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Sein und Zeit

Être et temps : § 57. La conscience comme appel du souci.

Ser e Tempo

segunda-feira 7 de janeiro de 2013, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

La conscience con-voque le Soi-même du Dasein   hors de la perte dans le On. Le Soi-même ad-voqué demeure indéterminé et vide en son « quid   ». Comme quoi le Dasein se comprend-il de prime abord et le plus souvent dans son explicitation à partir de ce dont il se préoccupe, cela, l’appel le passe. Et pourtant, le Soi-même n’en est pas moins univoquement, directement atteint. Non seulement l’ad-voqué est visé par l’appel « sans acception de personne », mais l’appelant lui-même se tient dans une indétermination frappante. Aux questions concernant le nom, l’état, la provenance, la considération, non seulement il refuse toute réponse, mais encore, bien qu’il ne se déguise nullement dans l’appel, il ne livre pas la moindre possibilité de le rendre familier à une compréhension du Dasein qui est orientée de façon « mondaine ». L’appelant de l’appel - ceci appartient à son caractère phénoménal - tient absolument éloignée de lui toute familiarité. Il est contraire à la modalité de son être de [275] se laisser attirer dans le champ d’une considération et d’une discussion. L’indéterminité et l’indéterminabilité spécifique de l’appelant n’est pas rien, mais un privilège positif. Elle annonce   que l’appelant ne surgit que dans le con-voquer à…, qu’il ne veut être entendu, sans supplément de bavardage, que comme tel. Dès lors, n’est-il pas conforme au phénomène que la question même de savoir qui est l’appelant demeure tue ? Certes, en ce qui concerne l’entendre existentiel de l’appel factice de la conscience, mais non pas cependant pour l’analyse existentiale de la facticité de l’appeler et de l’existentialité de l’entendre.

Mais la nécessité existe-t-elle en général de poser encore expressément la question : qui appelle ? Pour le Dasein, ne trouve-t-elle pas tout aussi univoquement réponse que celle de savoir qui est ad-voqué dans l’appel ? Dans la conscience, le Dasein s’appelle lui-même. Cette compréhension de l’appelant peut bien être, dans l’entendre factice de l’appel, plus ou moins éveillée. Ontologiquement, cependant, la réponse qui dit que le Dasein est l’appelant et l’ad-voqué tout à la fois, ne suffit nullement. En effet, le Dasein, en tant qu’ad-voqué, n’est-il pas « là » autrement qu’en tant qu’appelant ? Est-ce le pouvoir-être-Soi-même le plus propre qui fonctionne comme appelant ?

L’appel, précisément, n’est pas et n’est jamais ni projeté, ni préparé, ni accompli volontairement par nous-mêmes. « Cela » appelle, contre notre attente, voire contre notre gré. D’un autre côté, l’appel ne vient incontestablement pas d’un autre qui est au monde avec moi. L’appel vient de moi et pourtant il me dépasse.

Il n’est pas question de mésinterpréter cette donnée phénoménale. Car c’est elle qui a été également prise pour point de départ pour l’interprétation de la voix de la conscience comme une puissance étrangère qui pénétrerait le Dasein. En suivant cette direction interprétative, on assigne même à cette puissance ainsi fixée un possesseur, à moins que l’on ne la prenne elle-même pour une personne (Dieu) qui annonce sa présence. Parfois, inversement, on tente de récuser cette interprétation de l’appelant comme manifestation étrangère de puissance, et de régler en même temps le compte de la conscience en général à l’aide d’une explication « biologique ». Mais l’une et l’autre interprétations ont déjà enjambé précipitamment la donnée phénoménale, et elles n’y ont été que trop encouragées par cette thèse tacitement directrice, mais ontologiquement dogmatique : ce qui est, c’est-à-dire ce qui est aussi factuel que l’appel, doit nécessairement être sous-la-main ; ce qui ne se laisse pas exhiber en tant qu’objectif au sens de sous-la-main n’est absolument pas.

