Página inicial > Pensadores > Platon

Platon

segunda-feira 5 de fevereiro de 2024

Pensamento de Heidegger sobre Platão; OBRA DE E SOBRE PLATO (inglês); OBRA EM OUTRAS LÍNGUAS

« Car manifestement, vous êtes bel et bien depuis longtemps familiers de ce que vous visez à proprement parler lorsque vous employez l’expression “étant” ; mais pour nous, si nous croyions certes auparavant le comprendre, voici que nous sommes tombés dans l’embarras » [NA: PLATON  , Sophiste, 244 a.] [EtreTemps   epígrafe]

La question est aujourd’hui tombée dans l’oubli, quand bien même notre temps considère comme un progrès de réaffirmer la « métaphysique ». Néanmoins, l’on se tient pour dispensé des efforts requis pour rallumer une nouvelle gigantomachia peri tes ousias. La question soulevée n’est pourtant pas arbitraire. C’est elle qui a tenu en haleine la recherche de Platon et d’Aristote  , avant de s’éteindre bien entendu après eux, du moins en tant que question thématique d’une recherche effective. Ce que les deux penseurs avaient conquis s’est maintenu, au prix de diverses déviations et « surcharges », jusque dans la Logique de Hegel  . Et ce qui autrefois avait été arraché aux phénomènes en un suprême effort de la pensée, les résultats fragmentaires de ces premiers assauts sont depuis longtemps trivialisés.
[…]
1. L’« être » est le concept « le plus universel » : to on esti katholou   malista panton [NA: ARISTOTE, Met., B 4, 1001 a 21.]. « Illud quod primo cadit sub apprehensione est ens, cujus intellectus   includitur in omnibus, quaecumque quis apprehendit » : « Une compréhension de l’être est toujours déjà comprise dans tout ce que l’on saisit de l’étant » [NA: THOMAS D’AQUIN  , Summa theol., I-II, q. 94, a. 2.]. Mais l’« universalité » de l’« être » n’est pas celle du genre. L’« être » ne délimite pas la région suprême de l’étant pour autant que celui-ci est articulé conceptuellement selon le genre et l’espèce : oute to on genos [NA: ARISTOTE, Met., B 3, 998 b 22.]. L’« universalité » de l’être « transcende » toute universalité générique. Selon la terminologie de l’ontologie   médiévale, l’être est un transcendens. L’unité de ce transcendantalement « universel », par opposition à la multiplicité des concepts génériques réals suprêmes, a déjà été reconnue par Aristote comme unité d’analogie  . Par cette découverte, Aristote, en dépit de toute sa dépendance à l’égard de la problématique ontologique de Platon, a situé le problème de l’être sur une base fondamentalement nouvelle. Bien sûr, lui non plus n’a point éclairci l’obscurité de ces relations catégoriales. L’ontologie médiévale a discuté multiplement ce problème dans les écoles thomiste et scotiste, sans parvenir à une clarté fondamentale. Et lorsque finalement Hegel détermine l’« être » comme l’« immédiat indéterminé » et qu’il place cette détermination à la base de toutes les explications catégoriales ultérieures de sa Logique, il se maintient dans la même perspective que l’ontologie antique, à ceci près qu’il abandonne le problème, déjà posé par Aristote, de l’unité de l’être par rapport à la multiplicité des « catégories » réales. Lorsque l’on dit par conséquent, que l’ « être » est le concept le plus universel, cela ne peut pas vouloir dire qu’il est le plus clair, celui qui a le moins besoin d’élucidation supplémentaire. Bien plutôt le concept d’« être » est-il le plus obscur. 1. L’« être » est le concept « le plus universel » : to on esti katholou malista panton [NA: ARISTOTE, Met., B 4, 1001 a 21.]. « Illud quod primo cadit sub apprehensione est ens, cujus intellectus includitur in omnibus, quaecumque quis apprehendit » : « Une compréhension de l’être est toujours déjà comprise dans tout ce que l’on saisit de l’étant » [NA: THOMAS D’AQUIN, Summa theol., I-II, q. 94, a. 2.]. Mais l’« universalité » de l’« être » n’est pas celle du genre. L’« être » ne délimite pas la région suprême de l’étant pour autant que celui-ci est articulé conceptuellement selon le genre et l’espèce : oute to on genos [NA: ARISTOTE, Met., B 3, 998 b 22.]. L’« universalité » de l’être « transcende » toute universalité générique. Selon la terminologie de l’ontologie médiévale, l’être est un transcendens. L’unité de ce transcendantalement « universel », par opposition à la multiplicité des concepts génériques réals suprêmes, a déjà été reconnue par Aristote comme unité d’analogie. Par cette découverte, Aristote, en dépit de toute sa dépendance à l’égard de la problématique ontologique de Platon, a situé le problème de l’être sur une base fondamentalement nouvelle. Bien sûr, lui non plus n’a point éclairci l’obscurité de ces relations catégoriales. L’ontologie médiévale a discuté multiplement ce problème dans les écoles thomiste et scotiste, sans parvenir à une clarté fondamentale. Et lorsque finalement Hegel détermine l’« être » comme l’« immédiat indéterminé » et qu’il place cette détermination à la base de toutes les explications catégoriales ultérieures de sa Logique, il se maintient dans la même perspective que l’ontologie antique, à ceci près qu’il abandonne le problème, déjà posé par Aristote, de l’unité de l’être par rapport à la multiplicité des « catégories » réales. Lorsque l’on dit par conséquent, que l’ « être » est le concept le plus universel, cela ne peut pas vouloir dire qu’il est le plus clair, celui qui a le moins besoin d’élucidation supplémentaire. Bien plutôt le concept d’« être » est-il le plus obscur. [EtreTemps1]

