destaque
Não parece que o Outro, segundo Levinas , possa ter um significado único e unívoco. Será o Outro apenas uma questão de conceptualidade? Poder-se-á dizer que ele "é", uma vez que se situa "aquém ou além do ser"? O Outro designa simultaneamente: — uma universalidade abstrata, o Outro, concebido como "o absolutamente Outro"; — dimensões pré-reflexivas ou não representáveis da subjetividade: a passividade, o infinito; — o "Estrangeiro" que é por vezes o primeiro a chegar, um estranho, por vezes o vizinho, tal e tal como eu conheço; — e finalmente, a particularidade do Rosto onde um Outro completamente singular se apresenta na proximidade de um encontro face a face que é ao mesmo tempo "altura", distância intransponível. O Outro indica apenas a alteridade transcendente do Todo Outro, porque o Outro não é Deus, mas o lugar da relação com Deus, "a manifestação da altura onde Deus se revela". A altura do Outro seria o equivalente ao Sagrado heideggeriano, mas só metaforicamente se pode chamar-lhe lugar. Porque o Outro, como veremos, é um não-lugar, um fora de lugar. Poderá uma "ética" (ethos significa "habitação" ou "moral") ser implantada fora de qualquer lugar, fora de qualquer reciprocidade positiva e fora de qualquer objetivação? Deixemos a questão em aberto. — Em todo o caso, esta polissemia do Outro torna problemática a definição dada à subjetividade: "é o Outro no Mesmo". De que sentido do Outro estamos aqui a falar? Para Levinas , não é necessário dizer: "Eu é um outro", mas o Outro está "em" mim, "antes" de mim. O Outro é o verdadeiro Sujeito, o Eu absoluto, ao passo que o Ego pertenceria à esfera superficial da consciência, ela própria presa à manutenção da mesmidade do "ser". Mas que Outro é esse que determina originariamente o sujeito como Eu? Se o Eu é o absolutamente Outro, haverá necessariamente uma clivagem entre o Ego e o Eu, uma clivagem que, se absoluta, conduziria a uma cisão do sujeito. Mas se o Outro está no Mesmo, eles devem encontrar-se! Não será então o sujeito o resultado da dialética interna do Mesmo e do Outro, uma dialética que pressupõe a relação, o combate e também a mistura? Ora, Levinas mantém a dialética entre os dois grandes gêneros do Sofista, recém-definida a partir de uma inversão do seu sentido platônico, mas também a recusa, voltando a uma verdadeira cisão parmenideana: "O Mesmo e o Outro estão em relação e absolvem-se dessa relação, permanecendo absolutamente separados".
original
Il ne semble pas que l’Autre, selon Levinas , puisse recevoir une acception unique et univoque. L’Autre relève-t-il seulement de la conceptualité ? Peut-on dire qu’il « est », puisqu’il se situe « en deçà ou au-delà de l’être » [1] ? L’Autre désigne en effet simultanément : — une universalité abstraite, Autrui, conçu comme « l’absolument Autre » ; — des dimensions préréflexives ou non représentables de la subjectivité : la passivité, l’infini ; — l’« Étranger » qui est tantôt le premier venu, un inconnu, tantôt le prochain, tel ou tel que je connais ; — et enfin, la particularité du Visage où un autre tout à fait singulier se présente dans la proximité d’un face à face qui est en même temps « hauteur », distance infranchissable. L’Autre ne fait qu’indiquer l’altérité transcendante du Tout Autre, car Autrui n’est pas Dieu, mais le lieu du rapport avec Dieu, « la manifestation de la hauteur où Dieu se révèle » [2]. La hauteur de l’Autre serait l’équivalent du Sacré heideggérien, mais il ne peut être appelé un lieu que métaphoriquement. Car l’Autre, on le verra, est non-lieu, hors lieu. Une « éthique » (ethos veut dire « séjour » ou « mœurs ») [67] peut-elle se déployer hors de tout site, hors de toute réciprocité positive, et de toute objectivation ? Laissons la question en suspens. — En tout cas, cette polysémie de l’Autre rend problématique la définition qui est donnée de la subjectivité : « c’est l’Autre dans