Página inicial > Fenomenologia > Pontremoli (1996:68-75) – a fotografia

Pontremoli (1996:68-75) – a fotografia

quarta-feira 10 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

destaque

Visada como a verdade espantosa do que é agora uma coisa do passado, a realidade do fotografado, o acontecimento atestado do passado garantiria a ausência precisamente daquilo que estamos a ver. A fotografia faria duas afirmações violentas ao mesmo tempo: isto é o real, e o que se vê aqui "não é de modo algum uma presença", mas um mundo engolido pelo tempo. É por isso que, segundo Barthes, qualquer outra imagem bem feita estimularia mais ativamente a ficção ao não fazer uma declaração sobre a dimensão temporal   do que representa. Seria mais fácil consentir com o seu "é assim que as coisas são". A fotografia, pelo contrário, rejeita o presente intemporal, remetendo obstinadamente para o não-ser do passado. O resultado seria uma irrealidade das coisas singulares às quais se diz geralmente que ela confere uma sobrevivência excepcional. Porque a câmara captou e fixou o tempo único e irrepetível do referente real. A singularidade do visível é simultaneamente uma garantia da sua verdade e da sua ausência. A força da atestação é invencível, mas o atestado, irrecuperável, retirou-se para além de toda a atualidade. Ao torná-lo um objeto de visão, a fotografia retira-o da percepção visual atual.

original

«Il y a dans toute photographie l’évidence toujours stupéfiante du: cela s’est passé ainsi.» «La photographie», [69] écrit Roland Barthes «installe, non pas une conscience de l’être-là de la chose (que toute copie pourrait provoquer), mais une conscience de l’avoir-été-là» [1]. L’extraordinaire «réalisme» de la photographie se trouverait donc spécifié ou plutôt estompé par «cette sorte de modération temporelle (avoir-été-là).»

Un des traits distinctifs du cliché serait pour lui de porter directement témoignage du temps passé. Visée comme la vérité stupéfiante de ce qui est aujourd’hui révolu, la réalité du photographié, l’événement attesté du passé garantirait l’absence de ce que, précisément, l’on voit. Le photographique énoncerait conjointement deux affirmations violentes : voici la chose vraie et ce que vous voyez là «n’est nullement une présence» mais un monde englouti par le temps. C’est pourquoi, selon Barthes, n’importe quelle autre image bien faite stimulerait plus activement la fiction en ne se prononçant pas sur la dimension temporelle de ce qu’elle représente. On consentirait plus aisément à son «c’est ainsi». La photographie quant à elle refuse le présent intemporel, se référant obstinément au non-être du passé. S’ensuivrait une irréalité des choses singulières auxquelles on la dit généralement accorder une exceptionnelle survie. Car l’appareil a saisi et fixé l’unique fois, irrépétable, du référent réel. Singularité d’un visible qui est, à la fois, gage de sa vérité et de son absence. La force de l’attestation y est invincible mais l’attesté, irrécusable, s’est replié au delà de toute actualité. En en faisant un objet de vision, la photographie le soustrairait à la perception visuelle actuelle. A entendre une telle approche théorique, l’image mécanique se chargerait bien de procurer les apparitions spectrales, si étonnantes pour les contemporains de l’invention, mais en même temps les exorciserait en les reléguant, manifestement, dans l’irrémédiablement [70] accompli. Si, à l’égal des autres icônes, la photo, matériellement présente, renvoie à un absent actuel, son originalité reproductive serait d’user de toute la force probante de ses moyens mécaniques pour signifier une présence anachronique. Il n’y aurait donc aucune équivoque dans le message photographique : cela qui se montre a été et, par conséquent, maintenant, n’est pas. En exposant que cela, un moment singulier, a été ainsi, la photographie logerait dans le passé clos ce qui, ayant eu lieu, ne peut plus prendre place dans notre présent. Loin de promettre une entrée en scène du référent, la photographie témoignerait, et avec quelle force, de sa sortie définitive, interdisant l’accès au passé révolu. Pourtant, ici, l’interdit semble vaciller. «Je vais enfin arriver à l’être de ma mère… La photographie justifie ce désir, même si elle ne le comble pas : je ne puis avoir l’espoir fou de découvrir la vérité que parce que le noème   de la photo, c’est précisément que cela a été, et que je vis dans l’illusion   qu’il suffit de nettoyer la surface de l’image pour accéder à ce qu’il y a derrière» [2]. «L’entêtement du Référent à être toujours là», cet accouplement indissoluble de la Photographie et du Photographié, du survivant et du «mort», conjonction de l’ici et de l’autrefois, Barthes en éprouve la violence désordonnée, sans pouvoir la résoudre phénoménologiquement. Saisi de ce désir violent de retrouver une présence, il aperçoit une possibilité de la photographie, qu’il interprète aussitôt comme tromperie.

