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Taminiaux (1995b:192-195) – Édipo-Rei (I)

terça-feira 23 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

destaque

[…] Em Heidegger, como foi o caso em Hegel  , o enfoque deliberadamente metafísico da leitura [das tragédias gregas] leva à seleção de certos heróis e à elevação destes à categoria de efígies ontológicas: em Heidegger, o Prometeu de Ésquilo  , testemunha da luta contra o superpoder do ser e o Édipo de Sófocles  , encarnação da paixão da aletheia  ; em Hegel, Antígona e Creonte, testemunhas da contradição entre o objetivo especulativo da Sittlichkeit grega (identidade da consciência e do seu mundo) e o enraizamento natural desta vida ética. Em ambos os pensadores, os heróis, para serem elevados à categoria de efígies ontológicas, têm primeiro de ser purificados de qualquer húbris: o Édipo de Heidegger é um modelo para o Dasein  ; o Creonte e a Antígona de Hegel agem como devem, não havendo neles qualquer excesso porque não têm escolha. Finalmente, em ambos os casos, o coro é marginalizado ou a resistência às ações dos heróis é obliterada. Em outras palavras, a obliteração [195] de uma theoria   completamente diferente, uma theoria que não é metafísica mas dedicada à procura de medida justa em questões de praxis  , uma theoria que rejeita a arrogância e que, tateando, pesa e julga os assuntos humanos.

original

[…] Heidegger écrit : « Les Grecs durent sans cesse arracher l’être à l’apparence et le protéger contre cette apparence (L’être este à partir du dévoilement). C’est uniquement en soutenant le combat entre l’être et l’apparence qu’ils ont arraché l’être à l’étant, qu’ils ont amené l’étant à la stabilité et au dévoilement : les dieux et l’État, les temples et la tragédie, la compétition et la philosophie   ; mais tout cela au milieu   de l’apparence, guettés de partout par elle, que les Grecs prenaient au sérieux, parce qu’ils en savaient la puissance. » (GA40  :80 ; 117) Retour de la constellation hégélienne de la Sittlichkeit et de la religion   de l’art. Retour plus précisément, on va s’en apercevoir très vite, d’une interprétation de la tragédie [193] qui, comme chez Hegel, soude étroitement celle-ci à une theoria ontologique dont elle est censée être le témoignage le plus haut et le plus pur. Et comme chez Hegel, c’est Sophocle qui a la charge de témoigner de cette theoria : « Pour le penser des premiers penseurs grecs, l’unité et l’antagonisme de l’être et de l’apparence avaient une puissance originelle. Pourtant c’est dans la poésie des tragédies grecques que tout cela a été exposé de la façon la plus haute et la plus pure. Pensons à l’Œdipe-Roi de Sophocle. » (81 ; 118)

Suit une page extraordinaire où Heidegger célèbre «l’œil en trop » que Hölderlin  , de son côté, avait attribué à Œdipe, en visant par ces mots non pas du tout la passion du dévoilement qui animait le roi au faîte de sa puissance, mais plutôt l’étrange voyance qui, à Colone, au soir de sa vie errante d’aveugle était le fruit des épreuves endurées. Citons cette page de Heidegger.

« Œdipe, qui, au début, est le sauveur et le maître de l’État, dans l’éclat de la gloire et la grâce des dieux, est expulsé de cette apparence (Schein  ), laquelle n’est pas une vue simplement subjective qu’Œdipe aurait de lui-même, mais ce en quoi advient (geschieht) la manifestation (Erscheinung) de son Dasein, jusqu’à ce que soit advenu le dévoilement (Unverborgenheit  ) de son être en tant que meurtrier de son père et auteur du déshonneur de sa mère. Le chemin qui va de ce début de gloire à cette fin d’horreur est un combat unique entre l’apparence (Schein) (voilement (Verborgenheit) et déguisement (Verstelltheit  )) et le dévoilement (l’être). Autour de la ville campe ce qui est encore voilé : le meurtrier du feu roi Laïos. Avec la passion de celui qui se tient dans la patence de l’éclat et est un Grec, Œdipe s’avance vers la découverte de ce qui est voilé. Ce faisant, il doit, pas à pas, se mettre lui-même dans le dévoilement, que finalement il ne supporte plus qu’en se crevant lui-même les yeux, c’est-à-dire en se soustrayant à toute lumière, en laissant tomber autour de lui la nuit qui recouvre tout, et en criant ensuite, comme un homme ébloui, d’ouvrir grand toutes les portes, afin qu’un tel homme se révèle au peuple comme celui qu’il est » (81 ; 118)

