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Heidegger et l’expérience de la pensée

Birault (1978:373-377) – La valeur (Wert)

Deuxième partie - L’expérience de la pensée

terça-feira 30 de maio de 2017, por Cardoso de Castro

O pensamento segundo os valores é por conseguinte uma simples figura — a figura "moral  " — do pensamento que calcula. O valor perdeu toda relação com o ser, com a integridade, a saúde, a coragem ou a nobreza do ser. O valor é agora valor avaliado, ou avaliação valorizante, valor calculado, valor adicionado, valor atribuído. O valor, desde que seja pensado na perspectiva do que é valioso e da validade, não tem em si mais nada de venerável ou de valoroso; não vale mais nada, mais nada senão o preço que lhe foi "acordado". O apelo a valores superiores, a substituição de um sistema de valores por um outro, não pode portanto nada modificar à essência niilista do valor.

Si telle est notre science, si tel est notre monde, n’est-il pas temps de leur donner ce « supplément d’âme » dont parlait Bergson  ? Et où trouver ce supplément sinon dans le respect ou l’exaltation de certaines valeurs — esthétiques ou éthiques — plus stimulantes ou plus rassurantes?

On pense d’abord à Nietzsche   et à sa « métaphysique d’artistes ». Nietzsche le premier, en effet, saisit, et saisit très tôt, ce qu’il appellera plus tard « un problème à cornes qui sans être nécessairement un taureau était en tout cas un problème nouveau, je dirais aujourd’hui, le problème de la science elle-même — la science, pour la première fois considérée comme problématique, comme suspecte ».

Dans La Naissance de la tragédie, Nietzsche évoque le complément ou le supplément dont nous parlions, et le cherche dans l’art. Le § 14 se termine, en effet, par cette interrogation décisive : « Peut-être y a-t-il un domaine de la sagesse dont le logicien serait banni? Peut-être même l’art est-il un corrélatif et un supplément nécessaire de la science? »

Enfin, et toujours dans la perspective de cette nécessaire complémentarité, qui ne se souvient ici des aphorismes les plus célèbres de La Volonté de puissance : « L’art a plus de valeur que la vérité », ou encore : « Nous avons l’art, pour ne pas périr de la vérité. »

Toutefois, une double question se pose ici, la première est de savoir comment il faut entendre, selon Nietzsche lui-même, le corrélatif et le supplément dont il a été question, la seconde, plus générale, est de savoir si la découverte de la fonction stimulatrice de l’art pour la vie permet de secouer effectivement le joug de cette forme de la pensée appelée par Heidegger das rechnende Denken  .

Observons d’abord que le corrélatif ou le supplément de la science ne procède pas d’une instance étrangère à la science. C’est tout au contraire l’instinct de la science elle-même qui la conduit jusqu’à cette limite, jusqu’à cette extrémité où il lui faut se renverser en art. Cette métamorphose artistique de la science est la fin propre de tout le mécanisme de la science. On parlera donc bien ici d’un dépassement ou d’une destruction de la science par l’art, à la condition cependant d’interpréter cette transmutation et, si l’on veut, cette mort comme un retournement de l’instinct logique, finissant par se mordre la queue en vertu de son impétuosité naturelle.

Un autre fragment de La Volonté de puissance s’exprime ainsi : « Ce n’est pas la victoire de la science qui caractérise notre XIXe siècle mais la victoire de la méthode scientifique sur la science. » La méthode est tout ensemble l’âme ou le souffle, le procès ou le cheminement de la chose, — Hegel   dit : « die Seele   des Seins — l’âme de l’être ». La victoire de la méthode scientifique sur la science est donc la victoire de l’esprit de la science sur la science elle-même. Un même esprit, une même volonté, l’esprit de la volonté de puissance pose donc la valeur « vérité » et la valeur « art » selon la hiérarchie « active » de la sagesse tragique ou, au contraire, selon la hiérarchie « réactive » de l’optimisme logique.

Il est bien vrai que le problème de la science ne saurait être élucidé sur le terrain de la science elle-même. Il est bien vrai, selon la formule qui termine le § 2 de l’ ’’Essai d’une autocritique, qu’il faut « voir la science dans l’optique de l’artiste et l’art lui-même dans celle de la vie ». Mais enfin, cette double « réduction » n’a pas d’autre sens que celui d’une « reconduction » de la science vers la vérité jusqu’alors masquée d’une fonction poético-pratique inhérente au perspectivisme de la vie elle-même. La science est en son fond un art, l’art de la connaissance. L’homme de la connaissance est un artiste qui trop souvent hélas! s’ignore, parce qu’il ignore, parce qu’il veut ignorer que la raison ne peut jamais rien trouver ou retrouver dans les choses que ce qu’elle y a elle-même introduit.

Bien loin donc de représenter comme le contrepoids possible à un certain déferlement de la volonté de puissance ou de domination, la théorie nietzschéenne de l’art, et de la valeur supérieure de l’art, nous éclaire sur la signification foncièrement technique et nihiliste de toute pensée selon les valeurs.