Le questionné de la question à élaborer est l’être : ce qui détermine l’étant comme étant, ce par rapport à quoi l’étant, de quelque manière qu’il soit élucidé, est toujours déjà compris. L’être de l’étant n’« est » pas lui-même un étant. Le premier pas philosophique dans la compréhension du problème de l’être consiste à ne pas mython tina diegeisthai NA: Platon, Sophiste, 242c, « raconter d’histoire », c’est-à-dire à ne pas déterminer l’étant comme étant en sa provenance par le recours à un autre étant, comme si l’être avait le caractère d’un étant possible. L’être comme questionné requiert donc un mode propre de mise en lumière, qui se distingue essentiellement de la découverte de l’étant. Par suite le demandé, le sens de l’être, requerra lui aussi une conceptualité propre, qui se dissocie à nouveau essentiellement des concepts où l’étant atteint sa déterminité significative. [EtreTemps2]

Des concepts fondamentaux sont les déterminations où le domaine réal fondamental à tous les objets thématiques d’une science accède à une compréhension préalable et directrice pour toute recherche positive  . Leur assignation et leur « légitimation » authentique, ces concepts ne la reçoivent donc que d’une exploration non moins préalable du domaine réal lui-même. Mais dans la mesure où chacun de ces domaines est conquis à partir de la région de l’étant lui-même, une telle recherche préalable et créatrice de concepts fondamentaux ne signifie rien d’autre que l’interprétation de cet étant quant à la constitution fondamentale de son être. Une telle recherche doit nécessairement devancer les sciences positives, et elle le peut. Le travail de Platon et d’Aristote en est la preuve. Une telle fondation des sciences se distingue fondamentalement de cette « logique » après coup qui examine un état fortuit de telle ou telle science du point de vue de sa « méthode ». Elle est logique productrice en ce sens qu’elle se jette pour ainsi dire en un domaine déterminé de l’être, qu’elle l’ouvre (erschliesst) pour la première fois en sa constitution d’être, et qu’elle met les structures obtenues à la disposition des sciences positives comme autant de règles transparentes pour leur questionnement. C’est ainsi par exemple que le travail philosophiquement premier n’est pas une théorie de la formation des concepts en histoire, pas davantage la théorie de la connaissance historique, ni même la théorie de l’histoire comme objet de la science historique, mais l’interprétation de l’étant proprement historique en son historicité. C’est ainsi encore que la contribution positive de la Critique de la raison pure de Kant   consiste dans le [11] coup d’envoi qu’elle donne à l’élaboration de ce qui appartient en général à une nature, et non point dans une « théorie » de la connaissance. La logique transcendantale de Kant est une logique apriorique réale du domaine d’être « nature ». [EtreTemps10]

