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Philosophies de la communication

Schérer (1971:12-16) – La solution psychologique du problème de la connaissance d’autrui et de la communication par l’Einfühlung

Élucidation theorique des fondements de la communication

quarta-feira 14 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

En présence des phénomènes d’accès à une réalité psychique étrangère et dont le caractère descriptif était faussé par une reconstitution génétique, certains psychologues, à la fin du XIXe siècle, ont été amenés à franchir les limites imposées par l’analyse traditionnelle de la conscience individuelle. Quoiqu’il appartînt à la phénoménologie husserlienne de libérer la conscience psychologique de l’ « idole » de la conscience interne (Max Scheler  ), la notion d’Einfühlung   avec ses insuffisances, et en raison de ces insuffisances mêmes, représente un moment important dans l’effort pour élucider psychologiquement la nature de la communication.

Concept permettant de fonder d’autres phénomènes psychologiques qui apparaîtront alors comme dérivés, l’Einfühfung) est introduite par Th. Lipps (Grundlegung   der Aesthetik) dans l’interprétation des phénomènes généraux de la relation à autrui. Vécue par moi, elle est, au sein   de l’intériorité, l’annonce   de l’existence psychique de l’autre, par-delà la face physique qu’il présente : elle permet la perception de la réalité psychique d’autrui, par exemple «la fierté dans le regard» (« Je vois en l’œil immédiatement ce qu’il signifie ») la participation à ses sentiments et, en ce sens, éclaire psychologiquement les phénomènes de sympathie, traités ordinairement en tant que phénomènes biologiques, ou en tant qu’assimilation analogique : « je vis la joie d’autrui dans ses attitudes, écrit Lipps, et il en est ainsi de tout sentiment avec lequel je peux communiquer librement, que je peux faire mien » (o.c. p. 107).

Mais comment l’Einfühlung surgit-elle ? Comment, en elle, peut-il s’agir, non d’une simple représentation commune à deux consciences isolées par principe, mais d’un « co-vivre » ? Lipps, dans son analyse, exclut qu’il s’agisse seulement d’un phénomène associatif comme le considère l’empirisme, ou d’une conclusion à partir de signes vus en autrui, et ramenés à des phénomènes internes en moi. L’enfant, note-t-il, perçoit très tôt le sourire : il a une forme de compréhension obscure des sentiments favorables qui lui sont liés. Est-ce une imitation ? mais le modèle resterait étranger, il ne pourrait y avoir inférence d’une expérience interne isolée correspondante à l’attitude de l’individu perçu, ni, par suite, correspondance entre l’image perçue et une intériorité, s’il n’y avait une expérience plus immédiate à laquelle nous nous référons et au-delà de laquelle nous ne pouvons, descriptivement, remonter. Cette expérience irréductible est l’Einfühlung. Alors que les thèses empiristes et associationistes, par leur interprétation génétique, faussent la spécificité des rapports à autrui en les construisant sur la base commune de l’association-imitation, Lipps distingue au contraire, par la voie descriptive, plusieurs couches qualitativement distinctes dans lesquelles l’Einfühlung joue un rôle, depuis l’imitation tout extérieure jusqu’à une conscience purement interne et une compréhension intellectuelle d’autrui ; dans tout ceci le phénomène vécu premier n’est pas ce qui est vécu simplement en moi, mais l’unité de moi-même et de l’individu étranger. Être en « intropathie » avec quelqu’un c’est, dit Lipps, sentir quelque chose en cet autre ; ce vivre (erleben) et ce co-vivre (Miterleben) pouvant revêtir des aspects positifs ou négatifs (dans la répulsion). Par suite, l’Einfühlung se trouve placée comme phénomène de fondement à la base de la signification elle-même et du symbole, en particulier du symbole esthétique : dans le signe et le symbole, nous vivons bien immédiatement un autre, notre conscience psychique interne est en même temps conscience possible d’autrui.

Cependant l’extension même de la notion d’Einfühlung n’est pas sans présenter certaines ambiguïtés qui se transformeront rapidement en insuffisance. Ou bien, il s’agit d’une expérience psychique d’identification, accompagnée d’un contenu psychique déterminé et effectivement ressenti comme tel, mais dans ce cas cette expérience n’est pas généralisable à d’autres contenus, ou bien sous le nom d’Einfühlung est compris tout le domaine du sens ; mais comment pouvons-nous être alors assurés qu’il s’agisse d’une expérience psychique assignable ? L’expérience n’a-t-elle pas été remplacée subrepticement par un concept explicatif, auquel ne correspond plus aucune conscience propre d’identification ? Partis d’une description psychologique précise nous nous trouvons en présence d’un « je ne sais quoi ». Ce glissement vers une abstraction prise pour une élucidation concrète est particulièrement sensible dans l’effort d’étendre l’explication par Einfühlung au domaine de l’esthétique dans son ensemble : tout sentiment esthétique sera, selon Lipps, réductible à une intropathie sous-jacente, qui ira jusqu’à se dissoudre dans un sentiment très vague de la nature et de la vie ; entre la généralité du principe et le détail de l’expression effective, la distance devient telle que le principe perd sa puissance explicative : plus rien ne peut légitimer que le principe corresponde à une expérience authentique et ne soit pure création verbale.

Alors, c’est la valeur même de la fondation des phénomènes de connaissance d’autrui, de communication, de signification, par une expérience psychique première qui se trouve ébranlée. L’Einfühlung ne serait-elle pas un simple retentissement, dans la conscience psychologique, d’une conscience plus originaire de « l’autre »? En admettant que nous acceptions sa validité sur le plan de la description psychologique, l’intropathie peut-elle résister à une interrogation critique : n’y a-t-il pas une conscience du sens irréductible à elle ? La critique néo  -kantienne d’une part, la phénoménologie d’autre part, reprendront ces questions ainsi que l’ensemble du problème de la communication au niveau où les a portés la psychologie   de l’Einfühlung pour procéder à une recherche plus radicale.

Du reste, l’interprétation psychologique elle-même se heurte, dans son propre mouvement, à une problématique plus féconde lorsqu’elle quitte le plan de la description d’une simple conscience « naturelle » pour s’interroger sur la relation entre l’expérience vécue et les concepts qui l’expriment: cette jonction, elle la trouvera non dans la considération d’expériences isolées de tout contexte, mais dans des expériences pourvues de sens, et, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, d’une façon privilégiée dans la communication historique. Nous allons maintenant envisager ce second point.


Ver online : René Schérer