Ici même d’abord, on ne pourra pas se dissimuler le caractère nécessairement quantitatif de l’axiologie nietzschéenne. L’art, dit Nietzsche, est plus valeur que la vérité. Ce plus est significatif, il est le signe d’un certain calcul, d’un certain compte, celui de la volonté de puissance qui est toujours elle-même en son fond volonté de plus de puissance : plus von Macht  . Heidegger dit avec pertinence : « L’essence de la valeur réside en ce qu’elle est point de vue. Par valeur, on entend ce qui est pris en vue. Valeur désigne le point de vue d’un voir qui a telle ou telle visée, ou encore, comme nous disons habituellement, qui compte sur quelque chose et, ce faisant, est contraint de compter aussi sur d’autres choses. La valeur se tient donc en relation intime avec un tantum, avec un quantum, avec le nombre. Les valeurs se rapportent donc (cf. Der Wille   zur Macht, § 710) à une " échelle de nombres et de mesures ". La question demeure encore de savoir sur quoi se fonde à son tour cette échelle de l’accroissement et de la diminution des valeurs. »

La pensée selon les valeurs — de quelque nature que soient ces valeurs — est donc encore et toujours la pensée qui calcule et qui mesure, qui compte et qui escompte.

Bien loin de venir au secours de la vérité moribonde, la philosophie   des valeurs — même et surtout lorsque ces valeurs sont considérées comme « éternelles » — précipite le nihilisme originel dont procède l’essence moderne de la technique. Ici encore, il faut se référer à Nietzsche, car Nietzsche n’a pas seulement fixé la valeur de la vérité, il a encore établi la vérité de la valeur.

La valeur, telle que nous la pensons aujourd’hui dans l’oubli fatal de la signification primitive — nullement axiomatique, nullement axiologique — des mots grecs axioma et axioun, est fonction d’une évaluation propre à la vie elle-même. Toute valeur se trouve donc d’emblée et en tant que valeur, irréalisée, déréalisée, et si l’on peut dire, « dévaluée ». Caduque devient ici la distinction trop commode entre les jugements de valeur et les jugements de réalité. De quelque manière, en effet, que soit entendue cette réalité — comme être tel ou tel, ou comme être existant -, la réduction nietzschéenne du es ist au es gilt demeure. La vérité devient valeur à partir de Descartes  . Est vrai, en effet, ce qui est tenu pour vrai, ce qui est évalué comme vrai. D’une manière plus décisive encore, il est très remarquable de voir comment le problème de l’objectivité se pose chez Kant   en termes de validité comme le problème d’une « élévation non arbitraire de la valeur ». Chez Nietzsche enfin, il devient parfaitement clair que l’être lui-même n’est finalement qu’un prédicat. Est vrai, disions-nous, ce à quoi nous attribuons la valeur de vérité. Est existant, pouvons-nous dire maintenant, ce qui tombe sous le concept ou la catégorie d’existence. Nietzsche apparaît ici, une fois de plus, tributaire de Kant : l’être n’est assurément pas un prédicat réel, mais c’est pourtant bien un prédicat. Nietzsche, dans un fragment de La Volonté de puissance, parle de manière significative de l’ « être » comme d’un caractère susceptible d’être imposé au devenir :

« Dem Werden   den Charakter des Seins aufzuprägen — das ist der höchste Wille zur Macht.
« Dass   ailes wiederkehrt, ist die extremste Annäherung einer Welt   des Werdens an die Seins.
« Assigner au devenir le caractère de l’être — telle est la forme suprême de la volonté de puissance…
« Que tout revienne est le rapprochement le plus extrême d’un monde du devenir avec celui de l’être. » [1]

Nietzsche ne pose pas l’identité pure et simple de l’ « être » et du devenir. Il ne dit pas que le devenir est l’être, ou l’être le devenir. Nietzsche assigne au devenir le caractère, le signe ou la valeur de l’être, Nietzsche voit dans la volonté qui opère cette imposition ou cette assignation, cette estimation ou cette appréciation, la forme suprême de la volonté de puissance. C’est pourquoi, Nietzsche parle aussi d’un rapprochement qui pour être extrême n’en laisse pas moins subsister une différence infime et irréductible : celle-là même qui sépare le caractère et le caractérisé, le signifiant et le signifié, le concept déterminant et l’intuition déterminée.

L’être pensé comme valeur est encore pensé comme fondement, cause ou raison d’être. La position devient imposition, l’essence devient sens, l’ontologie   se fait axiologie.

La pensée selon les valeurs est donc bien une simple figure — la figure « morale » — de la pensée qui calcule. La valeur a perdu tout rapport avec l’être, avec l’intégrité, la santé, le courage ou la noblesse de l’être. La valeur est maintenant valeur évaluée, ou évaluation valorisante, valeur calculée, valeur ajoutée, valeur attribuée. La valeur, dès lors qu’elle est pensée dans la perspective du valable et de la validité, n’a en soi plus rien de vénérable ou de valeureux ; elle ne vaut plus rien, plus rien d’autre que le prix qui lui est « accordé ». L’appel à des valeurs supérieures, la substitution d’un système de valeurs à un autre ne peut donc rien changer à l’essence nihiliste de la valeur. La pensée selon les valeurs n’est pas moins oublieuse de la vérité de l’être que la pensée calculatrice dont elle procède : elle ne saurait donc conjurer un certain monde de la technique qu’il ne s’agit justement pas de « conjurer », mais seulement de penser dans son essence et dans son destin.

Telle est la tâche que Heidegger assigne à cette pensée qui dit oui et non à la technique : la pensée méditative du sens, la pensée non oublieuse de ce qui s’appelle pensée.


Ver online : Henri Birault


[1Nietzsche, Der Wille zur Macht, § 617, p. 418.