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Didier Franck (1998:377-380) – orgânico e inorgânico

sexta-feira 12 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

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[…] partamos da distinção entre o orgânico e o inorgânico. Qual é a diferença entre eles, uma vez que existe apenas um tipo de força? Há mais seres inorgânicos no mundo do que orgânicos, e a diferença entre o vivo e o não vivo é exclusivamente quantitativa? Em A Gaia Ciência, Nietzsche   adverte: "Não se deve dizer que a morte se opõe à vida. O vivo é apenas um modo do que está morto, e um modo muito raro.   Isto para sublinhar a raridade quantitativa do orgânico em relação ao inorgânico, e que a diferença entre um e outro não reside na natureza das forças constituintes: "O inorgânico condiciona-nos absolutamente: água, ar, solo, forma do solo, eletricidade, etc. Somos plantas nessas condições, e temos de viver nelas. Somos plantas nestas condições".   Note-se, de passagem, que a relação entre o orgânico e o inorgânico não é a única razão pela qual Nietzsche fala frequentemente do "homem planta" ou descreve o filósofo como uma "planta rara". O homem pode ser considerado uma planta porque a sua relação com o mundo se assemelha à da planta. Ambas pressupõem equiparação. Para a planta", diz Nietzsche, "todas as coisas estão normalmente em repouso, eternamente, cada coisa é igual a si própria. Desde o período dos organismos inferiores, o homem herdou a crença de que há coisas iguais (só a experiência elaborada pela mais alta ciência contradiz esta proposição)." 

original

[…] procédons depuis la distinction entre l’organique et l’inorganique. Qu’est-ce qui les différencie dès lors qu’il n’y a, rappelons-le, qu’une seule sorte de force ? Le monde compte-t-il plus d’êtres inorganiques qu’il n’en compte d’organiques, et la différence entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas serait-elle exclusivement quantitative ? Dans Le gai savoir, Nietzsche prévenait : « Gardons-nous de dire que la mort serait opposée à la vie. Le vivant n’est qu’un mode de ce qui est mort, et un mode très rare. »   C’est souligner la rareté quantitative de l’organique relativement à l’inorganique, et que la différence entre l’un et l’autre ne tient pas à la nature des forces constituantes : « L’inorganique nous conditionne absolument : eau, air, sol, forme du sol, électricité, etc. Nous sommes des plantes dans de telles conditions. »   Notons au passage que la relation de l’organique à l’inorganique n’est pas la seule raison pour laquelle Nietzsche parle fréquemment de « la plante homme » ou qualifie le philosophe de « plante rare »  . L’homme peut être tenu pour une plante parce que son rapport au monde ressemble à celui de la plante. L’un et l’autre supposent l’égalisation. « Pour la plante, dit Nietzsche, toutes les choses sont habituellement au repos, éternellement, chaque chose est égale à elle-même. De la période des organismes inférieurs, l’homme a hérité la croyance qu’il y a des choses égales (seule l’expérience élaborée par la plus haute science contredit cette proposition). » 

Mais si le vivant surgit du mort, si l’organique provient de l’inorganique, il n’en demeure pas moins que l’inorganique revient toujours à l’organique. Dans une note de très peu antérieure au surgissement de la pensée des pensées et qui l’annonce   pour être inintelligible sans elle, Nietzsche écrivait en effet : « Notre monde entier est la cendre d’innombrables êtres vivants : et aussi rare que soit le vivant en comparaison du tout, il demeure que tout a déjà été une fois converti en vie, et ainsi de suite. Supposons une durée éternelle, par conséquent un changement éternel de matière – »   Comment comprendre ? Dans un temps infini, le quantum fini des forces inorganiques ne peut manquer de donner lieu à une infinité de corps organiques, puisque la conjonction aléatoire des forces inorganiques nécessaires à la formation de tels corps se produira un nombre infini de fois. Il est donc tout aussi légitime d’affirmer que, dans l’état présent du monde, la vie est l’exception et le vivant un mode de ce qui est mort, qu’il est légitime de soutenir, à l’inverse, le caractère cinéraire de ce qui est mort car, en raison de l’éternel retour constitutif du présent état du monde, tout ce qui est inorganique a nécessairement déjà été une fois, et donc une infinité de fois, organique. Partant, il n’y a aucune contradiction à tenir l’organique pour un mode de l’inorganique et, simultanément, l’inorganique pour la cendre de l’organique, aucune contradiction à affirmer simultanément la priorité du mort sur le vivant et du vivant sur le mort, dès lors qu’il est tenu compte de l’éternel retour  .

La différence entre organique et inorganique n’est donc pas fondamentalement quantitative. Recoupe-t-elle alors la différence entre ce qui est éternel et ce qui ne l’est pas ? Mais que notre monde présent soit la cendre morte d’innombrables êtres vivants signifie, compte toujours tenu de l’éternel retour, que la vie organique elle-même n’a, à proprement parler, jamais commencé – « je ne vois pas pourquoi l’organique en général aurait dû naître »   – et par conséquent qu’il y a toujours eu des êtres organiques. « Le puissant principe organique m’en impose pour la facilité avec laquelle il s’incorpore la matière inorganique », confie Nietzsche avant d’ajouter : « Je ne sais comment expliquer cette finalité par la seule intensification. Je croirais plutôt qu’il y a éternellement eu des êtres organiques. – »   L’organique et l’inorganique sont donc aussi éternels l’un que l’autre.

Où réside alors leur différence ? De l’éternel retour, et du principe selon lequel l’organique n’est qu’un cas particulier de l’inorganique, Nietzsche tire la conséquence suivante : « La matière inorganique, quoiqu’elle ait été le plus souvent organique, n’a rien appris, est toujours sans passé ! S’il en était autrement, il ne pourrait jamais y avoir de répétition – car, à partir de la matière, quelque chose naîtrait toujours avec de nouvelles qualités, avec un nouveau passé. »   La répétition qui assure la constance du monde et des corps qui y vivent suppose donc, comme sa condition de possibilité, que les forces inorganiques soient essentiellement dépourvues de passé et de mémoire. Si tel n’était pas le cas, les combinaisons organiques auxquelles ces forces donnent lieu ne pourraient jamais revenir à l’identique, et l’éternel retour serait purement et simplement impossible. « Tout corps », disait déjà Leibniz   à propos des corps physiques, c’est-à-dire inorganiques, « est un esprit momentané ou privé de mémoire. »   Si les forces inorganiques avaient une mémoire, la constance du monde et des corps ne serait pas assurée. Mais que les forces inorganiques soient radicalement amnésiques signifie, en retour, que la mémoire distingue l’organique de l’inorganique. « Tout l’organique se différencie de l’inorganique par le fait qu’il collecte des expériences : et que dans son processus   il n’est jamais égal à lui-même. – Pour comprendre l’essence de l’organique, il ne faut pas en tenir la plus petite forme pour la plus primitive : au contraire, chacune des plus petites cellules est MAINTENANT héritière de tout le passé organique. »   Moins d’un an plus tard, et plus nettement, Nietzsche fera de la mémoire l’essence même de l’organique, que ce soit en déclarant : « Je présuppose de la mémoire et une sorte d’esprit chez tout être organique », ou en s’interrogeant sur les conditions de possibilité de la mémoire aussitôt après avoir noté que « la naissance de la mémoire est le problème de l’organique »  .


Ver online : Didier Franck


FRANCK, Didier. Nietzsche et l’ombre de Dieu. Paris: PUF, 1998.