À l’encontre de cette précipitation méthodique, il convient de maintenir non seulement en général la donnée phénoménale - à savoir que l’appel est adressé à moi depuis moi-même en me dépassant -, mais encore la pré-esquisse ontologique, qui y est contenue, de ce phénomène comme un phénomène du DASEIN. La constitution existentiale de cet étant, voilà [276] ce qui seul peut offrir son fil conducteur à l’interprétation du mode d’être du « cela » qui appelle.

Nous demandons donc : notre analyse antérieure de la constitution d’être du Dasein nous montre-t-elle un chemin sur lequel rendre ontologiquement intelligible le mode d’être de l’appelant et, avec lui, celui de l’appeler ? Que l’appel ne soit pas expressément accompli par moi, mais au contraire que « ça » appelle, cela n’autorise pas encore à chercher l’appelant dans un étant qui ne serait pas à la mesure du Dasein. Or le Dasein existe bel et bien toujours facticement. Il n’est pas un se-projeter flottant en l’air, mais, déterminé par l’être-jeté comme le fait de l’étant qu’il est, il a à chaque fois été - et il demeure constamment - remis à l’existence. Cependant, la facticité du Dasein se distingue essentiellement de la factualité d’un sous-la-main. Le Dasein existant ne vient pas à la rencontre de lui-même comme d’un sous-la-main intramondain. D’autre part, l’être-jeté ne s’attache pas non plus au Dasein comme un caractère inaccessible et sans conséquence pour son existence. En tant que jeté, le Dasein est jeté dans l’existence. Il existe comme un étant qui a à être comment il est et peut être.

Qu’il soit facticement, cela peut bien être retiré en son pourquoi, mais le « Que » lui-même n’est pas moins ouvert au Dasein. L’être-jeté de l’étant appartient à l’ouverture du « Là » et se dévoile constamment dans ce qui est à chaque fois son affection. Celle-ci transporte le Dasein plus ou moins expressément et authentiquement devant son « qu’il est et, en tant que l’étant qu’il est, il a à être en pouvant-être ». Toutefois, le plus souvent, la tonalité referme l’être-jeté. Le Dasein fuit devant celui-ci dans la facilité de la prétendue liberté du On-même. Cette fuite a été caractérisée comme fuite devant l’étrang(èr)eté qui détermine fondamentalement l’être-au-monde en son isolement. L’étrang(èr)eté se dévoile proprement dans l’affection fondamentale de l’angoisse, et, en tant que l’ouverture la plus élémentaire du Dasein jeté, elle place son être-au-monde devant le rien du monde, rien devant lequel il s’angoisse dans l’angoisse pour le pouvoir-être le plus propre. Qu’en serait-il donc, si le Dasein tel qu’il se trouve (est affecté) au fond de son étrang(èr)eté était l’appelant de l’appel de la conscience ?

Rien ne s’y oppose, et au contraire plaident en ce sens tous les phénomènes qui ont été jusqu’ici dégagés pour caractériser l’appelant et son appeler.

L’appelant n’est « mondainement » déterminable par rien en son qui. Il est le Dasein en son étrang(èr)eté, il est l’être-au-monde originellement jeté en tant qu’hors-de-chez-lui, il est [277] le « que » nu dans le rien du monde. L’appelant est non-familier au On-même quotidien - quelque chose comme une voix étrangère. Et qu’est-ce qui pourrait être plus étranger au On, perdu qu’il est dans la diversité du « monde » de sa préoccupation, que le Soi-même isolé sur soi dans l’étrang(èr)eté, jeté dans le rien ? « Ça » appelle, et pourtant cela ne donne rien à entendre à l’oreille préoccupée et curieuse qui puisse après coup être répété et publiquement commenté. Et en effet, que pourrait bien relater le Dasein à partir de l’étrang(èr)eté de son être jeté ? Que lui reste-t-il d’autre que le pouvoir-être de lui-même, dévoilé dans l’angoisse ? Comment pourrait-il appeler autrement qu’en une con-vocation à ce pouvoir-être dont il y va uniquement pour lui ?

