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La mémoire, l’histoire, l’oubli

Ricoeur (2000:5-7) – Memória e Imaginação (nota inicial)

terça-feira 28 de novembro de 2023, por Cardoso de Castro

Ao submeter-se ao primado da questão "o quê", a fenomenologia da memória confronta-se desde logo com uma formidável aporia que a linguagem corrente suporta: a presença em que parece consistir a representação do passado parece ser, de facto, a de uma imagem. Dizemos indistintamente que representamos um acontecimento passado ou que temos uma imagem dele, que pode ser visual ou auditiva.

En se soumettant au primat de la question « quoi ? », la phénoménologie de la mémoire se voit confrontée d’entrée de jeu à une redoutable aporie que le langage ordinaire cautionne : la présence en laquelle semble consister la représentation du passé paraît bien être celle d’une image. On dit indistinctement qu’on se représente un événement passé ou qu’on en a une image, laquelle peut être quasi visuelle ou auditive. Par-delà le langage ordinaire, une longue tradition   philosophique, qui conjoint de façon surprenante l’influence de l’empirisme de langue anglaise et le grand rationalisme de facture cartésienne, fait de la mémoire une province de l’imagination  , laquelle était déjà depuis longtemps traitée avec suspicion, comme on le voit chez Montaigne et Pascal  . C’est encore le cas de façon hautement significative chez Spinoza  . On lit ceci dans la Proposition 18 du Livre II de l’Éthique, « De la nature et de l’origine de l’âme » : « Si le corps humain a été affecté une fois par deux ou plusieurs corps simultanément, sitôt que l’Âme imaginera plus tard l’un des deux, il lui souviendra aussi des autres. » C’est sous le signe de l’association des idées qu’est placée cette sorte de court-circuit entre mémoire et imagination : si ces deux affections sont liées par contiguïté, évoquer l’une – donc imaginer –, c’est évoquer l’autre, donc s’en souvenir. La mémoire, réduite au rappel, opère ainsi dans le sillage de l’imagination. Or l’imagination, prise en elle-même, est située au bas de l’échelle des modes de connaissance, sous le titre des affections soumises au régime d’enchaînement des choses extérieures au corps humain, comme le souligne la scolie qui suit : « Cet enchaînement se fait suivant l’ordre et l’enchaînement des affections du corps humain pour le distinguer de l’enchaînement des idées qui se fait suivant l’ordre de l’entendement » (Éthique, trad. Appuhn, p. 166-167). Cette déclaration est d’autant plus remarquable que l’on lit chez Spinoza une magnifique définition du temps, ou plutôt de la durée, comme « continuation de l’existence ». L’étonnant est que la mémoire ne soit pas mise en rapport avec cette appréhension du temps. Et comme la mémoire, considérée par ailleurs comme mode d’éducation, au titre de la mémorisation des textes traditionnels, a mauvaise réputation – voyez le Discours de la méthode de Descartes   –, rien ne vient au secours de la mémoire comme fonction spécifique de l’accès au passé.

C’est à contre-courant de cette tradition d’abaissement de la mémoire, dans les marges d’une critique de l’imagination, qu’il doit être procédé à un découplage de l’imagination et de la mémoire, aussi loin qu’il est possible de mener l’opération. L’idée directrice en est la différence qu’on peut dire eidétique entre deux visées, deux intentionnalités : l’une, celle de l’imagination, dirigée vers le fantastique, la fiction, l’irréel, le possible, l’utopique ; l’autre, celle de la mémoire, vers la réalité antérieure, l’antériorité constituant la marque temporelle par excellence de la « chose souvenue », du « souvenu » en tant que tel.

Les difficultés de cette opération de découplage remontent à l’origine grecque de la problématique (section I). D’un côté, la théorie platonicienne de l’eikōn met l’accent principal sur le phénomène de présence d’une chose absente, la référence au temps passé restant implicite. Cette problématique de l’eikōn a elle-même sa pertinence et son instance propre, comme l’attestera la suite de nos investigations. Néanmoins, elle a pu faire obstacle à la reconnaissance de la spécificité de la fonction proprement temporalisante de la mémoire. C’est du côté d’Aristote   qu’il faut se tourner pour recueillir l’aveu de cette spécificité. La fière déclaration qu’on lit dans le magnifique petit texte des Parva Naturalia « De la mémoire et de la réminiscence » – « La mémoire est du temps » – deviendra notre étoile directrice pour la suite de notre exploration.

La partie centrale de cette étude sera consacrée à une tentative de typologie des phénomènes mnémoniques (section II). En dépit de son apparente dispersion, elle vise à travers une série d’approximations à cerner l’expérience princeps de distance temporelle, de profondeur du temps passé. Je ne cache pas que ce plaidoyer pour l’indice de différenciation de la mémoire devrait être couplé à une révision parallèle de la thématique de l’imaginaire, telle que celle entreprise par Sartre   dans ses deux livres L’Imagination et L’Imaginaire, révision tendant à déloger l’image de son prétendu lieu « dans » la conscience. La critique de l’image-tableau deviendrait ainsi une pièce du dossier commun à l’imagination et à la mémoire, dossier ouvert par le thème platonicien de la présence de l’absent.

Mais je ne pense pas qu’on puisse s’en tenir à cette double opération de spécification de l’imaginaire et du souvenir. Il doit y avoir dans l’expérience vive de la mémoire un trait irréductible qui explique l’insistance de la confusion dont témoigne l’expression d’image-souvenir. Il semble bien que le retour du souvenir ne puisse se faire que sur le mode du devenir-image. La révision parallèle de la phénoménologie du souvenir et de celle de l’image trouverait sa limite dans le processus   de mise en images du souvenir (section III).

La menace permanente de confusion entre remémoration et imagination, résultant de ce devenir-image du souvenir, affecte l’ambition de fidélité en laquelle se résume la fonction véritative de la mémoire. Et pourtant…

Et pourtant nous n’avons pas mieux que la mémoire pour assurer que quelque chose s’est passé avant que nous en formions le souvenir. L’historiographie elle-même, disons-le dès maintenant, ne réussira pas à déplacer la conviction sans cesse brocardée et sans cesse réassertée que le référent dernier de la mémoire reste le passé, quoi que puisse signifier la passéité du passé.


Ver online : Paul Ricoeur