, permanecer idêntico a si próprio. Sem a auto-identidade do seu correlato intencional, a anamnese nada reteria. Por outro lado, a memória é um acontecimento cujo próprio desencadeamento pressupõe uma espécie de semelhança e de equiparação entre a representação recordada e a representação recordante. A memória baseia-se sempre num presente que, de uma forma ou de outra, se assemelha ao passado a que dá acesso. "Toda a memória é uma comparação, isto é, uma igualização", observou Nietzsche já em 1873, antes de dizer o mesmo muito mais tarde sobre o juízo. Sem a equiparação grosseira, preguiçosa e fictícia das representações, sem a falsificação original, a anamnese nunca teria lugar. Mas este não é o ponto mais importante, que reside no caráter lógico da memória e no caráter memorial da lógica. Nietzsche nunca deixou de descrever e explicar a memória nos mesmos termos em que descreveu e explicou o intelecto ou o conhecimento. Na sua tentativa de repensar a memória, afirma: "É a totalidade de todas as experiências da vida orgânica que vivem, se ordenam, se formam, lutam umas com as outras, uma totalidade que se simplifica, se concentra e se transforma numa pluralidade de unidades. Deve haver um processo interno análogo à formação de conceitos a partir de vários casos singulares: o destaque e a acentuação repetida do padrão fundamental, a negligência dos traços acessórios".   A constituição de casos idênticos está, portanto, de fato em ação na memória, ou melhor, a constituição de casos idênticos é a própria memória. É por isso que Nietzsche pode dizer da memória o que diz do conhecimento, ou seja, que torna possível a experiência. Se o modo lógico do pensamento simplifica o pensamento de modo a torná-lo distinto e comunicável, então a memória, enquanto estrutura lógica e momento do conhecimento, abre a possibilidade da experiência como experiência do ente constante. "A experiência só é possível com a ajuda da memória; a memória só é possível abreviando um processo espiritual por meio de um signo. "Conhecimento: é a expressão de uma coisa nova pelos sinais de coisas já ’conhecidas’ e experimentadas." 

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Comment la mémoire est-elle possible ? Dans une note qui précède quasi immédiatement la première formulation de l’éternel retour, Nietzsche répondait : « Notre mémoire repose sur le voir comme égal et le prendre pour égal : donc sur une vision imprécise ; elle est originairement de la plus grande grossièreté et considère presque tout comme égal. – Que nos représentations agissent en tant qu’excitations déclenchantes, vient de ce que toujours nous nous représentons et ressentons de nombreuses représentations comme la même (das Gleiche), du fait donc de la mémoire grossière qui voit comme ÉGAL et de l’imagination   qui, paresseusement, affabule comme égal ce qui, en vérité, diffère. – Le mouvement du pied en tant que représentation est on ne peut plus différent du mouvement qui s’ensuit ! »   La mémoire tire donc sa possibilité de l’égalisation, et ce à double titre. D’une part, se souvenir, c’est toujours se souvenir de quelque chose et ce vers quoi la mémoire se tourne et retourne doit, dans une certaine mesure au moins, demeurer identique à soi. Sans l’identité à soi de son corrélat intentionnel, l’anamnèse ne retiendrait rien. D’autre part, la mémoire est un événement dont le déclenchement même suppose une manière de ressemblance et d’égalisation entre la représentation de rappel et la représentation rappelée. Le souvenir prend toujours appui sur un présent qui, d’une manière ou l’autre, ressemble au passé auquel il livre accès. « Tout souvenir est une comparaison, c’est-à-dire une égalisation »  , notait Nietzsche dès 1873, avant de dire bien plus tard la même chose du jugement  . Sans l’égalisation grossière, paresseuse et fictive des représentations, sans falsification originaire, l’anamnèse n’aurait jamais lieu. Mais le plus important n’est pas là qui réside dans le caractère logique de la mémoire et mémorial de la logique. Nietzsche n’a cessé de décrire et expliquer la mémoire dans les termes mêmes par lesquels il décrivait et expliquait l’intellect ou la connaissance. Enjoignant à repenser la mémoire, il précise : « Elle est l’ensemble de tous les vécus de toute la vie organique qui vivent, s’ordonnent, se forment réciproquement, luttent les uns avec les autres, ensemble qui simplifie, concentre et transforme en une pluralité d’unités. Il doit y avoir un procès intérieur analogue à la formation des concepts à partir de plusieurs cas singuliers : la mise en relief et l’accentuation réitérée du schéma fondamental, la négligence des traits accessoires. »   La constitution des cas identiques est donc bien à l’œuvre dans la mémoire ou mieux, la constitution des cas identiques est la mémoire même. Telle est la raison pour laquelle Nietzsche peut dire de la mémoire ce qu’il dit de la connaissance, à savoir qu’elle rend possible l’expérience. Si le mode logique de la pensée simplifie cette dernière en sorte de la rendre distincte et communicable, alors la mémoire, en tant que structure logique et moment de la connaissance, ouvre la possibilité de l’expérience en tant qu’expérience de l’étant constant. « L’expérience n’est possible qu’à l’aide de la mémoire ; la mémoire n’est possible qu’en abrégeant un processus   spirituel au moyen d’un signe. “Connaissance” : c’est l’expression d’une chose nouvelle par les signes des choses déjà “connues” et expérimentées. » 

