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Heidegger et le problème de la mort

Ciocan (2014:47-48) – Le projet (Entwurf)

existentialité, authenticité, temporalité

segunda-feira 5 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

L’articulation de l’existential « possibilité » et de l’existential « projet » constitue le mode dans lequel la compréhension — comme existential fondamental — structure et organise la dynamique de la vie facticielle, la mobilité intrinsèque de l’existence. [CIOCAN  , Cristian. Heidegger et le problème de la mort - existentialité, authenticité, temporalité. Dordrecht: Springer, 2014.]

La deuxième structure, censée articuler la distance ontologique qui sépare le Verstehen   (existentia  ) du Seinkönnen   (existentie), est le projet. Heidegger le dit clairement : « le comprendre a en lui-même la structure existentiale que nous appelons le projet » (SZ  , 145) ; et il ajoute : « Le projet est la constitution existentiale d’être [die existenziale Seinsverfassung  ] de l’espace de jeu du pouvoir-être facticiel [Spielraum   des faktischen Seinkönnens]. » Autrement dit, un pouvoir-être (ontique, existentiel, factice) dispose, dans une situation   concrète, d’une série de possibilités déterminées envers lesquelles il existe. Comme pouvoir-être facticiel, je peux, en ce moment même — j’ai la possibilité concrète de — soit continuer l’analyse de ce paragraphe, soit m’arrêter et faire tout autre chose. Ce pouvoir-être, cet être envers et pour (zu) des possibilités est ontologiquement fondé, comme nous l’avons vu, dans un Möglichsein   essentiel et, finalement, dans l’existential de la possibilité. Nous pouvons dire que la possibilité comme structure existentiale détermine cette ouverture envers et pour (zu) le possible ou envers et pour l’horizon   des possibles.

Néanmoins, le projet — le deuxième existential secondaire subordonné à la compréhension — a une tâche dynamique : il détermine le mouvement du Dasein   vers ses possibilités concrètes, générant l’auto-projection effective dans l’une ou l’autre de ces possibilités. La compréhension, montre Heidegger, projette l’être du Dasein (entwirft das Sein   des Daseins) dans deux directions : le Dasein peut se projeter lui-même, par la compréhension, soit dans la direction des possibilités intramondaines (je peux aller au marché, ou peindre ma maison, ou acheter des livres), soit dans la direction des possibilités liées au soi propre : je peux me constituer moi-même dans tel ou tel sens. Ainsi, la compréhension se projette elle-même vers la mondanéité du monde dans sa significativité (Bedeutsamkeit  ), soit dans ce en vue de quoi (Worumwillen  ) le Dasein existe.

Il est aussi très intéressant de noter que Heidegger détermine le pouvoir-être facticiel comme espace de jeu (Spielraum), lorsqu’il indique que le projet est la [48] « constitution existentiale d’être [existenziale Seinsverfassung] » de cet espace de jeu. En conséquence, l’horizon des possibilités n’est pas seulement ouvert, il est aussi dynamique, vif, mobile. L’articulation de l’existential « possibilité » et de l’existential « projet » constitue le mode dans lequel la compréhension — comme existential fondamental — structure et organise la dynamique de la vie facticielle, la mobilité intrinsèque de l’existence. La compréhension projette le soi envers et pour des possibilités, et le projet et la possibilité forment par là les deux moments inséparables de la compréhension.

En prolongeant le thème du projet, et en stricte articulation avec lui, Heidegger déterminera un autre niveau problématique, en l’occurrence celui de la Sicht   (vue selon Martineau  , visée selon Vezin  ). Heidegger délimite trois types de vue par lesquels la compréhension se spécifie, en fonction de l’horizon vers lequel la vue se dirige.

(i) Si la vue se dirige vers les étants intramondains, « localisés » dans le monde ambiant (Umwelt  ) et déterminés par leur utilité et leur utilisabilité, dans la préoccupation (Besorgen  ), la vue se modalise comme « vue ambiante » (Umsicht, « circonspection » selon Martineau, « discernation » selon Vezin).

(ii) Si la vue se dirige vers le Dasein des autres, les étants intramondains surgissant dans le monde commun (Mitwelt) ouvert par l’être-avec (Mitsein  ), dans le souci-pour-l’autre (Fürsorge, « sollicitude » selon Martineau, « souci mutuel » selon Vezin), la vue se modalise comme Rücksicht (« regard considératif » ou « égard ») et comme Nachsicht (« indulgence ») qui, à leur tour, peuvent avoir des modes déficients et indifférents ; ici, Heidegger mentionne les deux pôles : la Rücksichtlosigkeit (« indiscrétion » selon Martineau, « absence d’égard » selon Vezin) et le Nachsehen ou la tolérance (SZ, 123).

(iii) Finalement, la vue que le Dasein porte et dirige sur lui-même, dans le monde du soi (Selbstwelt  ), est déterminée comme Durchsichtigkeit (« translucidité » selon Martineau, « transparence à soi-même » selon Vezin) (SZ, 146).

Quant à son statut ontologique, Heidegger affirme que « le comprendre […] constitue existentialement […] la vue », précisant même que la vue « est existentialement avec l’ouverture du là » [1] et qu’elle a une « signification existentiale » (existenziale Bedeutung, SZ, 147). Toutefois, Heidegger n’accorde pas à la Sicht le statut explicite d’Existenzial  .


[1SZ, 146 : « Die mit der Erschlossenheit des Da existenzial seiende Sicht. »