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Philosophies de la communication

Schérer (1971:23-32) – La critique du fondement psychologique dans les sciences de l’esprit

Élucidation théorique des fondements de la communication

quarta-feira 14 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

qu’entendons-nous par le mot « esprit » ? que voulons-nous dire lorsque nous affirmons que les sciences de l’homme exigent une communication « spirituelle » comme fondement ? le « comprendre » peut-il être détaché d’une participation affective dont rien ne nous indique qu’elle n’est pas une simple projection de nous-mêmes en autrui ?

Si la notion de Science de l’esprit doit être conservée, il est donc nécessaire qu’elle subisse elle-même une critique : qu’entendons-nous par le mot « esprit » ? que voulons-nous dire lorsque nous affirmons que les sciences de l’homme exigent une communication « spirituelle » comme fondement ? le « comprendre » peut-il être détaché d’une participation affective dont rien ne nous indique qu’elle n’est pas une simple projection de nous-mêmes en autrui ?

A moins qu’elle ne cède à la tentation de s’enfermer dans une conviction intérieure source de toute décision, une théorie de la connaissance d’autrui ne peut éviter de telles questions qui restaurent devant les affirmations de l’expérience les droits de l’exigence logique. C’est à une telle exigence, et par opposition aux insuffisances théoriques de la Lebensphilosophie   que répondra en particulier l’ouvrage de H. Rickert Die Grenzen der naturwissenschaftlichen Begriffsbildung  .

A l’évidence de la notion « d’esprit », telle que l’entend Dilthey  , Rickert oppose l’impossibilité de lui accorder un statut logiquement défini : le terme a en effet des implications psychologiques qui le rendent soit indéterminé, soit trop déterminé; indéterminé, en ce qu’il peut recouvrir par définition toute forme d’activité humaine, trop déterminé en ce qu’il reçoit un contenu strictement psychologique. Mais une science humaine comme l’histoire ne peut présupposer une psychologie   qu’elle a au contraire à préciser et même à faire naître dans son contenu ; si les figures historiques appartiennent à un univers spirituel, elles ne peuvent être réduites aux données de la conscience interne. La principale difficulté que rencontre l’usage de la notion d’esprit est qu’elle implique un être réel, psychique, alors que ce que vise le spirituel est au contraire un irréel. Le concept de culture, celui d’histoire, sont donc plus riches dans leur signification totale que le concept d’Esprit par lequel on entend les élucider. Ainsi Rickert préférera-t-il opposer Culture et Nature, Histoire et Nature, qu’Esprit et Nature ; la netteté logique gagne à cette substitution. Il ne s’agit pas là d’une « lutte de mots » mais d’une précision nécessaire et qui lève d’emblée l’hypothèque du psychologisme.

Par ce déplacement de l’intérêt accordé aux Sciences de l’Esprit, la notion même de compréhension qui, chez Dilthey, constitue la base de la méthode historique, en tant qu’elle permet l’accès à l’autre, reçoit une modification importante. En effet, pour Dilthey, la compréhension est une opération psychique irréductible et s’opère par assimilation entre deux contenus psychiques réels. Mais cette opération supposée réelle est justement ce qui, du point de vue critique, est indéterminable. En d’autres termes, nous ne pouvons savoir si une telle expérience première est effectivement donnée. La différence entre une explication propre aux sciences de la nature et une compréhension qui trouve sa place dans une science de l’esprit et en particulier dans l’histoire, ne coïncide pas avec une différence entre pensée conceptuelle et non conceptuelle, pas plus qu’avec l’opposition entre une expérience vécue et une méthode logique. Le « comprendre » n’est pas une opération réelle, au sens psychologique du terme, mais la saisie d’un sens. Les figures historiques et culturelles nous sont données pourvues d’une signification, l’appréhension de cette signification définit le comprendre. Il s’ensuit que le recours à la compréhension ne signifie pas un abandon de la pensée conceptuelle devant les forces obscures de l’âme. La psychologie compréhensive cède à la tentation d’opposer la compréhension à l’intellection comme l’intuition à la pensée, mais elle coupe par là la sphère accessible à la compréhension de tout travail de connaissance qui peut enrichir cette compréhension et fait corps avec elle-même :

« La plus petite adjonction, utile pour une clarification conceptuelle, me paraît scientifiquement plus valable que le silence profond et les mystères de la compréhension dans les sciences de l’esprit » (o.c, p. 159, note).

