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Waelhens (1942:83-86) – estar-lançado [Geworfenheit]

terça-feira 12 de dezembro de 2023, por Cardoso de Castro

destaque

Na sua forma primitiva, o sentimento da situação originária dá-nos — ou quer-nos dar a entender — que o Dasein   é lançado e abandonado na excentricidade de uma existência que lhe foi imposta. Tal é o "estar-lançado" [déréliction] (Geworfenheit   des Daseins) [SZ  , p. 135]. Há no sentimento deste estar-lançado muito mais do que a constatação de um simples fato: há a insinuação de que este estar-lançado pertence à condição humana enquanto tal: sem estar-lançado no mundo, não podemos estar aí, existir como Da. Mas tenhamos cuidado com o significado exato deste estar-lançado. Ele não deve ser interpretado como exprimindo um acontecimento único, porque é fugaz e acabado, como o fato de ter sido lançado de uma vez por todas ao mundo e entregue passivamente a ele. Não, este estar-lançado é inseparável da responsabilidade a que nos referimos anteriormente. O homem foi lançado ao mundo com a obrigação de se realizar apesar da sua impotência e contra ela, apesar do fato de nenhum homem ter escolhido existir, de cada homem, desde o primeiro momento em que tem consciência de existir, já estar "embarcado". E assim como esta luta nunca termina, a realidade do estar-lançado nunca é apagada ou abolida.

original

Sous sa forme primitive, le sentiment de la situation   originelle nous donne — ou veut nous donner — à entendre que le Dasein est jeté et abandonné dans l’eccéité d’une existence qui lui a été imposée. Telle est la « déréliction » [1] (Geworfenheit des Daseins) [SZ, p. 135]. Il y a dans le sentiment de cette déréliction bien plus que la constatation d’un simple fait : il y a l’insinuation que cet abandon appartient à la condition humaine [84] comme telle : sans déréliction au monde, nous ne pouvons pas être là, exister comme Da. Mais prenons garde à la signification exacte de cet abandon. Il ne faut pas l’interpréter comme exprimant un événement unique, parce que passager et révolu, comme le fait que j’ai été jeté une fois pour toutes dans le monde et passivement livré à lui. Non, cette déréliction est inséparable de la responsabilité à laquelle nous faisions allusion plus haut. L’homme a été abandonné au monde avec l’obligation de s’accomplir en dépit de son impuissance et contre elle, en dépit du fait qu’aucun homme n’a choisi d’exister, que tout homme, dès le premier moment où il a conscience d’exister, est déjà « embarqué ». Et de même que cette lutte n’est jamais achevée, la réalité de la déréliction n’est jamais effacée ou abolie [2]. L’abandon ne sera jamais un fait passé, il est invincible et se continue tout au long de notre existence [SZ, p. 179, 284] dont il est une caractéristique. Il dure de par la lutte même que nous menons contre lui en vue de nous conquérir nous-mêmes. Ce combat empêche que la déréliction ne tourne en fait mort qui a été. Le Dasein se conquiert contre une solitude et un abandon sans cesse renaissants [3]. C’est là une autre manière d’exprimer une thèse connue : le Dasein a pour prix de son existence son propre être [SZ, p. 179]. La déréliction, dans sa signification complète, exprime le mode l’exister d’un être qui, jeté dans le monde sans avoir été appelé à y consentir, ne sera que grace à ses propres possibilités et ne se comprendra que par elles [4].

Il est dès lors évident que la saisie expresse de la déréliction relèvera de la compréhension authentique de l’existence [SZ, p. 221]. Aussi [85] voit-on que si une telle révélation est constamment insinuée par le sentiment de la situation originelle et ses dérivés, celle-ci doit être aussi constamment entravée par les tendances quiétistes de l’existence journalière. De là provient que le Dasein n’arrive que rarement à retirer de ses états affectifs ce qu’ils contiennent en réalité. De là, ce travestissement et cette déformation que nous leur imposons habituellement lorsque nous nous efforçons de les interpréter et de les comprendre [SZ, p. 135-136]. Ceci parce que, d’abord, les puissances de la raison n’explorent pas aisément les abîmes accessibles aux « raisons du cœur », et ensuite, parce que les « raisons du cœur » elles-mêmes n’ont pas la latitude de se manifester librement, le Dasein étant le plus souvent bien résolu à ne pas entendre ce qu’elles ont à lui dire.

Ajoutons enfin que le sentiment de la situation originelle ne doit pas être compris suivant l’acception ordinaire du mot : sentiment. Il ne s’agit en aucune façon de la coloration affective d’un événement extérieur. On imagine volontiers que la tristesse éprouvée à la mort d’une personne aimée constitue une sorte de commentaire intérieur faisant suite à un événement extérieur : le décès de l’ami. Pareille interprétation est sans doute erronée pour tous les sentiments, elle l’est sûrement pour la Befindlichkeit  . Celle-ci est rigoureusement simultanée (gleichursprünglich) à la déréliction et à la constitution de l’eccéité dont elle est, du reste, une composante [5].

Le sentiment de notre situation originelle est, on l’a dit, à la source de tous nos états affectifs. Si donc nous venions à constater que, par exemple, le monde est capable de nous émouvoir et de nous affecter, il faudrait ramener cette possibilité au sentiment de la Befindlichkeit [SZ, p. 137]. C’est celui-ci, précisément, qui nous révèle notre mise en présence du monde dans le Da, nous « sensibilise » vis-à-vis de lui [SZ. p. 137]. Pareille sensibilité est la [86] condition même du fonctionnement régulier de nos sens [6]. En dehors d’elle, s’il nous advenait par impossible d’enregistrer des données sensorielles, nous resterions à leur égard indifférents et inertes, ce qui leur retirerait toute efficacité. Un monde réduit à la notion de pur spectacle serait pour nous comme s’il n’était pas.


Ver online : Alphonse Waelhens


WAELHENS, A. D. La Philosophie de Martin Heidegger. Lausanne: Éd. de l’Institut supérieur de philosophie, 1942.


[1Nous empruntons cette traduction du mot Geworfenheit à Μ. Corbin (Qu’est-ce que la méthaphysique? p. 15)

[2La Geworfenheit n’est pas un « abgeschlossenes Faktum » (SZ, P· 179).

[3Il s’agit ici non de la solitude de l’homme vis-à-vis de l’homme, que Heidegger se flatte d’éliminer, mais de la solitude de la nature humaine qui n est pas aidée dans sa lutte pour l’existence. Heidegger ne dit pas — mais on le comprend sans peine — quelle est cette aide sur laquelle nous avons tendance à compter et qui nous fait irrémédiablement défaut.

[4«Die Geworfenheit aber ist die Seinsart eines Seienden, das je seine Möglichkeiten selbst ist, so zwar, dass es sich in und aus ihnen versteht…» (SZ, p. 181). Aussi p. 284.

[5« Sie (die Stimmung) kommt weder von , Aussen ’ noch von , Innen ’ sondern steigt als Weise des In-der-Welt-seins aus diesem selbst auf» (SZ, p. 136).

[6« Die Gestimmtheit der Befindlichkeit konstituiert existenzial die Weltoffenheit des Daseins» (SZ, p, 137). On retrouve la même doctrine chez bon nombre de penseurs contemporains. Pour Gabriel Marcel notamment la sensation ne fait qu’exprimer notre participation au monde, participation qui est elle-même constituée par notre condition d’être incarné (Cf. l’être incarné, repère central de la réflexion métaphysique, article cité, pp. 114, 115, 116).