Comme celle de toute ontologie, la problématique de l’ontologie grecque doit nécessairement tirer son fil conducteur du Dasein   lui-même. Le Dasein, c’est-à-dire l’être de l’homme, est déterminé dans sa « définition » vulgaire autant que philosophique comme, zoon logon echon  , comme le vivant dont l’être est essentiellement déterminé par la possibilité de parler. Le legein   (cf. § 7, B) est le fil conducteur pour l’obtention des structures d’être de l’étant tel qu’il fait encontre tandis qu’il est advoqué et discuté. C’est pourquoi l’ontologie antique qui se configure chez Platon devient « dialectique ». Avec l’élaboration progressive du fil conducteur ontologique lui-même, c’est-à-dire avec l’« herméneutique » du logos surgit la possibilité d’une saisie plus radicale du problème de l’être. La dialectique, qui était un embarras philosophique authentique, devient superflue. C’est pourquoi Aristote n’avait « plus » pour elle de « compréhension », l’ayant déplacée et élevée jusqu’à un sol plus radical. Le legein lui-même, ou le noein — le pur et simple accueil de quelque chose de sous-la-main en son pur être-sous-la-main, que Parménide   avait déjà pris pour guide de [26] l’explicitation de l’être — a la structure temporale   du pur « présentifier » de quelque chose. L’étant qui se montre en lui et pour lui, et qui est compris comme le proprement étant, reçoit par conséquent son interprétation par rapport au pré-sent (Gegen-wart  ), c’est-à-dire qu’il est conçu comme présence (ousia  ). [EtreTemps6]

Chez Platon et Aristote le concept de logos est plurivoque, et il l’est assurément de telle manière que ses significations tendent à s’écarter les unes des autres, sans être positivement réglées par une signification fondamentale. En fait, il ne s’agit ici que d’une apparence, qui ne peut que se maintenir tant que l’interprétation échoue à saisir adéquatement la signification fondamentale en sa teneur primaire. Lorsque nous affirmons que la signification fondamentale de logos est « discours », cette traduction littérale ne peut recevoir sa validité que de la détermination de ce que « discours » veut lui-même dire. L’histoire sémantique ultérieure du mot logos, et avant tout les interprétations aussi arbitraires que nombreuses de la philosophie   postérieure ne cessent de recouvrir la signification proprement dite du « discours », qui pourtant est assez manifeste. logos est « traduit », autant dire toujours interprété par raison, jugement, concept, définition, fondement, rapport. Mais comment le « discours » peut-il ainsi se modifier que logos se mette à signifier tout ce qu’on vient d’énumérer, et cela à l’intérieur de l’usage linguistique scientifique ? Même lorsque logos est entendu au sens d’énoncé, mais l’énoncé lui-même au sens de « jugement », alors il est encore tout à fait possible que cette traduction apparemment légitime manque la signification fondamentale, spécialement si le jugement est conçu au sens de quelque « théorie du jugement » contemporaine. logos ne signifie point, et en tous cas point primairement le jugement tant que l’on entend par là une « liaison » ou une « prise de position » (acquiescement — refus).
[…]
En ce qui concerne la lourdeur et l’absence de « grâce » de l’expression au cours des [39] analyses qui suivent, il est permis d’ajouter une remarque : une chose est de rendre compte de l’étant de façon narrative, autre chose de saisir l’étant en son être. Or pour la tâche à l’instant indiquée, ce ne sont pas seulement les mots qui manquent le plus souvent, mais avant tout la « grammaire ». Si l’on nous autorise à faire allusion à des recherches ontologiques plus anciennes et assurément incomparables par la dignité, que l’on compare des passages ontologiques du Parménide de Platon ou le chapitre 4 du livre VII de la Métaphysique d’Aristote avec un chapitre narratif de Thucydide, et l’on verra à quel point étaient inouïes les formulations que les Grecs se virent imposer par leurs philosophes. Or là où les forces sont sensiblement moindres et, de surcroît, le domaine d’être à ouvrir bien plus difficile ontologiquement que celui qui s’offrait aux Grecs, le caractère circonstancié de la conceptualité et la dureté de l’expression ne peuvent que s’accroître. [EtreTemps7]