D’autre part, la psychologie compréhensive entend, par sa définition psychologique de la compréhension, atteindre l’individuel, alors que le concept n’atteindrait que le général. C’est au contraire, pour Rickert, le « psychologisme », sous quelque forme qu’il se présente, qui ne peut dépasser le cadre de catégories généralisantes. Si la compréhension est l’appréhension d’un sens, elle peut conserver son caractère individualisant, sans abandonner son caractère conceptuel. Il sera nécessaire de forger alors la notion de « concept individuel » dont la base est la compréhension du sens irréel : dans l’analyse du sens se trouve ainsi dépassé le cadre rigide du concept kantien universel.

La compréhension du sens substituée à la compréhension psychologique doit donc permettre de résoudre une des apories centrales du psychologisme : celle précisément de l’altérité, de l’accès de la conscience à un autre contenu que le sien propre. Prenons l’histoire comme thème, puisqu’aussi bien c’est à propos de l’histoire que ces théories de la communication s’opposent. L’histoire présuppose toujours des individus psycho  -physiques réels, ayant un autre contenu de conscience que celui de l’historien ; la question que celui-ci se posera alors est la suivante : comment parvenir à saisir !e contenu des « âmes » réelles ? supposerons-nous une relation, une fusion immédiate de ces entités ? C’est ce que fait la psychologie en pensant trouver ainsi une solution immédiate au problème de la communication. Elle traite comme des données de l’intuition des possibilités de projection, de reviviscence. Mais, s’il est vrai que l’individuation s’achevant dans l’existence réelle est bien le but de toute théorie de la communication, si la compréhension se termine dans la vie psychique de tel individu particulier, il n’est pas vrai pour autant que le contenu de cette vie soit donné immédiatement ni puisse l’être, sinon à la faveur d’une illusion   qui ferme sur lui-même le sujet de la connaissance. D’où la proposition fondamentale : « nous n’atteignons fa vie de l’âme étrangère dans sa réalité que par un détour » (ibid, p. 572). Le « revivre » souhaité n’est l’objet d’aucune intuition psychologique ou métaphysique. La solution du problème de l’accès au moi étranger se trouve d’abord dans la découverte du sens de cette individualité qui ne se confond pas avec sa vie psychique, et qui n’est pas un événement dans ma propre vie psychique, mais précisément sens « étranger ». Je peux le comprendre parce qu’il n’est pas dans l’être psychique fermé en soi comme une monade, mais parce qu’il est irréel et que par suite, quoi qu’étant individualisé, il porte en lui la possibilité d’être accessible à toute conscience. Ce que nous comprenons n’est pas l’autre psychiquement réalisé, mais « le sens irréel individuel de la vie réelle de l’âme d’une individualité étrangère ». Le sens est ainsi le « pont » permettant le passage à l’individualité réelle de l’autre.