le Même » [3]. Car de quel sens de l’Autre s’agit-il ici ? Pour Levinas en effet il ne faut pas dire : «Je est un autre », mais l’Autre est « en » moi, « avant » moi. L’Autre est le vrai Sujet, le Soi absolu, alors que le Moi appartiendrait à la sphère superficielle de la conscience, elle-même attachée à maintenir la mêmeté de l’« être ». Mais quel Autre est celui qui détermine originairement le sujet comme Soi ? Si le Soi est l’absolument Autre, il y aura nécessairement un clivage entre le Moi et le Soi, clivage qui, s’il est absolu, entraînerait un dédoublement du sujet. Pourtant si l’Autre est dans le Même, il faut bien qu’ils se rencontrent ! Le sujet n’est-il pas alors le résultat de la dialectique interne du Même et de l’Autre, dialectique qui suppose rapport, combat, et aussi mélange ? Or, Levinas maintient la dialectique entre les deux grands genres du Sophiste, nouvellement définis à partir d’une inversion de leur sens platonicien, il la refuse également, revenant à une véritable scission parménidienne : « Le Même et l’Autre se tiennent en rapport et s’absolvent de ce rapport, demeurant absolument séparés. » [4].
Cette séparation absolue se révélerait dans l’expérience primordiale, qui précéderait toute conscience et serait irréductible comme l’Autre lui-même à la logique de l’identité, expérience non analysable dans la conceptualité de l’être, l’expérience éthique par excellence de la sujétion radicale et originaire à l’Autre, celle de la passivité qui est décrite en particulier comme nous le verrons à travers les thèmes de l’obsession par autrui et de la proximité.
Mais n’est-il pas contradictoire d’affirmer que l’Autre constitue le Soi et lui est, en même temps, radicalement étranger ? L’inhérence de l’Autre dans le Même peut-elle être à la fois dialectique et non dialectique ? Le caractère non dialectisable de l’Autre en moi, [68] serait son antériorité insondable qui interdit toute véritable réciprocité du Même et de l’Autre, aussi bien que toute identification de cet Autre. De l’Autre en moi, toujours antérieur à toute prise de conscience, on ne pourrait surtout pas dire qui il est ni même qu’il est. Ainsi la « base » du sujet serait un autre anonyme et indéterminable, un « autre que l’être », qui a toujours déjà anticipé, dénoncé, occupé, assiégé la place du moi. Cette antécédence pré-phénoménale de l’Autre dans le Même, l’intériorité comme antériorité, ne ressemble-t-elle pas étrangement, en dépit de la lettre du texte, à la précédence non thématisable de l’être sur l’étant chez Heidegger ?
S’il est vrai que la notion de l’Autre est fondée sur l’assimilation entre autrui comme singulier et comme universel aussi bien que sur l’identification entre l’autre en moi et hors de moi, la notion du Même présuppose, elle, une identité profonde de vues, une sorte de conspiration de la tradition philosophique tout entière pour nier l’Autre comme tel et pour poser ce qui est appelé l’« essance ». L’« essance » serait le terme commun à l’être heideggérien, à 1’eidos platonicien, à la substance spinoziste, au sujet hégélien et à la conscience transcendantale, kantienne ou husserlienne. La notion du Même, polémiquement construite à partir d’une réduction de l’être heideggérien à l’« essance », c’est-à-dire à une présence à soi, englobe toute métaphysique qui ne reconnaît pas la primauté de l’Autre. L’« ontologie » désigne la démarche commune à toute la métaphysique et à Heidegger, commune à toute « la philosophie occidentale » qui est « une réduction de l’Autre au Même » [5]. Pourtant en quelque sens qu’on l’entende et quelle que soit la critique que l’on peut faire de l’abaissement heideggérien du sujet humain, voire de l’intersubjectivité, l’être ne se laisse pas ramener au Même. Il n’est possible de soutenir que l’être « revient au même », fusionne et nivelle tout étant dans le Neutre du il y a, que si l’on tient pour négligeable