Pour la considération philosophique, le logos est lui-même un étant, et même, [159] conformément à l’orientation de l’ontologie antique, un étant sous-la-main. Les mots et la suite de mots où il se trouve son ex-pression sont de prime abord sous-la-main, c’est-à-dire trouvables comme des choses. Cette première recherche de la structure du logos ainsi considéré comme sous-la-main rencontre un être-ensemble-sous-la-main d’une pluralité de mots. Qu’est-ce qui fonde l’unité de cet ensemble ? Elle consiste, comme l’avait vu Platon, en ce que le logos est toujours logos tinos. Dans la perspective de l’étant manifeste dans le logos, les mots sont composés en une totalité verbale. Plus radicale cependant est la vision d’Aristote : tout logos, pour lui, est à la fois synthesis   et diairesis  , il n’est pas l’une (par exemple en tant que « jugement positif ») ou l’autre (par exemple en tant que « jugement négatif »), mais, qu’il soit positif ou négatif, vrai ou faux, il est synthesis   et diairesis cooriginairement. La mise en lumière prend ensemble ou sépare. Sinon, Aristote n’a pas déployé la question analytique jusqu’à soulever le problème suivant : quel est le phénomène qui, à l’intérieur de la structure du logos, permet et même requiert de caractériser tout énoncé comme synthèse et diérèse ? [EtreTemps33]

Le fruit vert, par exemple, se presse vers sa maturité. Ce qu’il n’est pas encore ne lui est alors nullement ajouté, dans la maturation, en tant que pas-encore-sous-la-main. C’est lui-même au contraire qui se porte à la maturité, et un tel se-porter caractérise son être en tant que fruit. Tout élément imaginable qui pourrait lui être apporté serait incapable d’éliminer l’immaturité du fruit si cet étant ne venait pas de lui-même à maturité. Le ne-pas-encore de l’immaturité ne désigne pas un « autre » extérieur qui pourrait, indifféremment au fruit, être sous-la-main en lui ou avec lui. Il désigne au contraire le fruit même dans son mode d’être spécifique. La somme non encore complète, en tant qu’à-portée-de-la-main, est « indifférente » à l’égard du reste non-à-portée-de-la-main qui lui fait défaut. Ou plutôt, à strictement parler, elle ne peut être ni non-indifférente, ni indifférente vis-à-vis de lui. Le fruit [244] mûrissant, toutefois, non seulement n’est pas indifférent à l’égard de l’immaturité en tant qu’autre de lui-même, mais en mûrissant, il est l’immaturité. Le ne-pas-encore, ici, est déjà impliqué dans son être propre, et cela non point en tant que détermination quelconque, mais en tant que constituant. De manière correspondante, le Dasein, aussi longtemps qu’il est, est lui aussi à chaque fois déjà son ne-pas-encore [NA: La différence entre tout et somme, holon   et pan  , totum et compositum est bien connue depuis Platon et Aristote. Bien entendu, cela ne signifie point que la systématique de la modification catégoriale renfermée dans cette division soit du même coup connue et élevée au concept. Comme amorçage d’une analyse circonstanciée des structures en question, cf. E. HUSSERL  , Recherches logiques, éd. citée, t. II, Recherche III, « Sur la doctrine du tout et des parties ».]. [EtreTemps48]