Précisons ce dernier point : la compréhension pure et simple, du sens en général, ne suffit pas à résoudre le problème de la communication. Il est possible que nous comprenions le sens des paroles d’autrui sans communiquer avec lui : nous n’adhérons pas à son jugement, nous ne pouvons pas le revivre, par suite il nous est d’une certaine manière « incompréhensible ». Nous atteignons alors un sens « libre » qui plane librement (frei   schwebt) entre nous et autrui. La véritable compréhension génératrice de communication exige quelque chose de plus : la saisie de l’individualité, la possibilité de vivre avec elle, ce que la psychologie relie en effet à une Einfühlung  . Alors que, pour le psychologue, cette dernière notion est donnée de l’expérience intérieure originaire, pour Rickert elle se fonde encore sur une médiation. Lorsque nous parlons d’une possibilité de revivre l’expérience vécue par autrui, nous pensons essentiellement à l’individualité de cette expérience ; or, cette individualité est elle-même un sens irréel que nous attribuons à autrui et non sa monade psychique » proprement dite. Revivre l’expérience d’autrui, ou vivre avec lui la même expérience, ne procède pas d’une fusion ou d’une projection psychologique, mais de l’appréhension de ce sens individuel, lié chez l’autre à son expérience psychique et chez moi à ma propre expérience vécue. Dans la compréhension individuelle, l’autre reste donc à la fois étranger et accessible. Dans ce cas c’est donc toujours l’appréhension du sens irréel qui constitue le pont sans lequel les consciences resteraient, dans leur immanence psychologique, inaccessibles l’une à l’autre. Ainsi, dans la reconnaissance de ces couches de sens se trouve dissipé le mystère de la pénétration de l’âme d’autrui, obstacle que la psychologie ne peut franchir que par le recours à une métaphysique implicite. Accepter l’ « irréalité » du sens n’est pas rendre la communication, et la science fondée sur une communication, « irréelles » au sens d’inexistantes, mais dégager au contraire leurs seules conditions de possibilité. Par contre, l’orientation vers le réel ou le prétendu réel psychique aboutit à une impasse et au contraire de ce qui est visé.

A partir de ces précisions nous arrivons au centre de la théorie : c’est que ce sens est la vérité même de l’individualité considérée. Seule une doctrine qui s’enferme dans le psychologisme pouvait confondre le spirituel avec le psychologique, l’âme. En fait, le fond même de l’individualité est son sens, auquel elle adhère et par lequel elle se manifeste, ou, comme le dira aussi Rickert, sa valeur. La notion de valeur constitue le fondement ultime de cette méthode compréhensive. L’existence sociale et historique est orientée par un devoir être, une raison pratique au sens kantien, qui se dépose dans ces objectivités apparentes que sont l’esprit, l’âme d’un peuple, la culture : il y a là un a priori   qui oriente l’histoire avant toute étude empirique inductive. La valeur est le sens en tant qu’il est pris dans le devoir-être historique, et c’est par elle que s’opère la jonction entre l’histoire passée (passé réel) et l’histoire comme connaissance historique, proprement dite. L’affirmation du primat de la valeur ne signifie pas pour autant que nous réduisions dans une appréciation subjective toute communication historique à une valeur déterminée, ni que nous soyons en mesure de décider du contenu de toute valeur. Le principe est la « forme » universelle de la valeur, en tant qu’elle repose sur l’homme voulant et agissant:

« Sous le terme de valeur nous ne comprenons pas les biens réels auxquels les valeurs sont inhérentes, ni les actes réels de valorisation… Nous pensons les valeurs irréelles, séparables conceptuellement de la réalité, en référence auxquelles existe le sens des biens de culture, et nous traitons ceux-ci en tant qu’ils valent comme valeurs » (ibid., p. 699).

Sans cette présupposition de principe, toute compréhension historique, toute définition de « types » ou de Weltanschauungen, non seulement est impossible, mais n’a pas de sens. C’est elle encore qui permet d’éclairer le problème des rapports, au sein   de la totalité historique, des communications interindividuelles et de l’universalité de l’histoire comme totalisation des rapports humains. Contre un individualisme et un personnalisme qui dissout l’histoire en une œuvre de personnalités particulières, Rickert affirme le lien essentiel, par la médiation de la valeur, entre l’individualité et l’universel.

La théorie des valeurs et des sens atteint en effet un universalisme auquel la psychologie ne peut accéder : l’universalité de celle-ci ne peut être que naturelle, mais elle entre alors en contradiction avec le projet historique, tandis que le Wertprinzip, tirant sa justification la plus générale de l’activité humaine en tant que volonté, ne dépend plus d’aucune loi de la nature et fonde au contraire le projet même d’une science de la nature, comme celui des sciences de l’esprit.

