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Sein und Zeit

Être et temps : § 35. Le bavardage.

Ser e Tempo

sexta-feira 15 de julho de 2011, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

L’expression « bavardage » ne doit pas être prise ici dans un sens dépréciatif. Elle signifie terminologiquement un phénomène positif qui constitue le mode d’être du comprendre et de l’expliciter du Dasein quotidien. Le parler, la plupart du temps, s’ex-prime et s’est toujours déjà ex-primé. Il est parole. Mais dans l’ex-primé sont alors à chaque fois déjà inclus la compréhension et l’explication. La langue comme être-ex-primé abrite en soi un être-explicité du Dasein. Cet être-explicité est tout aussi peu que la parole sans plus sous-la-main, au contraire son être est lui-même à la mesure du Dasein. Le Dasein, de prime abord et dans certaines limites, lui est constamment remis - il règle et distribue les possibilités du comprendre moyen et de l’affection qui lui appartient. L’être-ex-primé, dans la totalité de ses [168] complexes articulés de signification, préserve un comprendre du monde ouvert et, cooriginairement, de l’être-Là-avec d’autrui et de l’être-à à chaque fois propre. La compréhension déjà déposée ainsi dans l’être-ex-primé concerne aussi bien l’être-découvert de l’étant à chaque fois atteint et transmis que, aussi, la compréhension à chaque fois prise de l’être et les possibilités et horizons disponibles d’une explicitation et d’une articulation conceptuelle renouvelées. Cependant, au-delà de cette simple référence au fait de l’être-explicité du Dasein, il convient de s’enquérir du mode d’être existential du parler ex-primé et s’ex-primant. S’il ne peut être conçu comme sous-la-main, quel est son être, et que nous dit fondamentalement cet être sur le mode d’être quotidien du Dasein ?

Le parler s’ex-primant est communication. La tendance d’être de celle-ci est de faire participer ceux qui écoutent à l’être ouvert pour ce dont le parler parle.

Conformément à la compréhensibilité moyenne qui est déjà incluse dans la langue que l’on parle en s’ex-primant, le parler communiqué peut être dans une large mesure compris sans que l’auditeur se transporte dans un être originairement compréhensif pour le ce-sur-quoi du parler. On comprend moins l’étant dont il est parlé que l’on n’entend seulement déjà le parlé comme tel. C’est celui-ci qui est compris, tandis que le ce-sur-quoi ne l’est qu’approximativement, et au passage ; si on vise la même chose, c’est parce qu’on comprend le dit en commun dans la même médiocrité.

L’entendre et le comprendre s’est d’entrée de jeu attaché au parlé. Loin que la communication « partage » le rapport primaire d’être à l’étant dont il est parlé, l’être-l’un-avec-l’autre se meut dans un parler-l’un-avec-l’autre et une préoccupation pour ce qui est parlé. Et tout ce qui importe à celle-ci, c’est qu’on parle. L’être dit, le dictum, la profération se portent désormais garants de l’authenticité et de l’adéquation du parler et de la compréhension. Et comme le parler a perdu, ou qu’il n’a jamais trouvé son rapport primaire à l’étant dont il parle, il ne se communique pas selon la guise d’une appropriation originaire de cet étant, mais sur le mode de la relation et de la re-dite. Le parler comme tel s’étend à des cercles plus larges, et il revêt un caractère d’autorité. La chose est ainsi, parce qu’on le dit.

Dans cette re-dite et cette relation où le défaut de solidité [du parler] se radicalise en une complète absence de sol, se constitue le bavardage. D’ailleurs, il ne demeure pas restreint à la [169] re-dite orale, mais il se diffuse dans l’écrit en tant que « littérature ». La re-dite, ici, ne se fonde pas tant dans un ouï-dire qu’elle ne se repaît de ce qu’elle lit, c’est-à-dire récolte. La compréhension moyenne du lecteur ne pourra jamais décider ce qui est puisé et conquis à la source et ce qui est re-dit. Plus encore, la compréhension moyenne ne voudra même pas, n’aura même pas besoin d’une telle décision, puisqu’elle comprend tout.

