Página inicial > Fenomenologia > Blondel (Être:52-57) – ser, existência e eventuais correlatos

L’Être et les êtres (1935)

Blondel (Être:52-57) – ser, existência e eventuais correlatos

Ii. Les amphibologies et les fausses antithèses à éviter dans l’étude de l’être.

terça-feira 27 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

2° — Il y a bien des manières d’être qui ne sont pas pour cela des êtres. Mais l’emploi du même terme pour des réalités très différentes est une menace perpétuelle [52] de confusions. Aussi a-t-on, d’instinct, tenté d’y échapper en recourant à de multiples vocables, sans parler du simple besoin de varier le discours par des termes moins monotones, comme s’il y avait jamais d’absolues synonymies. Raison de plus pour tirer au clair ces multiples ambiguïtés et pour hiérarchiser l’usage de mots qu’il importe souverainement de rapporter à leur sens le plus exact, alors même qu’on ne peut s’empêcher de retourner à l’emploi du mot être pour l’appliquer à des choses subalternes auxquelles il ne convient guère.

Ainsi est-on souvent porté à utiliser le mot réalité comme synonyme du terme être. Strictement, c’est là un abus. Tout ce qui est est sans doute du réel ou, par extension, de l’être, mais n’est pas pour cela un être. Nous avons déjà remarqué comment et pourquoi l’erreur n’est pas néant. Le faux a une sorte de réalité dans l’esprit qui se trompe et l’on comprend dès lors les équivoques multiples qui se dissimulent sous la formule : le vrai c’est ce qui est. Aussi notre vigilance devra toujours se tenir en garde contre les diverses sortes de vérité réelle qui, placées en des plans différents, peuvent se trouver en conflit explicable et normal ; exemple : l’illusion   qui fait apparaître la lune ou le soleil plus grands à l’horizon   qu’au zénith est une erreur physique, mais une évidence psychologique qui a sa raison d’être et qui, même démentie par la certitude scientifique, s’impose inévitablement à l’expérience spontanée. [53]

Une autre confusion doit être également écartée. Volontiers on identifie être et existence. Ces deux termes n’ont pourtant point une équivalence qui permettrait de les employer indifféremment l’un pour l’autre. Si nous scrutons l’étymologie, les connotations et les antithèses du mot exister, nous remarquons qu’il éveille tour à tour deux idées presque contraires quoique provenant, semble-t-il, de même racine : ex-sistere. — En un premier sens et comme on le fait souvent, nous imaginons l’existence comme située dans un milieu   qui la détermine, en face d’autres existences étrangères à la sienne ; cette position ainsi localisée au moins idéalement semble pour ainsi dire vue du dehors pour occuper une place impénétrable à ce qui n’est pas cet être conçu par abstraction de tous les autres. Dans ce premier sens, exister souligne le caractère exclusif et antitypique de l’être ; et alors le terme être suggère, par opposition, ce qui est au dedans, le secret inviolé, une sorte d’absolu où nul ne pénètre entièrement. Par là le terme existence apparaît comme un aspect extrinsèque et abstrait de l’être inviolable en son intimité concrète et dans son secret métaphysique qui n’entre point dans le monde des phénomènes ou des existences s’étalant ou se heurtant au for extérieur. On voit ici par contraste la vigueur défensive et active de l’être nommé et conçu pour évoquer l’idée d’une sorte d’autonomie   et de suffisance. Et peut-être est-ce l’excès même de cette tendance à la fois intérieure et infiniment expansive qui a besoin d’être restreinte par un autre mot que celui d’être, afin de rappeler les solidarités et les dépendances dont malgré ses aspirations notre être propre reste marqué. Toutefois retenons [54] de ceci cette idée maîtresse : si limité que soit notre être, notre idée de l’être implique une véritable infinitude et une vérité absolument concrète. Nous verrons donc peut-être que si nous devons être amenés à l’affirmation de Dieu, il nous faudra dire, non qu’il existe, mais qu’il est ; et pour ce qui est de nous, il conviendra de dire que nous existons afin d’arriver à pouvoir dire nous sommes. Ainsi, tandis que l’existence semble l’expression de ce qui est défini en fonction des autres réalités et dans la promiscuité des choses les plus diversement constituées, le mot être conserve, dans son universalité même, le sens d’une singularité propre et incommunicable. Il ne doit donc pas être considéré comme le plus abstrait ; il est au contraire, pour l’ontologie   véritable, le plus concret des mots et des concepts, rempli de vérité et de vie.

— Dans un second sens, le mot existence comporte une acception très différente de la première ; il n’importe pas moins de scruter ce sens pour apercevoir les nuances dont l’analyse même du langage doit enrichir notre palette ontologique. On va saisir facilement cette nouvelle signification pour peu qu’on réfléchisse à l’opposition traditionnelle entre, les termes essence et existence. Tout à l’heure, exister évoquait l’image d’une vue extérieure, de ce qui tient de la place dans le monde visible ou invisible, et l’être apparaissait comme le donjon fermé de cette inexpugnable réalité. Mais voici maintenant qu’il faut distinguer ce qui est possible, intelligible, projeté, de ce qui est effectivement réalisé, de ce qui est individué, concret, substantiel. Et alors existence prend une valeur toute précise, toute intérieure, ou plutôt le préfixe ex suggère non plus ce qui est vu et circonscrit du dehors, mais ce qui procède et surgit du dedans, telle une singularité ineffable, indécomposable et irréductible à toutes ses manifestations comme à toutes les notions abstraites dont on userait pour le définir ou le construire. Comprend-on [55] maintenant la nouvelle ambiguïté qui résulte de ce double sens d’exister, équivoque qui par contrecoup atteint également le sens et l’emploi des mots essence et être auxquels tour à tour on oppose ce mot existence plus ou moins confusément ?