Ce qui est extraordinaire dans cette description c’est la dilatation au Dasein grec tout entier de la passion œdipienne du dévoilement, et l’ontologisation de celle-ci. Heidegger poursuit [194] en effet : « Mais nous ne devons pas voir seulement en Œdipe la chute d’un homme, il faut le comprendre comme l’effigie (Gestalt) du Dasein grec, effigie en laquelle se hasarde le plus loin et dans ce que cela a de plus sauvage la passion fondamentale du Dasein grec, qui est passion du découvrement de l’être, c’est-à-dire du combat pour l’être même. Hölderlin dans le poème Dans le bleu adorable fleurit… a cette parole de voyant : “Le roi Œdipe a un œil en trop peut-être”. Cet œil en trop est la condition fondamentale pour tout grand questionner et tout grand savoir, et aussi leur unique fondement métaphysique. Le savoir et la science des Grecs, telle est cette passion » (81 ; 118). Œdipe est donc l’effigie de la theoria, de la voyance, dans ce qu’elle a de plus haut et qui est la source de toute « grandeur » : la vue de l’être.

Certes le caractère militant et passionné de cette présentation de la theoria n’a guère d’équivalent dans la spéculation commémorante d’un Hegel. Mais ce qui apparente les deux penseurs, c’est sans nul doute l’axe métaphysique de leur lecture des tragiques. Chez l’un comme chez l’autre, la tragédie a partie liée d’abord, non pas avec la praxis interactive et interlocutoire des mortels, mais avec le bios   theoretikos, peu importe qu’il s’agisse dans celui-ci de la vue inhérente à la spéculation, ou de la vue de l’être. Chez Heidegger, comme c’était le cas chez Hegel, l’axe délibérément métaphysique de la lecture entraîne la sélection de certains héros et l’élévation de ceux-ci au rang d’effigies ontologiques : chez Heidegger, le Prométhée d’Eschyle, témoin du combat avec la surpuissance de l’être et l’Œdipe de Sophocle, incarnation de la passion de l’aletheia ; chez Hegel, Antigone et Créon, témoins de la contradiction entre la visée spéculative de la Sittlichkeit grecque (identité de la conscience et de son monde) et l’enracinement naturel de cette vie éthique. Chez les deux penseurs, les héros, pour être élevés au rang d’effigies ontologiques, ont été préalablement blanchis de toute hubris : l’Œdipe heideggerien est un modèle pour le Dasein ; Créon et Antigone chez Hegel agissent comme ils le doivent, il n’y a chez eux nul excès puisqu’ils n’ont pas le choix. Chez tous deux enfin, on assiste soit à une marginalisation du chœur, soit à l’oblitération de ce qui y marque une résistance aux faits et gestes des héros. C’est-à-dire l’oblitération [195] d’une tout autre theoria, une theoria non pas métaphysique mais adonnée à la recherche de la mesure en matière de praxis, theoria rebelle à l’hubris, et qui, à tâtons, pèse et juge les affaires humaines.

Tout cela est sensible dans le traitement que le cours de 1935 réserve à la première strophe de la quatrième ode chorale d’Œdipe-Roi, celle qui suit immédiatement et ponctue la découverte par Œdipe de son parricide et de son inceste. Heidegger trouve dans cette strophe un témoignage de « l’empreinte (Prägung) poétique du combat entre l’être et l’apparence chez les Grecs » (82 ; 119). Plus précisément voici ce que la strophe est censée élucider : « A l’être même en tant qu’apparaître (Erscheinung) appartient l’apparence (Schein). L’être en tant qu’apparence n’est pas moins puissance que l’être en tant que dévoilement (Unverborgenheit). L’apparence survient dans l’étant même avec celui-ci. Mais l’apparence ne fait pas seulement apparaître l’étant comme celui qu’il n’est pas en propre (eigentlich  ), elle ne se borne pas à déguiser l’étant dont elle est l’apparence, bien plutôt elle se cache ainsi elle-même en tant qu’apparence, dans la mesure où elle se montre comme être » (83 ; 120). C’est la raison pour laquelle, précise-t-il un peu plus loin, au commencement de la philosophie « l’effort principal de la pensée a consisté à dompter la détresse de l’être dans l’apparence, à séparer l’être de l’apparence et à l’opposer à celle-ci » (83 ; 121).


Ver online : Jacques Taminiaux


TAMINIAUX, J. Le théatre des philosophes: La tragédie, l’être, l’action. Grenoble: J. Millon, 1995.