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Le théâtre des philosophes

Taminiaux (1995b:202-205) – deinon

La tragédie, l’être, l’action

quarta-feira 6 de dezembro de 2023, por Cardoso de Castro

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[…] Heidegger traduz deinon   por Unheimliche, palavra que em Sein und Zeit   designava o fenômeno primordial revelado pela angústia, a saber, que ontológica e existencialmente o Dasein   está no mundo, não no modo como se habita uma morada familiar, mas no modo do "não estar em casa" (SZ §40). Ao afirmar desde o início que, na multiplicidade do deinon, nada é mais deinon do que o homem, o poema [Antigona] anuncia, de acordo com Heidegger, que a sua característica dominante é a inquietante estranheza (Unheimlichkeit  ) do Dasein, o seu desenraizamento ontológico da tranquilidade familiar de uma habitação quotidiana. Dizer "nada é mais deinon do que o homem" significa isto: ser mais unheimlich é o traço fundamental da essência do homem, ao qual os outros traços devem estar sempre relacionados. É neste sentido que a máxima "o homem é o mais unheimlich" dá a verdadeira definição grega do homem. Nesta definição, em que está em causa a essência do Dasein, trata-se, uma vez mais, da tensão entre a relação autêntica com o ser e a mesquinhez da mera aparência. É por isso que Heidegger especifica: "Só alcançamos plenamente o acontecimento da Unheimlichkeit quando experimentamos tanto o poder da aparência como a luta contra ela, na medida em que esta luta pertence essencialmente ao Dasein." (GA40  :116) Heidegger, que não ignora a polissemia da palavra deinon, canaliza assim a sua ambiguidade para esta questão ontológica. "A palavra grega deinon", escreve, "é ambígua, daquela estranha ambiguidade (unheimlich) com que o dizer dos gregos atravessa, em todas as suas dimensões, as disputas de ser tomado nas suas direções opostas." (GA40:114)

original

D’entrée de jeu, l’accent ainsi mis par Heidegger sur la theoria  , entendue comme vue de l’être, le porte à négliger dans sa lecture du chœur [d’Antigone] les échos que celui-ci répercute tant par ses thèmes que par son vocable le plus insistant.

Ce vocable est deinon, étymologiquement apparenté à deos, peur, entendue en un sens moins immédiat et momentané que phobos. A la rubrique deinon, le Greek-English Lexicon d’Oxford aligne trois sens majeurs : 1. effrayant, terrible ; 2. doué d’un pouvoir merveilleux, étrange; 3. ingénieux, adroit. Le deinon peut susciter l’admiration mais aussi l’épouvante ; il surprend pour le meilleur ou pour le pire. Les connotations sémantiques du vocable sont telles que son usage par le chœur, pour qualifier les humains, ne saurait annoncer un éloge dépourvu d’ambiguïté. L’ambiguïté se confirme du fait qu’à plusieurs reprises le mot est mis dans la bouche des protagonistes du drame hors de toute connotation élogieuse. Ainsi le garde qui qualifie de deinon tant l’ensevelissement de Polynice [203] par Antigone (243) que l’entêtement impie de Créon (323). Ainsi Hémon qui attribue à son père, Créon, un omma deinon, un œil terrible (690). Ainsi Créon lui-même lorsque, perdant de sa superbe devant les mises en garde de Térésias, et ébranlé de ce qu’Hémon décide de suivre Antigone dans la mort, il avoue qu’il est deinon de céder mais qu’il l’est tout autant de s’abstenir (1095-7) [1].

Quant aux thèmes qui font le tissu du chœur, ils concernent d’abord la techne   au sens large de savoir-faire : celui du capitaine de vaisseau, de l’agriculteur, du forgeron, du chasseur, du dompteur d’animaux sauvages. Mais ici encore l’évocation de ces thèmes par le chœur, pour illustrer ce qu’a de deinon la condition des mortels, n’est pas dissociable de l’usage qui en est fait dans le reste du drame. Si l’on s’enquiert de la récurrence de ces thèmes dans l’ensemble de la tragédie, on s’aperçoit que les formes de techne invoquées par le chœur sont celles dont Créon s’attribue l’apanage, à la tête de la Cité. C’est lui qui prétend diriger Thèbes comme un capitaine commande son vaisseau contre vents et marées, c’est lui qui se vante de pouvoir dompter Antigone comme un animal rétif, ou la faire plier comme un forgeron ses métaux, c’est lui qui enjoint à Hémon, amoureux d’Antigone, de porter son soc dans un autre sillon. C’est lui qui, d’une manière générale, se pose en technites du politique et des affaires humaines. Compte tenu de ces échos et de l’hubris reprochée à Créon, il est douteux que le vocable deinon ait dans le chœur fonction de célébration. Il y comporte plutôt valeur de mise en garde contre ce qui dans la techne, une fois appliquée aux affaires humaines, risque d’affecter le partage du logos   nécessaire au bios   politikos. Mise en garde contre ce qui, dans pareille techne, se plaçant en position de surplomb par rapport à la polis  , conduit, du même coup, à une condition a-politique qui est celle des dieux (ou des bêtes) mais non celle des mortels.