De plus l’habitude s’est prise dans l’ordre métaphysique, d’opposer essence et existence, au point de considérer cette distinction réelle comme divisant l’être au moins dans tout ce que nous expérimentons et tout ce que nous concevons en dehors de l’absolue perfection. Or, si l’essence est de son côté une nature intelligible qui présente le maximum de perfection formelle, que va-t-il rester à l’existence, sinon une sorte de réalité attachée à une matérialité individualisante qui sans doute actualise l’essence mais la multiplie dans l’imperfection des accidents particuliers qui échappent à la science ? A ce point de vue l’existence est une dégradation de la pureté de l’essence ; et l’être qui devrait réunir l’une et l’autre demeure comme écartelé, sans qu’on devine comment son développement peut remédier à cette opposition qui semble en effet incurable. Non pas que cette critique doive nous faire méconnaître la vérité fondamentale que véhicule la distinction de l’essence et de l’existence : nous l’avons justifiée, vivifiée, employée dans l’étude du penser ; mais il est pourtant nécessaire ici de reprendre et de compléter cette doctrine de l’existence qui, procédant de l’antique défaveur contre les singularités personnelles, risque toujours de nous ramener à des généralités plutôt qu’à l’estime des êtres considérés en leur originale destinée. Il reste cependant bon de conserver du mot existence la leçon qu’il implique. Précisément parce qu’il évoque l’image de la multiplicité et de l’interdépendance des réalités relatives les unes aux autres, il doit nous empêcher d’isoler les êtres dans leur mystère, et il est utile [56] pour rappeler qu’exister n’est pas encore être pleinement. Par là nous commençons à entrevoir que le problème des êtres comporte une étude de leurs connexions, non point seulement sous l’aspect de rapports extrinsèques, mais dans leur compénétration mutuelle, dans leur assimilation réciproque et — au sens large — dans leur phylogénie indispensable à leur ontogénie. C’est ce que la suite nous fera mieux comprendre. Il est vrai que l’habitude a peu à peu usé et rendu fruste ce terme d’existence qu’on applique à tout le réel. Ou bien quand on veut lui restituer de la vigueur on exagère l’un de ces aspects comme dans le plaisant usage qui, à l’Ecole Normale, prétendait déprécier jusqu’au néant le livre ou le camarade, parfois en apparence très influents, mais dont on ramenait le mérite à ce verdict définitif : il n’existe pas. En ce sens exister semblerait le contraire de tenir de la place dans le monde ; il s’appliquerait aux dessous profonds, à la valeur originale qui n’a pas besoin d’être reconnue pour être (4).

— Mais, pour exprimer cette valeur singulière de l’être, on a recouru plus ordinairement à d’autres métaphores qu’il importe d’examiner parce qu’ici la défiance est de règle et les idola fori ne cessent point facilement de nous en imposer. On croit en effet renforcer le sens du mot être en recourant à des termes qui frappent l’imagination   parce qu’ils nous font comme descendre dans les sous-sols de la réalité. Tel le vocable technique de suppôt ou d’hypostase, plus simplement encore de substrat et de substance. Qu’est-ce à dire, sinon qu’on revient à la fallacieuse conception d’une couche superficielle et d’un centre aussi inexploré que le feu central de notre terre ? C’est toujours cette même illusion que le phénomène, tout en révélant, masque absolument le noumène, ou mieux encore la substance de l’être authentique qui serait, dans son plan sous-jacent, déjà tout constitué, comme un ressort [57] mouvant tout, sans se montrer jamais. Ils abondent les mots qui, dans notre langue et dans bien d’autres, évoquent cette même image et semblent tourner autour du domaine défendu. C’est ainsi que se sont formés avec la même racine et des préfixes variés les concepts imaginatifs qui enveloppent et obstruent l’accès d’un mystère qui est bien réel, mais que tant de métaphores dénaturent en le déplaçant pour le ramener dans un plan où il ne réside pas.

Toutefois quelques indications peuvent être retenues de toute cette fantasmagorie ; et les mots trompeurs eux-mêmes s’accompagnent de nuances et de suggestions utiles à noter. L’être est en effet ce qui, sans s’émietter dans la durée ou l’étendue, persiste, subsiste et consiste en s’alimentant, en transformant sa nourriture, en se coagulant pour ainsi dire dans une solidarité avec tous ses états propres et toutes les autres réalités : solidum quid   et, pour reprendre le terme augustinien, solidificatio. Et déjà par là nous obtenons une notion plus riche, plus exacte que celle suggérée par les métaphores anciennes ὑπόσταις, ὑποκείμεον, faussant plutôt qu’éclairant l’idée de l’οὐσία  .


Ver online : Maurice Blondel