Ainsi comprise, la mémoire est bien le trait distinctif de l’organique. Une longue note le montre et l’explique aussi clairement que possible. « Notre “mémoire”, quelle qu’elle soit, écrit Nietzsche, peut nous servir de terme de comparaison pour caractériser quelque chose de plus important : dans le développement de tout être organique se manifeste un prodige de mémoire quant à l’ensemble de sa préhistoire, pour autant que les êtres organiques aient une préhistoire, – et cette mémoire est reproductrice qui reproduit les formes initiales et incorporées depuis le plus longtemps, et de préférence à celles qui furent le plus récemment vécues : c’est ainsi que la mémoire remonte en arrière et non, comme on pourrait le supposer, pas à pas, selon un mouvement régressif procédant du dernier vécu vers le plus éloigné ; à l’inverse, la mémoire laisse d’abord de côté toutes les impressions fraîches et récentes. Il y a là un étonnant arbitraire : – même “l’âme” qui, pour tout embarras philosophique, est habituellement appelée en renfort, n’est ici d’aucun secours : du moins pas l’âme-individuelle, mais un continuum d’âmes qui règne sur tout le procès d’une série organique. A nouveau : puisque tout n’est pas reproduit, mais seulement des formes fondamentales, il doit constamment y avoir, dans cette mémoire, une pensée subsumante, une simplification, une réduction : bref quelque chose d’analogue à ce que, du point de vue de notre conscience, nous qualifions de “logique”. » 

De cette reconduction de la mémoire à la vie, nous pouvons d’ores et déjà tirer plusieurs conséquences. 1) A l’instar de la logique, la mémoire est un phénomène moral   ordonné à des valeurs conservatoires. Conserver le passé, c’est tout simplement se conserver, et si la mémoire est une faculté réactive, inversement l’oubli, nécessaire à l’intensification de la vie, n’est pas une force d’inertie mais un pouvoir actif  . 2) Trait distinctif de l’organique, la mémoire n’est liée à aucun organe en particulier. « Il n’y a pas d’organe propre de la “mémoire” : tous les nerfs, dans la jambe par exemple, se souviennent des expériences antérieures. »   Partant, la vie de la mémoire est pleinement corporelle. « La mémoire : tout ce que nous avons vécu, vit : est travaillé, mis en ordre, incorporé. »   3) Si la mémoire est l’archive vivante de l’incorporation, le principe de cet archivage n’est autre que la volonté de puissance elle-même en tant que principe d’incorporation et d’organisation. La mémoire, qui est toujours « mémoire de la volonté »   et, au double sens du génitif, mémoire du corps, dérive donc de la volonté de puissance. « La soi-disant pulsion de connaissance doit être reconduite à une pulsion d’appropriation et de domination : les sens, la mémoire, les instincts, etc. se sont développés en suivant cette pulsion… »   4) Quant à sa possibilité même, la mémoire dépend de la volonté d’assimilation en tant que mode conservatoire et réactif de la volonté de puissance. Après avoir montré que la « volonté fondamentale », dont procède la logique, consiste à simplifier et à passer au filtre d’un schème fictif et régulateur des processus spirituels hautement complexes, Nietzsche ajoutait : « Là où il y a “mémoire”, cette volonté fondamentale a dominé. »   Supposant les cas identiques, la mémoire ne saurait donc permettre l’élucidation de l’identité elle-même.


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FRANCK, Didier. Nietzsche et l’ombre de Dieu. Paris: PUF, 1998.