Rien de tout cela n’a de place dans la lecture heideggerienne. Celle-ci se développe selon trois parcours. Le premier est destiné à faire ressortir « ce qui constitue la pureté (Gediegenheit) interne du poème ». [204] Pureté au sens où cela se dit par exemple de l’or massif, ou d’un métal sans alliage. C’est le vocable deinon qui est censé livrer accès à cette pureté massive. Heidegger traduit deinon par Unheimliche, mot qui dans Sein   und Zeit   désignait le phénomène primordial révélé par l’angoisse, à savoir qu’ontologiquement et existentialement le Dasein est au monde, non pas à la manière dont on habite une demeure familière, mais sur le mode du « ne-pas-être-à-la-maison » (SZ § 40). En posant d’emblée que, dans la multiplicité du deinon, rien n’est plus deinon que l’homme, le poème annonce   donc, selon Heidegger, qu’il a pour dominante l’inquiétante étrangeté (Unheimlichkeit) du Dasein, l’arrachement ontologique de celui-ci à la quiétude familière d’un habitat quotidien. Dire « rien n’est plus deinon que l’homme » signifie ceci : être le plus unheimlich est le trait fondamental de l’essence de l’homme, auquel les autres traits doivent toujours être rapportés. C’est en ce sens que le dict « l’homme est ce qu’il y a de plus unheimlich » donne la véritable définition grecque de l’homme. Dans cette définition, où il y va de l’essence du Dasein, il s’agit donc, une fois de plus, de la tension entre le rapport authentique à l’être et la chéance dans la simple apparence. C’est pourquoi Heidegger précise : « Nous ne parvenons tout à fait à l’événement de l’Unheimlichkeit que lorsque nous faisons l’expérience à la fois de la puissance de l’apparence et du combat avec celle-ci, en tant que ce combat appartient essentiellement au Dasein. » (GA40:116) Heidegger qui n’ignore pas la polysémie du mot deinon en canalise donc l’ambiguïté vers cet enjeu ontologique. « Le mot grec deinon, écrit-il, est ambigu, de cette ambiguïté étrange (unheimlich) avec laquelle le dire des Grecs parcourt, dans toutes leurs dimensions, les différends de l’être pris dans leurs directions opposées. » (GA40:114)

L’ambiguïté du deinon a donc une teneur strictement ontologique. D’un côté, le deinon désigne « l’effrayant au sens du règne surpuissant », et « violent », constitutif de « l’étant en totalité» (GA40:114-115). D’un autre côté, le deinon vise l’être-homme, il signifie le violent conçu comme celui qui emploie la violence, qui non seulement en dispose, mais est « faisant-violence, parce que l’usage de la violence est le trait fondamental non seulement de son faire mais bien de son Dasein » (GA40:115). [205] Dès lors, si l’homme est le deinon par excellence, c’est que, d’une part, en tant qu’il appartient à l’être, il est exposé à la surpuissance qui régit l’étant en totalité, et que, d’autre part, il lui faut exercer une violence pour rassembler ce règne de la surpuissance et le porter à parution (loc. cit.).

C’est en ce point que la thématique de la techne se noue à celle de l’Unheimlichkeit. Outre le deinon, deux autres paroles marquantes du chœur permettent à Heidegger d’introduire cette thématique et de l’associer à l’Unheimlichkeit. Ces deux autres paroles marquantes sont le couple pantoporos aporos et le couple hupsipolis apolis.

Le premier couple figure dans le vers 360 : […] Heidegger traduit : « Partout en route frayant des voies, inexpert sans issue, il arrive au rien. » Aporos n’est donc pas, selon lui, opposé, comme le pensent la plupart des traducteurs, à pantoporos mais lui est apposé, ainsi qu’il ressort du commentaire suivant : « En toutes directions l’homme se crée une voie, il se risque dans tous les domaines de l’étant, de la perdominance surpuissante, et c’est en quoi (hierbei) précisément il est lancé hors de toute voie. Ce n’est que par là que s’ouvre toute l’Unheimlichkeit de celui qui est le plus unheimlich. » (GA40:116) Ici émerge le lien ontologique de la techne à l’Unheimlichkeit. C’est en «se risquant» à «créer» ou «produire » (schaffen  ) des voies au sein de l’étant, et en s’exposant ainsi à la surpuissance de l’être, que le Dasein atteste, dans toute son étrangeté, son absence ontologique de logis.


Ver online : Jacques Taminiaux


TAMINIAUX, J. Le théatre des philosophes: La tragédie, l’être, l’action. Grenoble: J. Millon, 1995.


[1Sur tout ceci cf. les travaux de J.-P. Vernant cités supra et Martha Nussbaum, The Fragility of Goodness, pp. 51-82.