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Sein und Zeit

Être et temps : § 54. Le problème de l’attestation d’une possibilité existentielle authentique.

Ser e Tempo

segunda-feira 7 de janeiro de 2013, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

Est recherché un pouvoir-être authentique du Dasein  , qui soit attesté par celui-ci même en sa possibilité existentielle. Préalablement, il faut donc que cette attestation même se laisse découvrir. Si elle doit « donner à comprendre » le Dasein à lui-même dans son existence authentique possible, c’est dans l’être du Dasein qu’elle aura sa racine. Par suite, la mise en lumière phénoménologique d’une telle attestation inclut en soi la mise en évidence de son origine à partir de la constitution d’être du Dasein.

L’attestation doit donner à comprendre un pouvoir-être-Soi-même authentique. L’expression « Soi-même » nous a permis de répondre à la question du qui du Dasein [1]. L’ipséité du Dasein a été formellement déterminée comme une guise d’exister, et non pas, par conséquent, comme un étant sous-la-main. Le qui du Dasein, la plupart du temps je ne le suis pas moi-même, c’est le On-même qui l’est. L’être-Soi-même authentique se détermine comme une modification existentielle du On qu’il convient de délimiter existentialement [2]. Qu’implique cette modification, et quelles en sont les conditions ontologiques de possibilité ?

[268] Avec la perte dans le On, il est toujours déjà décidé du pouvoir-être factice prochain du Dasein, autrement dit des tâches, des règles, des critères, de la profondeur et de l’étendue de l’être-au-monde dans sa préoccupation et sa sollicitude. Le On a toujours déjà soustrait au Dasein la saisie de ces possibilités d’être. Davantage, le On soustrait au regard [du Dasein] cette soustraction même, silencieusement opérée par lui, de tout choix exprès de ces possibilités. Qui « à proprement parler » choisit, c’est ce qui demeure indéterminé. Cette privation de choix, cet entraînement par « personne », où le Dasein s’empêtre dans l’inauthenticité, ne peut être inversé qu’à la condition que le Dasein se ramène proprement de sa perte dans le On vers lui-même. Néanmoins, cette reprise doit nécessairement avoir le mode d’être par l’omission duquel le Dasein se perdait dans l’inauthenticité. La reprise de soi hors du On, autrement dit la modification existentielle du On-même en être-Soi-même authentique doit nécessairement s’accomplir comme re-saisie d’un choix. Mais ressaisir un choix signifie choisir ce choix, se décider pour un pouvoir-être puisé dans le Soi-même le plus propre. C’est dans le choix du choix que le Dasein se rend pour la première fois possible son pouvoir-être authentique.

Mais comme il est perdu dans le On, il lui faut tout d’abord se trouver. Pour se trouver en général, il doit être nécessairement « montré » à lui-même dans son authenticité possible. Le Dasein a besoin de l’attestation d’un pouvoir-être-Soi-même que, quant à la possibilité, il est déjà à chaque fois.

Ce que nous allons invoquer dans l’interprétation suivante au titre d’une telle attestation est bien connu de l’auto-explicitation quotidienne du Dasein comme voix de la conscience [3]. Que le « fait » de la conscience soit controversé, que sa fonction d’instance pour l’existence du Dasein soit diversement appréciée et ce qu’« elle dit » multiplement interprété, ce sont là des circonstances qui n’autoriseraient à sacrifier ce phénomène que si le caractère « douteux » du fait en question - ou de son interprétation - ne prouvait pas justement que l’on a ici affaire à un phénomène originaire du Dasein. L’analyse qui suit se propose de faire entrer la conscience dans la pré-acquisition d’une recherche purement existentiale, guidée par une intention   fondamental-ontologique.

Tout d’abord, la conscience doit être poursuivie jusqu’en ses fondements et ses structures existentiales, et manifestée - la constitution d’être de cet étant jusqu’ici conquise [269] étant maintenue - comme phénomène du Dasein. L’analyse ontologique de la conscience ainsi engagée est antérieure à toute description et classification psychologique des vécus de la conscience [4], et elle n’est pas moins indépendante d’une « explication » biologique, c’est-à-dire d’une dissolution du phénomène. Cependant, elle se distingue tout autant d’une interprétation théologique de la conscience, voire d’une invocation de ce phénomène pour démontrer l’existence de Dieu ou d’une conscience « immédiate » de Dieu.