C’est que la photographie qui dirait impérativement le passé du réel, qui en formulerait le constat ultime [3], n’a, par nature, image sans code, que les moyens du visible. Il est vrai que l’image mécanique ne montre pas quelque chose qui est actuellement présent. Mais peut-on dire, [71] comme le fait Derrida  , que «le référent y est visiblement absent» [4] ? Est-ce visible ? On sait au prix de quels artifices visuels, particulièrement au cinéma, l’absence a été suggérée, mais jamais montrée. Le photographié, qui se perçoit au bout du regard, existe à la manière de tout objet perçu, en lui-même, pour lui-même. Sa visibilité, bien que déficiente et interrompue, ne laisse place à aucun doute. Justement, Barthes l’évoquait, la Photographie, invisible, absolument transparente, garde, toute puissante, cette affirmation d’existence. Mais pour lui, et c’est là la cruauté d’une image exceptionnellement précise et vraie, contrairement aux assurances habituellement inscrites dans le pacte visuel, cette vision particulière ne découvre que l’absent. «L’image, dit la phénoménologie, est un néant d’objet. Or, dans la photographie, ce que je pose n’est pas seulement l’absence de l’objet : c’est aussi, d’un même mouvement, à égalité, que cet objet a bien existé et qu’il a été où je le vois» [5]. La Chambre claire, dans son exploration pathétique, reste fixée sur l’idée qu’un seul type de conscience (sans précédent), celui de «l’avoir-été-là», rend compte de l’expérience de la photographie. Barthes aurait-il introduit le terme même de perception, il eût dévoilé d’emblée l’origine d’une tension interne du phénomène. Car percevoir veut dire tenir solidairement un présent et une présence. Or, il n’y a pas d’autre authentification dans la photographie que la force de l’apparaître et la foi perceptive qu’elle détermine. Le monde vrai est ce que nous voyons. Parce que nous le voyons, il ne peut être autre, ni ne pas être. S’alimentant aux sources naturelles de l’évidence, l’appareil photo ne peut prétendre rendre visible ce qui, pour avoir été, n’est définitivement plus. Il n’y a pas, dans une photographie, [72] une vision du passé comme tel mais une vue de l’objet lointain paraissant dont nous savons, par des voies diverses, qu’il n’est pas notre contemporain. De même que la science nous apprend qu’une étoile que nous voyons, est un astre éteint. Parce qu’elle est perçue, et co-naturelle à son référent, l’image photographique met en présence, non d’un absent, ce qui ne saurait se faire que par l’imagination  , mais du «là», ce qui est l’expérience, ontologique, ordinaire, de toute vision, proche ou lointaine, instrumentale ou nue. Sans doute, l’altérité du monde perçu s’efface-t-elle dans l’affinité perceptive dont Merleau-Ponty   disait qu’elle était «une accointance aussi étroite que celle de la mer et de la plage»1. Précisément, voyant et visible ne parviennent jamais à la fusion, passage de l’un dans l’autre qui anéantirait le voir. Réputer présent l’Autre visible, c’est installer les partenaires de la vision dans un lieu commun, l’ici-maintenant d’où s’élance le regard et l’étendue instantanée qu’il peut couvrir. De droit, cette communauté ne rassemble que des co-existants espacés, dont la simultanéité n’est pas une condition requise. La perception s’accommode d’un paysage heurté qu’elle reconnaît toujours comme son monde actuel. Et, parce qu’il n’est pas possédé, ni même tenu, spectaculairement, dans un alignement panoramique, le visible ne repose pas dans le temps et l’espace, ne s’ordonne pas à eux selon la rigueur de leur essence. C’est plutôt de lui que la vision reçoit une manière inchoative de concevoir un ordre spatio-temporel des choses. «Car le présent visible n’est pas dans le temps et l’espace, ni, bien entendu, hors d’eux : il n’y a rien, avant lui, après lui, autour de lui, qui puisse rivaliser avec sa visibilité. Et pourtant, il n’est pas seul, il n’est pas tout. Exactement : il bouche ma vue, c’est-à-dire à la fois, que le temps et l’espace s’étendent au delà, [73] et qu’ils sont derrière lui, en profondeur, en cachette» [6]. Le présent de la présence visible, absolument prégnant, existe dans l’épaisseur d’une Visibilité élémentaire qui commande le voir. Il n’est pas la mesure du voyant, le point zéro, lieu de coïncidence, à partir duquel le monde glisse dans le non-être. Autrement dit, si la pensée se débrouille bien avec les différentes instances du temps pour les avoir clairement conceptualisées, la perception, pourtant réputée inséparable du Présent, joue de la solidarité confuse des moments. Son actualité doit s’entendre au sens large. Toute manifestation dans le champ visuel joint les proches et les lointains, et l’horizon   qui les borne provisoirement. Ainsi en est-il de l’entrée en présence de chaque visible. Sans doute faut-il qu’un maintenant du monde perçu oriente le regard vers son vis-à-vis. Mais déjà la chose vue déborde, gagne ses propres entours, quitte l’ordre de la pure simultanéité, s’enfouit dans l’épaisseur temporelle du paysage. La vision, aspirée, ne garde pas longtemps l’initiative ponctuelle par laquelle elle s’assure de l’absolue contemporanéité du spectacle. Pour n’être nullement spectaculaire, précisément, mais visible, le réel ne se déploie pas selon l’ordonnance de l’esprit. On a souvent cm que la photographie, née de la géométrie et de l’objectivité instrumentale, éliminerait les incohérences du sensible. C’était imaginer que par la grâce d’une machine à voir se réaliserait enfin la pure contemplation. L’âge théorique était venu, où les choses se montreraient telles qu’elles sont, avant l’emprise subjective de l’œil vivant. Et voilà que l’image mécanique, intarissable, reprend à son compte, sans nous, les manières ordinaires de la prodigalité visuelle. On attendait une épure de l’intelligible, mais le monde embarrassé qui vint au jour se ressemblait au point de faire oublier ses manques : le mouvement, les couleurs, les volumes. [74] Mieux encore, la photographie convertissait les déficits : fixité, superficialité, en une expressivité réaliste. L’instant immobilisé devenait la pointe vive de la présence. Deux dimensions, plates, exaltaient la troisième. L’arbitraire du cadrage ouvrait l’horizon. Rien d’une puissance intellectuelle, ni d’une infirmité sensible. L’expérience photographique n’était qu’une banale redite de la cosmophanie naturelle. Nos yeux y avaient accès à un monde complet et non à quelques fragments inertes et brisés.

