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Zarader (2001:13-16) – horizonte e mundo

quarta-feira 17 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

destaque

[…] Viver é viver num mundo, numa linguagem, num sentido. Quer este sentido seja ou não tematizado, quer este mundo seja ou não objeto de uma apreensão explícita, ambos estão sempre pressupostos em cada objetivo de conhecimento, implícitos em cada palavra — em suma, estão sempre presentes ao mesmo tempo que o ato de existir. O filósofo pode interrogar-se sobre a origem do sentido ou sobre as condições de constituição do mundo, mas tudo o que está a fazer é olhar reflexivamente para o que já lhe é dado e cuja coerência e familiaridade fundamental não pode quebrar, exceto como hipótese teórica. Esta condição prévia a qualquer tematização pode, aliás, ser tematizada por sua vez, e o tem sido sob o nome de horizonte na obra de Husserl  , sob o nome de mundo na obra de Heidegger.

Original

[…] Vivre, c’est vivre dans un monde, dans du langage, dans du sens. Que ce sens soit ou non thématiquement posé, que ce monde fasse ou non l’objet d’une saisie explicite, l’un et l’autre sont toujours présupposés par toute visée de connaissance, impliqués dans toute parole — bref, toujours déjà là en même temps que l’acte d’exister. Le philosophe peut bien s’interroger sur l’origine du sens ou les conditions de constitution du monde, il ne fait jamais que se retourner réflexivement sur ce qui lui est déjà donné et dont il ne peut briser, sinon à titre d’hypothèse théorique, la cohérence et la foncière familiarité. Ce préalable à toute thématisation peut d’ailleurs être thématisé à son tour, et il l’a été sous le nom d’horizon chez Husserl  , sous celui de monde chez Heidegger, De cette familiarité première et toujours signifiante avec le monde, on ne saurait contester l’évidence.

Pourtant, une autre évidence vient brouiller — au moins par instants — la clarté de ce premier tableau. S’il est indéniable que je suis toujours déjà pris dans le sens (au point que l’affirmation même du non-sens ne serait encore qu’une option de sens parmi d’autres), il reste que je puis faire aussi, paradoxalement, une tout autre expérience : en elle, le monde se défait, le langage s’interrompt, le sens est aboli. Non qu’il se retourne en son contraire (lequel serait alors qualifiable) : c’est le registre même précédemment reconnu comme toujours-là qui se trouve suspendu. Expérience que nous disons parfois « limite » ou « extrême », et ce dire est significatif : n’ayant pas de mots pour elle, ni d’affects disponibles — rien qui puisse permettre de la réinsérer —, nous la désignons négativement par son irréductibilité à ce qu’on nomme habituellement expérience.

De fait, c’est bien en ce registre d’exception qu’elle se présente à la conscience. Aussitôt surgie, elle rompt la trame (et les métaphores Ici ne manquent pas : la trame d’une vie, le tissu de l’existence, le fil du temps…). Elle n’est à vrai dire que cela : rupture, syncope, interruption explosive où ce qui était jusqu’alors pressenti comme une continuité se déchire brutalement. Ne reste que cette irruption singulière, dont je ne peux rien dire ni rien faire. Tout se passe alors comme si je rencontrais quelque chose qui échappe aux conditions habituelles de la rencontre, ou comme si l’événement s’impose soudain à moi excédait mes conditions habituelles d’accueil ou de réceptivité. Evénement inintégrable, ouverture sur un abîme, apparition d’un absolu.

On dira que cet absolu prétendu est tout relatif, qu’il s’agit là de mésaventures psychologiques dont le philosophe aura tôt fait de contester le caractère irréductible, pour en réinscrire la possibilité dans l’ordre du monde. Assurément, une telle réduction peut être effectuée après coup, sans doute est-il même inévitable quelle le soit. Mais c’est que l’après-coup ria pas d’autre sens : il est la reprise, dans le fil [15] du temps, du coup singulier, sa ré-inscription — c’est-à-dire aussi, dans le présent cas, l’abandon pur et simple de ce qui faisait sa spécificité. L’évidence qui nous avait saisis n’est pas dénoncée, elle est plutôt étrangement oubliée ou contournée, comme si elle appartenait à un autre ordre. Un ordre qui s’imposa un jour à nous, illumina toute chose de son impitoyable lumière, puis se retira. Alors la vie, comme on dit, reprend ses droits. Ce qui signifie qu’elle retourne à son cours antérieur, tel un fleuve retrouvant son lit, en faisant comme si rien, Ou presque, ne s’était passé. Pourtant, quelque chose eut lieu : l’espace d’un instant, tout apparut de façon radicalement autre. Si l’on veut faire droit à cet événement, il convient de s’en tenir au pur vécu de ce qui se donne au moment de l’expérience, sans en outrepasser les bornes. Or ce vécu se donne comme essentiellement hétérogène au temps, étranger au monde, réfractaire au langage — bref, comme excès radical.

De cet excès, on pourrait sans doute pointer les lieux d’apparition, qui constituent autant de « trouées » dans les registres de sens les mieux assurés. Défiant toute nomination, il met en échec le langage ; faisant irruption dans une existence individuelle impuissante à l’intégrer, il ébranle les pouvoirs supposés du sujet ; surgissant comme un scandale dans la dimension collective, il ne s’intégre plus à lhistoire; vouant la littérature à la dispersion et à une fragmentation sans remède, il fait éclater les limites du récit. On pourrait multiplier les exemples. Par-delà ses différentes incarnations possibles, ce qui importe est la rencontre d’un événement dont la conscience fait « l’expérience » — mais une expérience éminemment paradoxale, puisqu’elle semble aller à l’encontre des conditions mêmes de toute expérience. Sans préjuger de la charge d’illusion (ou de vérité) dont elle pourrait être reconnue porteuse, il reste que cette expérience est vécue, elle peut l’être par chacun de nous, elle l’a été, de fait, par la plupart d’entre nous. Que, le plus [16] souvent, nous nous en détournions aussitôt après note rien à son incontestable « universalité ». Il appartient à la nature même de notre commerce avec le monde de pouvoir se déchirer et de laisser entrevoir un autre règne, innommable. L’horreur qui en découle, l’égarement dans lequel nous sommes jetés constitue l’un des traits, toujours possible, de l’existence. À ce titre, l’expérience-limite mérite d’être questionnée, c’est-à-dire prise au sérieux philosophiquement.


Ver online : MARLÈNE ZARADER


ZARADER, Marlène. L’être et le neutre. À partir de Maurice Blanchot. Lagrasse: Verdier, 2001.