L’absence de sol du bavardage ne lui barre pas l’accès à la publicité, mais au contraire la favorise. Le bavardage est la possibilité de tout comprendre sans appropriation préalable de la chose. D’emblée, il préserve du danger d’échouer dans une telle appropriation. Le bavardage, que tout un chacun peut saisir au vol, ne délie pas seulement de la tâche d’un comprendre véritable, mais encore il configure une compréhensivité indifférente à laquelle plus rien n’est fermé.

Le parler, qui appartient à la constitution d’être essentielle du Dasein et co-constitue son ouverture, a la possibilité de devenir bavardage, et, comme tel, de ne point tant tenir l’être-au-monde ouvert en une compréhension articulée que de le refermer, et de recouvrir l’étant intramondain. Pour cela, il n’est pas besoin d’une intention de tromper. Le bavardage, en son mode d’être, n’est nullement volonté consciente de faire passer quelque chose pour quelque chose. L’être-dit et l’être-rapporté dépourvus de fondement suffisent pour que l’ouvrir se pervertisse en un refermer. Car le dit est toujours de prime abord compris comme « disant », c’est-à-dire comme découvrant. Ainsi, en vertu de son omission propre de tout retour vers le sol de ce dont il est parlé, le bavardage est nativement une fermeture.

Fermeture encore aggravée par le fait que le bavardage, où soi-disant est atteinte la compréhension de ce dont il est parlé, retient, et même réprime et retarde de façon spécifique, sur la base de ce « soi-disant », tout questionnement et tout débat nouveaux.

Dans le Dasein, cet être-explicité du bavardage s’est à chaque fois déjà fixé. Il y a beaucoup de choses que nous apprenons d’abord de cette manière, et il y en a tout autant qui ne dépassent jamais une telle compréhension médiocre. À cet être-explicité où le Dasein est de prime abord engagé, jamais il ne peut se soustraire. C’est en lui, à partir de lui, contre lui que s’accomplit tout comprendre, tout expliciter, tout communiquer, toute redécouverte, toute réappropriation véritables. Jamais un Dasein n’est placé en soi, indemne de tout contact et de toute séduction de cet être-explicité, devant la terre vierge d’un « monde » pour regarder simplement ce qui y fait encontre. La souveraineté de l’être-explicité public a même déjà [170] décidé des possibilités de l’être-intoné, c’est-à-dire du mode fondamental en lequel le Dasein se laisse aborder par le monde. Le On prédessine l’affection, il détermine ce que l’on « voit », et comment.

Le bavardage, qui referme selon la guise qu’on a caractérisée, est le mode d’être de la compréhension déracinée du Dasein. Pourtant, il ne survient point comme un état sous-la-main d’un étant sous-la-main, mais il est lui-même existentialement déraciné selon la guise d’un déracinement constant. Ontologiquement : le Dasein qui se tient dans le bavardage est coupé, en tant qu’être-au-monde, des rapports d’être primaires et originaires au monde, à l’être-Là-avec, à l’être-à lui-même. Il se tient dans un suspens, et, en cette guise, il est pourtant toujours auprès du « monde », avec les autres et pour lui-même. Seul un étant dont l’ouverture est constituée par le bavardage affecté et compréhensif, autrement dit qui est en cette constitution ontologique son Là, le « au-monde », a la possibilité d’être d’un tel déracinement, lequel constitue moins un non-être du Dasein que sa « réalité » la plus quotidienne et la plus tenace.

Toutefois l’« évidence » et l’« assurance » de l’être-explicité médiocre implique que, sous sa protection, l’étrang(èr)eté du suspens où le Dasein est entraîné vers une absence croissante de sol demeure à chaque fois en retrait pour ce Dasein même.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]