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Taminiaux (1995b:190-192) – ser e aparência

terça-feira 23 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

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Segundo Heidegger, devemos aos primeiros pensadores gregos o fato de terem articulado nos seus escritos, a propósito do ser, três modalidades do polemos   aleteico: ser e devir, ser e aparência, ser e pensamento. É verdade que há uma quarta maneira de situar o ser em relação ao seu outro: a distinção entre ser e dever-ser. Mas esta distinção, adverte Heidegger, num gesto muito hegeliano, não tem nada de grego, é inteiramente moderna e está tão afastada do mundo grego como a moral   está da Sittlichkeit.

original

On doit, selon Heidegger, aux premiers penseurs de la Grèce d’avoir articulé dans leurs écrits, eu égard à l’être, trois modalités du polemos aléthéique : être et devenir, être et apparence, être et penser. Il existe, il est vrai, une quatrième façon de situer l’être par rapport à son autre : c’est la distinction de l’être et du devoir-être. Mais cette distinction, prévient Heidegger, en un geste très hégélien, n’a rien de grec, elle est entièrement moderne et aussi éloignée du monde grec que la moralité est éloignée de la Sittlichkeit.

C’est à propos de la seconde distinction — celle de l’être et de l’apparence — que le cours de 1935 introduit sa première allusion aux tragiques et associe leur verbe à celui des penseurs les plus initiaux. Dans la mouvance des §§ 7, 44 et 68 de Sein und Zeit  , Heidegger s’attache à montrer que l’être et l’apparence ne peuvent se séparer que parce qu’ils s’entre-appartiennent. Si l’on admet que l’apparence, au sens de Schein  , a trois modalités : l’éclat, la parution phénoménale, le semblant, il faut admettre que la seconde modalité fonde les autres. La parution phénoménale fonde la possibilité tant de l’éclat que du pur semblant. Cette parution que les Grecs appelaient phainesthai, loin [191] d’être pour eux opposée à l’être, caractérisait celui-ci à titre essentiel. Pensant l’être comme physis  , ils le pensèrent d’emblée comme apparaître, parution, phénomène. L’être est phénomène, son essence est d’apparaître, de se dévoiler. Comme aletheia   est le nom grec de ce dévoilement, les Grecs pensaient du même coup que « la vérité appartient à l’essence de l’ être » (78 ; 113). A y regarder de près, comme il n’est de pur semblant qu’au titre d’une parution prétendue, il faut dire que le semblant à la fois dérive du phénomène et le déguise ou le recouvre. S’opposent alors le véritable éclat de la parution phénoménale et le faux éclat du semblant. Heidegger prend soin de préciser qu’à cet éclat, ainsi guetté par la possibilité de la chute dans le pur semblant, les Grecs donnaient aussi le nom de doxa  . Dire dokeô, c’est dire : je me montre, je me manifeste, je me mets en lumière. Mais la doxa, au même titre que l’éclat, tantôt parution tantôt semblant, est, elle aussi, guettée par l’équivoque. La doxa, au sens du véritable éclat de la parution, est le rayonnement, la gloire. La doxa, au sens de la dérive et de la chute de cette parution dans le pur semblant, c’est l’opinion.

On ne peut s’empêcher de soupçonner que, sur ce point, un schème platonicien, issu de la République — la caverne — guide secrètement, une fois de plus, la lecture heideggerienne des Présocratiques et en particulier d’Héraclite  , ici évoqué à travers un fragment qui oppose le choix des nobles pour la lumière à la goinfrerie de la multitude (hoi polloi). N’est-ce pas un schème platonicien qui guide cette liste manifestement hiérarchique des sens de la doxa : « 1. La considération en tant que gloire ; 2. Le considérable au sens du simple visage offert par quelque chose ; 3. Le fait d’être considéré comme…, c’est-à-dire d’avoir seulement l’air tel : “l’apparence” comme pur semblant ; 4. L’avis qu’un homme se forme, l’opinion. » (79-80 ; 116) ? N’est-ce pas la démarcation platonicienne entre le rayonnement de l’Idée et les tâtonnements des polloi — la substitution de ce rayonnement au dokei moi plural de l’assemblée des citoyens — qui gouverne, dans l’analyse qui suit, le partage entre une doxa unifiée émanant de la chose même et une doxa plurale réduite à une diversité de points de vue plus ou moins coupés de la chose même : « Doxa est la considération dont jouit quelqu’un, plus généralement, le “considérable” que [192] chaque étant cèle et décèle en son évidence (eidos  , idea  ). Une ville offre un aspect grandiose. Le visage qu’un étant a à soi et qu’il peut seulement ainsi offrir de lui-même, se laisse ensuite saisir diversement à partir de tel ou tel point de vue. La vue qui s’offre devient autre conformément à cette diversité de points de vue. Elle est donc toujours en même temps une vue que nous prenons et formons. Dans l’expérience et la manipulation de l’étant, nous nous formons constamment des vues à partir de son évidence. Souvent cela se produit sans que nous considérions exactement la chose même. Nous arrivons par des chemins quelconques et pour des raisons quelconques à une vue sur la chose. Nous formons une opinion à son sujet. » (79 ; 115) Phénoménologiquement parlant, on voit mal — c’est le cas de le dire — la pertinence de cette notion d’un visible qui serait d’abord à même lui-même (an ihm selbst  ) pour s’offrir ensuite seulement à plusieurs regards. Ce qu’on aperçoit mieux, en revanche, c’est le platonisme latent de ces lignes. Que Platon  , peu après, soit critiqué par Heidegger pour la raison qu’avec lui « l’apparence est déclarée trompeuse », tandis que « l’être est élevé, comme idea, en un lieu suprasensible» (80; 117), ne suffit pas à écarter le soupçon. Y suffit d’autant moins que cette critique associe étrangement Platon à « la sophistique ».


Ver online : Jacques Taminiaux


TAMINIAUX, J. Le théatre des philosophes: La tragédie, l’être, l’action. Grenoble: J. Millon, 1995.