L’appel ne relate nul événement, et même il appelle sans aucun ébruitement. L’appel parle sur le mode étrange du faire-silence. Et il n’en est ainsi que parce que l’appel n’appelle pas l’ad-voqué au bavardage public du On, mais rappelle de celui-ci à la réticence du pouvoir-être existant. Or en quoi l’assurance froide, étrang(èr)e, mais non pas « évidente » avec laquelle l’appelant atteint l’ad-voqué se fonde-t-elle, sinon dans le fait que le Dasein isolé sur soi en son étrang(èr)eté est pour lui-même absolument unique ? Qu’est-ce qui enlève si radicalement au Dasein la possibilité de se mé-comprendre et méconnaître à partir d’ailleurs, sinon la solitude de son abandon à lui-même ?

L’étrang(èr)eté est le mode fondamental - cependant quotidiennement recouvert - de l’être-au-monde. Le Dasein appelle lui-même, en tant que conscience, du fond de cet être. Le « ça m’appelle » est un parler insigne du Dasein. L’appel in-toné par l’angoisse rend tout d’abord possible pour le Dasein le projet de lui-même vers son pouvoir-être le plus propre. L’appel de la conscience existentialement compris atteste pour la première fois ce qui auparavant [NA: Cf. supra, §40 - EtreTemps40, p. [189].] avait été simplement affirmé : l’étrang(èr)eté traque le Dasein et menace sa perte oublieuse d’elle-même.

La proposition : le Dasein est l’appelant et l’ad-voqué tout à la fois, a désormais perdu son vide et son « évidence » formels. La conscience se manifeste comme appel du souci : l’appelant est le Dasein, s’angoissant dans l’être-jeté (être-déjà-dans…) pour son pouvoir-être. L’ad-voqué est ce même Dasein, con-voqué à son pouvoir-être le plus propre (en-avant-de-soi). Et le Dasein est convoqué par l’ad-vocation hors de l’échéance dans le On (être-déjà-auprès-du-monde de la préoccupation). L’appel de la conscience, c’est-à-dire celle-ci même, tient sa possibilité ontologique de ce que le Dasein est au fond de son être souci. [278]

Ainsi, il n’est besoin d’aucun recours à des puissances étrangères à l’être du Dasein, surtout si l’on songe que ce recours, bien loin d’éclaircir l’étrang(èr)eté de l’appel, l’anéantit bien plutôt. Où se trouve la raison de ces « explications » aberrantes de la conscience ? Ne consiste-t-elle pas finalement en ce que, pour seulement fixer la donnée phénoménale de l’appel, on s’est contenté d’une vue trop courte, et que l’on a silencieusement présupposé le Dasein sous la figure d’une déterminité - ou d’une indéterminité - ontologique contingente ? Pourquoi s’adresser à des puissances étrangères tant que l’on ne s’est pas assuré que l’on n’avait pas, dès le départ de l’analyse, apprécié trop bas l’être du Dasein, autrement dit posé celui-ci comme un sujet anodin, survenant de manière quelconque, et muni d’une conscience personnelle ?

Malgré tout, il semble bien que l’interprétation de l’appelant (qui mondainement n’est « personne ») comme une puissance présente l’avantage de reconnaître sans prévention la présence d’une « donnée objectivement trouvable ». Certes, mais, tout bien considéré, cette interprétation n’est qu’une fuite devant la conscience, une échappatoire du Dasein, où il se glisse derrière l’étroite paroi qui, pour ainsi dire, sépare le On de l’étrang(èr)eté de son être. L’explicitation citée de la conscience se donne donc pour une reconnaissance de l’appel au sens d’une voix « universellement » obligeante, qui ne parle « pas simplement de manière subjective » Plus encore, cette conscience « universelle » est élevée au rang d’une « conscience universelle » qui, en son caractère phénoménal, est un « ça » et « personne », et s’identifie donc bien avec ce qui parle là, dans le « sujet » singulier, sous cette forme indéterminée.