Il y a le monde. Et le monde qu’il y a offre la sourde présence d’un champ indéfini. Le monde où je suis assuré d’être, d’avoir vu le jour, d’occuper un espace et un temps finis, d’œuvrer parmi les choses et les autres, n’a pas d’abord l’allure composée d’un paysage panoramique. L’horizon qui enveloppe et ferme, à la fois, les objets présents promet, visiblement, d’inépuisables ressources, actuellement insaisissables. L’horizon. Justement, il ne se dérobe pas à la vue. Abstraitement, il trace la limite d’un territoire de vision. Mais il n’exerce qu’à peine la fonction d’un arrêt. Le regard ne vient pas buter contre ce rebord linéaire de son champ d’action. La vue active ressent une inhibition douce et momentanée. Parfois même, la vision met le guet à ses frontières et fixant la ligne, se tend vers les possibles. Le volontarisme de la pré-vision enfreint cette règle tacite par laquelle le voyant consent d’emblée au visible, s’adonne, sans réticence, à le reconnaître. Le guetteur, il est vrai, vit une situation   de théâtre. Les sens se tournent résolument vers l’à-venir. Bien plus que la limite d’une étendue, l’horizon est ici la bordure du présent. En la scrutant, la vue prévoyante pointe vers l’aurore des choses nouvelles. Mais l’événement dramatique et spectaculaire que vise cette pré-vision n’est nullement extraordinaire. La perception ici sait s’attendre à quelque chose, parce que d’ordinaire, elle doit s’attendre à tout. La prévoyance, de manière très restrictive, anticipe [75] quelques vues bien définies, à craindre ou à espérer. Tant le voir, incisif et tendu, qui sollicite la ligne d’horizon, que la forme passive d’une perception visuelle ouverte à la profusion incontrôlée du monde, fréquentent les parages de l’invisible, les franges du paysage objectif qu’ils puisent à cette densité d’être brut qu’il y a. Le champ se définit par l’obscur, l’inaccessible qui le borne. Mais le visible excède largement cette totalité close et inventoriable. Cela, parce qu’une connivence de profondeur unit le corps voyant aux choses vues, apparemment comprises dans le champ. Voir c’est plonger dans l’épaisseur du monde. Monde signifie beaucoup plus que champ. Et d’abord, cette dimension par laquelle communiquent souterrainement les objets visibles. Dimension, dont on avait pensé bien légèrement qu’elle n’était que la troisième, qui préserve essentiellement la doublure d’invisibilité en son mystère et soutient la cohérence apparente des surfaces. Qu’il faille incorporer l’invisible au visible et non se contenter de l’expulser hors-monde, là où il n’y a pas quelque chose, du côté du pur rien, de l’absence, de la mort, c’est, on le sait, l’idée de Merleau-Ponty. «L’invisible est là sans être objet, c’est la transcendance pure sans masque ontique» [7].


[PONTREMOLI, Edouard. L’excès du visible. Une approche phénoménologique de la photogénie. Grenoble: Jérome Millon, 1996]


[1«Rhétorique de l’image», Communications, n° 4, 1964, p. 47.

[2La Chambre claire, p. 155-156.

[3«Le constatatif de la Photographie porte, non sur l’objet, mais sur le temps», p. 138-139.

[4Jacques Derrida, revue Poétique, n° 47, février 1981, p. 283.

[5Le Visible et l’invisible, Gallimard, 1964, p.173.

[6Ibidem, p. 152.

[7Le Visible et l’Invisible, p. 282-283.