le jeu de la manifestation et du retrait. Si au contraire l’être est, comme le dit Heidegger, « l’Autre que tout étant », il est lui aussi l’Autre dans le Même ! Pour que l’être soit [69] réductible à l’essence pleine, égale à soi, à la présence pleine, il faut oublier que tout découvrement comporte un recouvrement et que le mouvement corrélatif de se manifester et de se dérober ne dépend pas d’un acte de conscience, mais d’une « essence de la vérité » qui inclut la « non-vérité ». Le geste, réducteur s’il en est, qui consiste à identifier la pensée de l’être et la possession de soi dans la conscience de soi réduit à rien à la fois le retrait de l’être et la différence entre l’être et le sujet : « Le jeu ontologique… est conscience où l’être se perd et se retrouve. » [6] Dire que l’être en tant que « dé-couvert » et « revenant au même » est « retrouvaille » de lui-même, « re-présentation », c’est-à-dire continuel « recommencement du présent », pure « réminiscence », « unité de la conscience et de l’essence » [7], constitue un étrange télescopage de Platon , Husserl et Heidegger, une sorte de nivellement ou de philosophie pérenne fictive, qui implique dans l’identification forcée une dénégation de ce que chacune de ces philosophies a de spécifique et d’irréductible.
Plus gravement, la polémique contre l’être tombe franchement dans le manichéisme, lorsque l’être (qui est pourtant accusé par ailleurs d’être le Neutre, l’indifférence, l’égalisation) se trouve désigné comme le principe de la guerre, alors que l’Autre, qui pourtant déchire absolument la totalité, serait le principe de la paix. Le Même serait l’« intérêt », au sens où esse impliquerait interesse, le déchaînement des intérêts particuliers, bellum omnium contre omnes ; l’Autre, au contraire, serait par essence le dés-intéressement, la bonté au-delà de l’égoïsme et de la jalousie de l’être, qui ne pense qu’à soi et persévère obstinément à préserver son propre. Le désir de l’Autre serait le désir du Bien ; la complaisance dans le Même, la jouissance, serait la source du Mal. Pourtant le sujet toujours arraché à lui-même par l’Autre en lui devrait être, « ontologiquement » si l’on ose dire, incapable de s’obstiner dans le Mal ! « Esse est interesse… L’intéressement de l’être se dramatise dans les [70] égoïsmes en lutte, tous contre tous… La guerre est le geste ou le drame de l’intéressement de l’essence. Aucun étant ne peut attendre son heure. » [8] Affirmation qui néglige l’analyse heideggénenne de « la Parole d’Anaximandre » pour laquelle chaque étant doit se soumettre à l’étroitesse de son « séjour » (Weile), de son laps de temps, en dépit de sa répugnance à quitter la scène. Que l’être soit essentiellement guerrier, belliqueux, cela implique aussi qu’on tienne pour milles et non pertinentes toutes les analyses du logos comme rassemblement, collecte, harmonie, connexion originaire, sans lesquels il ne saurait y avoir ni guerre ni paix.
En remontant en deçà du moi comme trop ontique (« l’en deçà ou l’au-delà de l’être — ce n’est pas un étant ») [9] vers un Soi qui se cache, vers un Soi conçu comme l’antécédence préphénoménale de l’Autre dans le Même, en montrant que le rapport entre le Moi et le Soi est un rapport d’oubli, oubli d’une « sujétion » archi-ancienne, Lévinas ne répète-t-il pas, au sein de la subjectivité, le rapport entre l’étant et l’être ? Le rapport entre le Même et l’Autre, leur intrication, ne ressemble-t-elle pas étrangement au rapport d’identité « absolue » et de différence « absolue » (pourrait-on dire si Heidegger ne refusait pas d’avance la connotation métaphysique elle-même ontique de l’« ab-solu », du séparé) entre l’étant et l’être ?
Pourtant l’Autre est plus étroitement proche et présent au Même que l’être à l’étant. Il a un mode de présence insistante, que l’être n’a pas : il est « obsédant ». Mais qu’est-ce que l’« obsession par autrui » ?