Mais qu’est-ce donc que cette « conscience publique », qu’est-ce d’autre que… la voix du On ? Le Dasein ne peut en arriver à l’invention douteuse d’une « conscience universelle » que parce que la conscience, en son fond et son essence, est mienne. Et cela non seulement au sens où c’est à chaque fois le pouvoir-être le plus propre qui est ad-voqué, mais parce que l’appel vient de l’étant que je suis à chaque fois moi-même.

Avec l’interprétation précédente de l’appelant, qui se conforme purement au caractère phénoménal de l’appeler, la « puissance » de la conscience n’est pas plus diminuée que rendue « purement subjective », au contraire : c’est ainsi seulement que l’inexorabilité, l’univocité de l’appel est libérée. L’« objectivité » de l’ad-vocation ne peut obtenir son droit qu’à condition que l’interprétation lui laisse sa « subjectivité », laquelle bien entendu refuse la souveraineté au On-même.

Néanmoins, on ne manquera pas d’opposer à notre interprétation de la conscience [279] comme appel du souci la contre-question suivante : une interprétation de la conscience qui s’éloigne à tel point de l’« expérience naturelle » peut-elle encore être probante ? Comment la conscience pourrait-elle fonctionner comme con-vocatrice au pouvoir-être le plus propre alors que, de prime abord et le plus souvent, elle se borne à réprimander et à avertir ? La conscience parle-t-elle avec cette indétermination vide d’un pouvoir-être authentique, et non pas bien plutôt, de façon précise et concrète, des fautes et des omissions que nous avons commises ou allons commettre ? L’ad-vocation par nous affirmée provient-elle de la « mauvaise » conscience, ou de la « bonne » ? La conscience livre-t-elle en général quelque chose de positif, ou ne fonctionne-t-elle pas plutôt de manière simplement critique ?

On ne saurait contester la légitimité de ces scrupules. D’une interprétation de la conscience, il est permis d’exiger que l’« on » y reconnaisse le phénomène en question, tel qu’il est quotidiennement expérimenté. Cependant, satisfaire à cette requête n’implique pas, redisons-le, de reconnaître la compréhension ontique vulgaire de la conscience pour l’instance première d’une interprétation ontologique. D’un autre côté, les réserves citées sont prématurées tant que l’analyse qu’elles visent n’a pas encore atteint son but. Or jusqu’à maintenant, tout ce qui a été tenté, c’est de reconduire la conscience, en tant que phénomène du DASEIN, à la constitution ontologique de cet étant. Ce qui était destiné à préparer notre tâche proprement dite : rendre intelligible la conscience comme une attestation, située dans le Dasein lui-même, de son pouvoir-être le plus propre.

Mais ce que la conscience atteste ne peut parvenir à sa pleine déterminité qu’à condition qu’ait été délimité avec une clarté suffisante le caractère que doit nécessairement et originairement présenter l’entendre qui correspond nativement à l’appeler. En effet, le comprendre authentique, celui qui « suit » l’appel, n’est pas un simple supplément qui s’annexerait au phénomène de la conscience, un processus   qui se déclencherait ou non. C’est seulement à partir de la compréhension de l’ad-vocation et tout uniment avec elle que le vécu plein de la conscience peut se laisser saisir. Si c’est le Dasein à chaque fois propre qui est lui-même tout à la fois l’appelant et l’ad-voqué, alors il y a dans toute més-entente de l’appel, dans toute mécompréhension de soi un mode d’être déterminé du Dasein. Un appel flottant en l’air, dont « rien ne résulterait », n’est, du point de vue existential, qu’une fiction impossible. « Que rien n’en résulte », cela signifie, à la mesure du Dasein, quelque chose de positif.

Ainsi, seule l’analyse de la compréhension de l’ad-vocation peut-elle, elle aussi, conduire à l’élucidation explicite de ce que l’appel donne à comprendre. Mais aussi, c’est seulement avec la caractérisation ontologique générale de la conscience qui précède qu’est [280] donnée la possibilité de concevoir existentialement la « dette » qui est criée dans la conscience. Car toutes les expériences et toutes les explicitations de la conscience s’accordent sur ce point : d’une manière ou d’une autre, la « voix » de la conscience parle d’une « dette ».


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]