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Philosophies de la communication

Schérer (1971:125-128) – Les concepts psychanalytiques

Justification et critique de la philosophie de Binswanger : la Wirheit par-delà l’individu

quarta-feira 14 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

Il reste que le nous que vise la théorie de Binswanger  , n’est pas d’abord essentiellement ce nous idéalisé mais, plus profondément la « possibilité d’ouverture » se trouvant dans le moi lui-même et permettant les phénomènes d’identification (ou de transfert dans la pratique psychanalytique).

Ce sont les concepts de l’inconscient, indiquant en tout individu une présence qui échappe au moi et qui, tout en appartenant au destin individuel ne se laisse plus enfermer dans l’instance psychologique du je. Les notions de libido, du ça, renvoient à quelque chose de plus originel que le sujet. S’il est possible de rattacher ces notions à une « Wirheit   » dont elles découlent, la psychanalyse sera alors la traduction anthropologique et temporelle de ce fondement ontologique (voir Binswanger  , Ausgewählte Vorträge).

Sur un certain plan une telle interprétation semble convenir aux conceptions psychanalytiques. La libido ne se laisse pas comprendre simplement comme instinct naturel. Si l’instinct est une notion spécifique, ayant sa fin dans un objet déterminé, la libido n’appartient déjà plus au monde instinctuel : toute l’œuvre de Freud   consacrée à la sexualité s’attache au contraire à montrer comment la tendance peut être indépendante de son objet naturel, celui-ci n’étant conquis qu’à la fin d’un processus   au cours duquel varient les choix objectaux. A la conception naturaliste univoque de la rencontre sexualisée, Freud substitue une conception complexe faisant de « l’évidence » du toi sexué le résultat d’un processus, non une origine. [126] Toute théorie naturelle de la « rencontre » est donc renvoyée par la psychanalyse à cette genèse inconsciente au cours de l’histoire individuelle. On peut voir alors dans la libido l’expression d’une autre rencontre plus originaire, d’une ouverture sur une présence d’où découleront les choix objectaux et les communications mondaines dans la vie consciente. Puisque la libido ne peut être assimilée à un « instinct du moi », puisque selon Freud l’instinct du moi a plutôt pour fin dernière la résorption de l’individu dans la mort, n’est-elle pas ce qui permet l’ouverture sur l’autre, la puissance dynamique qui arrache dès l’origine l’individu à lui-même et le met en relation ?

Mais cette relation est-elle celle du nous ? Pour qu’il y ait nous, la présence d’un je et d’un tu personnels n’est-elle pas nécessaire? N’est-ce pas une interprétation abusive que de voir, dans les premières traces de la fixation amoureuse, celle de l’enfant sur la mère, le signe d’une nous-ité fondamentale ? Que la libido soit, dans la doctrine freudienne, liée à l’idée d’un triomphe sur la vie et la mort individuelle, cela est incontestable; elle ne peut se comprendre que par relation à un ordre qui n’est plus subjectivement réductible. Or, dans la littéralité du texte freudien, ce n’est pas à un nous, mais à un impersonnel que cet ordre se rattache : la présence qui, en moi, m’ouvre ou me ferme à la communication est celle d’un ça, non celle d’un nous. La libido ne peut jamais être considérée comme principe immédiat d’une union suprapersonnelle, ni comme dépassement réciproque de perspectives individuelles. Ce n’est pas dans un nous, c’est-à-dire un je et un tu distincts personnellement que s’effectue la première fixation à la mère ; la formation du nous est au contraire le résultat de processus complexes; elle exige le refoulement de pulsions se sublimant dans l’idéal du moi qui a triomphé de la libido [127] par une identification positive   ; aussi la libido n’est-elle sous sa forme sexualisée que la recherche d’une satisfaction, et aucunement facteur d’une communication. La théorie freudienne du nous repose donc sur un tout autre principe que celui d’un nous originaire : le nous se constitue à partir du renoncement à la possession exclusive de l’objet du désir, par une identification avec les rivaux, en la personne idéale du père. Ce nous est une construction idéale, sur un fond d’hostilité jalouse : loin d’exalter le nous et de lui conférer une transcendance absolue, la psychanalyse s’applique au contraire à dévoiler, dans les communications idéales, les ressorts cachés, faits d’oppositions et de négativité. Toutefois, comme ces oppositions se fondent sur autre chose que sur une psychologie   de l’égoïsme et de l’intérêt individuel, leur résolution peut-être positive. Pour être sublimé, le nous n’en est pas moins authentiquement fondé et le processus sur lequel il s’appuie, celui de l’identification, indique bien que les moi sont ouverts et non clos en leur réalité monadique. Il s’ensuit que, tout en prenant sa source dans les profondeurs du ça, et se découvrant au stade d’idéalisation de celui-ci, la communication passe nécessairement par la médiation du moi. Elle n’est pas immédiatement donnée, mais constituée. Le secret de ce processus est à chercher dans la structure du moi qui n’est aucunement un être immobile et se suffisant à lui-même, pas plus qu’il n’est assimilable à une zone claire assumée totalement par la conscience planant au-dessus d’une libido inconsciente. Comme l’écrit J. Lacan   : «le moi est un phénomène dans le sujet» (Le problème de la psychogenèse). Et le « nous », s’il faut lui donner un sens, passant nécessairement par les identifications idéalisantes, n’est pas une origine mais une conclusion.

Il reste que le nous que vise la théorie de Binswanger, n’est pas d’abord essentiellement ce nous idéalisé mais, [128] plus profondément la « possibilité d’ouverture » se trouvant dans le moi lui-même et permettant les phénomènes d’identification (ou de transfert dans la pratique psychanalytique). Contestable en ce qui concerne l’affirmation d’un rattachement direct de la libido à une structure de communication se fondant dans une Wirheit, cette thèse acquiert une plus grande vraisemblance et une plus grande validité lorsqu’elle postule à la base de tous ces phénomènes relationnels considérés comme naturels, un a priori   ontologique dans lequel le moi fonde la possibilité d’aller vers l’autre. Ce faisant, elle étend son exigence de fondation ontologique au-delà de l’interprétation théorique dans le domaine de la pratique thérapeutique, et fend à légitimer cette exigence par la pratique elle-même.

Or, la pratique psychanalytique ne repose-t-elle pas sur l’actualisation d’une relation duelle dans laquelle doit se révéler l’être du sujet, donc sur le fondement d’une communication qui, si elle concerne l’être, ne peut plus être un fait contingent, mais doit se rapporter à l’essence d’une situation   globale ? La Daseinsanalyse   y trouverait alors sa véritable légitimation.


Ver online : René Schérer