Cela dit, en dépit des limitations qui viennent d’être assignées à cette recherche, sa portée ne doit être ni surestimée, ni soumise à des requêtes inadéquates et ainsi amoindrie. La conscience, en tant que phénomène du Dasein, n’est point un fait qui surviendrait et serait parfois sous-la-main. Elle n’« est » que selon le mode d’être du Dasein, et elle ne s’annonce   jamais, à titre de fait, qu’avec et dans l’existence factice. L’exigence d’une « preuve empirique inductive » de la « factualité » de la conscience et de la véracité de sa « voix » procède d’une perversion ontologique du phénomène, perversion à laquelle participe, du reste, toute critique supérieure qui prétendrait que la conscience ne survient que de temps à autre, et lui dénierait ainsi le statut de « fait universellement constaté et constatable ». À de semblables preuves et contre-preuves, il n’est pas question de soumettre le fait de la conscience. Cela n’est point un défaut, mais seulement l’indice de son hétérogénéité ontologique par rapport à tout étant sous-la-main dans le monde ambiant.

La conscience donne « quelque chose » à comprendre, elle ouvre. De cette caractéristique formelle, un impératif résulte : le phénomène doit être repris dans l’ouverture du Dasein. Cette constitution fondamentale de l’étant que nous sommes à chaque fois nous-mêmes est elle-même constituée par l’affection, le comprendre, l’échéance et le parler. L’analyse plus pénétrante de la conscience la dévoilera comme appel. L’appeler est un mode du parler. L’appel de la conscience a le caractère de l’ad-vocation du Dasein vers son pouvoir-être-Soi-même le plus propre, et cela selon la guise de la con-vocation à son être-en-dette le plus propre.

L’interprétation existentiale est nécessairement éloignée de l’entente ontique quotidienne, quand bien même elle dégage les fondements ontologiques de ce que l’explicitation vulgaire de la conscience, dans certaines limites, a toujours compris et, en tant que « théorie » de la conscience, porté à un concept. Aussi l’interprétation existentiale a-t-elle besoin d’une confirmation par une critique de l’explicitation vulgaire de la conscience. À partir du phénomène une fois dégagé peut être fixée la mesure en laquelle il atteste un pouvoir-être authentique du Dasein. À l’appel de la conscience appartient un entendre possible. La compréhension de l’ad-vocation se dévoile comme vouloir-avoir-conscience. [270] Mais, dans ce phénomène est contenu le choisir existentiel - que nous cherchons - du choix d’un être-Soi-même, choisir que nous appelons, conformément à sa structure existentiale, la résolution. Du coup, le plan des analyses de ce chapitre nous est prédonné : les fondements ontologico-existentiaux de la conscience (§55) ; le caractère d’appel de la conscience (§56) ; la conscience comme appel du souci (§57) ; compréhension de l’ad-vocation et dette (§58) ; l’interprétation existentiale de la conscience et l’explicitation vulgaire de la conscience (§59) ; la structure existentiale du pouvoir-être authentique attesté dans la conscience (§60).


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1Cf. supra, §25, p. [114] sq.

[2Cf. supra, §27, p. [126] sq., notamment p. [130].

[3Les considérations qui précédent et qui suivent ont été communiquées sous forme de thèses à l’occasion d’une conférence prononcée à Marboug, en juillet 1924, sous le titre Le concept de temps. (NT: Cette conférence a été traduite en français par M. Haar et M.B. de Launay, dans le collectif Martin Heidegger, Cahiers de l’Herne, 1983)

[4NT: Ici comme dans tout le chapitre, la « conscience » (Gewissen) dont parle H. est toujours celle que nous qualifions couramment de « morale », non pas la conscience (Bewusstsein) au sens du rapport à soi primordial du sujet représentant (soi ou autre chose). Lorsque, dans d’autres chapitres, c’est à cette conscience-ci que H. fait allusion, le contexte est toujours assez clair pour qu’il soit superflu de le confirmer.