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Fédier (2012:19-21) – Über den Humanismus [GA9]

Carta sobre o humanismo

segunda-feira 29 de maio de 2023, por Cardoso de Castro

Le titre allemand de la lettre à Jean Beaufret   est simplement Über den Humanismus  . Le mot Brief n’apparaît pas en allemand. Cela ne change rien au fait que ce texte soit parvenu à Jean Beaufret sous forme de lettre, c’est-à-dire avec une indication de lieu et de date et un intitulé classique. Mais la suppression du mot « lettre » – avant « sur l’humanisme » – permet de faire attention à la préposition über.

Über + accusatif a plusieurs acceptions possibles. D’abord bien sûr le sens du latin de (De Deo quod existât : De Dieu, qu’il existe) [1]. La traduction du titre par De l’humanisme est donc bien grammaticalement possible, ce qui justifie le titre de notre traduction. Mais il y a deux autres possibilités offertes par über + accusatif:

a) über au sens de en passant par» [en passant par la Lorraine], avec la nuance «en en passant par [2]»: sens de via ;

b) en allant au-delà de » [avec l’idée de dépassement] – c’est dans ce sens que Nietzsche   emploie l’expression de surhomme », Übermensch   : sens de trans.

C’est à cause du sens a) qu’on peut avoir le sens b). L’homme est l’être qui doit être plus homme que ce qu’il est, qui doit aller au-delà de l’homme, au sens où l’humain demande à être dépassé, parce qu’il n’est pas encore assez humain. C’est ce que dit le titre : Humain, trop humain (Menschlich  , allzu menschlich : en allemand on distingue Menschheit, l’humanité, et Menschlichkeit, la qualité humaine). La formulation du titre de Nietzsche souligne un défaut, une défaillance. Pour lui, il vaut beaucoup mieux être inhumain qu’«humain trop humain». C’est la formule [20] nietzschéenne pour la médiocrité humaine, qui se satisfait du train-train et qu’il faut dépasser (le mépris est une vertu chez Nietzsche). Devant tout ce qui est «humain trop humain», les bras vous en tombent. Nietzsche est devenu fou de le voir (dans ses souvenirs, Nadar raconte qu’à la fin de sa vie Baudelaire ne pouvait plus dire que le début d’un juron : « crénom ! »). Pour que cesse cette médiocrité, il faut le surhomme – un dépassement ou plutôt un surmontement : quand on dépasse en voiture, est-ce qu’on surmonte quoi que ce soit? Il faut «passer outre», ce qui équivaut à passer la mesure, la limite. Mais devenir autre chose que « trop humain », est-ce que ce n’est pas risquer d’aller vers l’inhumain horrible ? Napoléon aurait dit, voyant le nombre énorme de ses propres soldats tués lors de la bataille d’Eylau, une des batailles les plus difficiles du début de la fin : « une nuit de Paris me refera tout cela ». Disant cela, il passe les bornes – mais pas au sens du surhomme de Nietzsche.

De sorte que ce titre est d’emblée extraordinairement problématique. Sans vouloir dès à présent faire le tour de cette problématicité, disons au moins ceci : dans cette lettre il va s’agir de se faire une idée de ce qu’est l’humanisme – pour cela il sera indispensable de faire l’expérience de son sens – éventuellement pour aller au-delà de l’humanisme [3].

Ici la question brûlante est évidemment : pourquoi faut-il aller au-delà de l’humanisme? Réponse: parce que l’humanisme est hors d’état de prendre la mesure véritable de ce qu’est un être humain.

Pour savoir ce qu’est un être humain, il faut donc abandonner l’humanisme. « Si l’on pense contre l’humanisme, c’est parce que l’humanisme ne pense pas assez haut l’humanitas de l’homme» (Lettre sur l’humanisme, p. 71 [75]). Le passage d’Être et Temps (p. 293) cité par Beaufret   interroge sur les rapports entre être humain et rapport à l’être. [Suite lors du cours suivant (sur la notion de démonstration) : L’humanisme est une détermination trop étroite. L’être [21] humain est un être qui par essence n’a pas sa mesure en lui. Sur un parapluie on peut voir l’essence du parapluie, mais avec l’homme, ce n’est pas aussi simple. Or l’humanisme est la doctrine selon laquelle l’homme est la mesure de toutes choses. Quand Beaufret demande « Comment redonner un sens au mot “Humanisme”?», Heidegger répond: «En donnant à l’homme une autre mesure que lui-même. » Il faut en effet que l’unité de mesure soit différente de ce que l’on mesure, sans quoi il n’y a pas de mesure. La mesure de l’être humain est un rapport non à l’autre homme mais au tout-autre : à l’être. L’être humain est l’étant qui ek-siste, qui est hors de lui pour être. L’homme est le seul étant en rapport avec les autres étants. Le langage ne consiste pas à utiliser des étiquettes, mais à faire apparaître ce dont on parle. Or on ne peut faire apparaître que ce qui est.]


Ver online : François Fédier


[1Comme dans De cive, De amicitiâ, etc. Le a long de amicitiâ est le signe de l’ablatif en latin. Le a court est celui du nominatif: rosa. Mais «il y a un puceron dans la rose », c’est rosâ, avec un a long.

[2Voire au sens de “se le farcir”. En allemand über Rouen signifie: en passant par Rouen.

[3Sur : de quoi on va parler / via : comment on va en parler / au-delà : pourquoi.