C’est pourtant ce dernier concept qui, tout en conférant à la doctrine sa belle cohérence interne, risque de fausser l’objet auquel elle s’applique, et, par le recours à un fondement dans une « raison pratique », de dissimuler la communication effective. Bien qu’entendant réfuter et dépasser le psychologisme, Rickert reste prisonnier de son postulat: que la communication n’est possible et compréhensible que par la persistance de quelque chose d’identique, de pénétrable intérieurement dans des consciences. Au plan de l’histoire, il apparaît de façon particulièrement nette que ce genre de fondation sera toujours, ou inutile, ou illusoire. Le domaine historique pensé comme unité de communication — cette thèse sera plus loin mise en question — met, certes, en relation à la fois des significations, des individualités, des valeurs. Mais, en thématisant la communication autour du sujet du savoir historique, et en dépit du détour par l’appréhension non psychologique du sens, Rickert ne peut éviter de suspendre l’ensemble de l’analyse théorique à une métaphysique de la volonté. C’est que le sujet historique premier et absolu reste celui de l’historien, qui forge la théorie fantasmatique d’une communauté rétrospective des consciences. Comprenant à juste titre qu’il ne peut identifier réellement ni psychologiquement le contenu de conscience des « autres », il ne peut toutefois, en raison même de l’orientation de sa méthode, éviter d’avoir recours au postulat d’une persistance de la valeur, c’est-à-dire d’une volonté transhistorique dans sa forme. Ce qui, concrètement, signifiera alors : le fondement de la recherche historique, la condition de sa possibilité, est une première communication idéale donnée avec l’attribution à l’humanité historique d’une volonté commune.

Mais une telle affirmation est, ou un truisme, ou un postulat métaphysique, ou encore une sorte de psychologisme qui s’ignore. Kant   échappait à cette difficulté par l’abstraction, au sein du concept de la communauté rationnelle, de la constitution historique à la fois du sens et de la valeur. Alors que, dès que l’idée de la communication historique effective entre en jeu, le point de vue du « formalisme pratique » ne peut, sinon au prix d’une équivoque où les différences se dissolvent, se greffer sur le formalisme théorique qui semble pourtant l’avoir appelé. On ne parviendra pas à inférer une communication interne des valeurs de l’appréhension théorique du sens : ce transfert indu est le « pas » par où le psychologisme ou une métaphysique de la volonté risquent toujours à nouveau de se glisser.

Retenant toutefois la haute signification épistémologique de l’analyse de Rickert en ce qui concerne l’appréhension du sens, la critique rigoureuse qu’elle indique d’une théorie qui conçoit le fondement de la communication (de l’unité communicative) comme une mise en relation interne de psychismes individuels, nous soulignerons son importance épistémologique pour les sciences humaines contemporaines. C’est, sinon en se référant à ce principe, du moins en le justifiant par leur pratique même, qu’elles ont pu dépasser la limitation imposée par une interpsychologie, et aborder de façon compréhensive des domaines dont la conception diltheyenne rendait théoriquement l’accès impossible : celui du mythe éminemment. Seulement, il s’agira, dans cette pratique, d’une toute autre orientation que celle dont Rickert est resté encore prisonnier. Un déplacement d’intérêt porte l’analyse du sens vers une problématique différente qui est celle des structures, de communication, ou encore, pour conserver le langage kantien, celle d’un a priori qui est le lieu même de la constitution et de la manifestation du sens. L’a priori plus radical que le psychisme en tant qu’intériorité ou fonction ou vision déterminée, que la valeur en tant qu’expression d’une volonté, est la forme universelle dans laquelle les différentes activités humaines et les communications prennent sens. Comme nous entendons ici poursuivre dans ses avatars l’interrogation critique, nous la chercherons au lieu où, abandonnant le point de vue de la relation pure entre sujets, plus précisément de la relation entre le sujet de la connaissance et les « autres », elle s’attache à la structure de la communication. Elle trouve alors comme plan ultime de résistance à une réduction psychologique ou axiologique, et au cœur même du sens, ce qui pouvait être traité en lui comme simple médiation empirique, mais qui apparaît maintenant comme le véritable a priori, et même un a priori de constitution, la forme symbolique, le langage.


Ver online : René Schérer