La suite des maintenant est interprétée comme quelque chose de sous-la-main en quelque manière : car elle est elle-même transportée « dans le temps ». Nous disons : à chaque maintenant c’est maintenant, et à chaque maintenant ce maintenant disparaît déjà aussi. En chaque maintenant le maintenant est maintenant, donc il est constamment présent comme même, bien qu’à chaque fois en chaque maintenant un autre maintenant, arrivant, disparaisse. Mais en tant que ce change même, il n’en montre pas moins en même temps la présence constante de lui-même, et c’est pourquoi Platon déjà, d’après cette perspective sur le temps comme suite naissante-passante de maintenant, devait nécessairement nommer le temps l’image de l’éternité : eiko d’ epenoei kineton tina aionos poiesai, kai diakosmon hama ouranon poiei menontos aionos en heni kat’ arithmon iousan aionion eikona, touton hon kronon onomakamen [NA: Cf. Timée, 37 d. (NT: A. Rivaud traduit ainsi : « C’est pourquoi son auteur (du monde) s’est préoccupé de fabriquer une certaine imitation mobile de l’éternité, et, tout en organisant le ciel, il a fait, de l’éternité immobile et une, cette image éternelle qui progresse suivant la loi des nombres, cette chose que nous appelons le temps ».)]. [EtreTemps81]


Si la question portant sur le rien qui vient d’être déployée, nous l’avons réellement prise à notre compte, alors ce n’est pas du dehors que nous nous sommes présentés la métaphysique. Nous ne nous sommes pas non plus "transportés" seulement en elle. Nous ne saurions d’ailleurs nous transporter en elle, parce que — dans la mesure où nous existons — nous nous tenons déjà toujours en elle. Physei gár, o phíle, énestí tis philosophía te tou andrós diánoia (Platon, Phèdre, 279 a). Dans la mesure où l’homme existe advient, d’une certaine manière, le philosopher. La philosophie — ce qu’ainsi nous appelons — est la mise en marche de la métaphysique, en laquelle métaphysique la philosophie vient à elle-même et à ses tâches explicites. La philosophie ne se met en marche que par un saut spécifique de l’existence propre dans les possibilités fondamentales de l’être-là dans son ensemble. Décisif est, pour ce saut, de rendre d’abord le champ libre à l’étant dans son ensemble : ensuite, de se laisser gagner au rien, c’est-à-dire de se libérer des idoles que chacun porte en soi et vers lesquelles il a coutume de chercher furtivement refuge ; enfin de laisser s’apaiser les vibrations de ce suspens pour constamment remonter, à travers elles, à la question fondamentale de la métaphysique, qui va droit au rien lui-même : Pourquoi est-il en somme de l’étant et non pas plutôt rien ? QQMETA   La réponse à la question

Nous ne pensons pas de façon assez décisive encore l’essence de l’agir. On ne connaît l’agir que comme la production d’un effet dont la réalité est appréciée suivant l’utilité qu’il offre. Mais l’essence de l’agir est l’accomplir. Accomplir signifie: déployer une chose dans la plénitude de son essence, atteindre à cette plénitude, producere. Ne peut donc être accompli proprement que ce qui est déjà. Or, ce qui " est " avant tout est l’Être. La pensée accomplit la relation de l’Être à l’essence de l’homme. Elle ne constitue ni ne produit elle-même cette relation. La pensée la présente seulement à l’Être, comme ce qui lui est remis à elle-même par l’Être. Cette offrande consiste en ceci, que dans la pensée l’Être vient au langage. Le langage est la maison de l’Être. Dans son abri, habite l’homme. Les penseurs et les poètes sont ceux qui veillent sur cet abri. Leur veille est l’accomplissement de la révélabilité de l’Être, en tant que par leur dire ils portent au langage cette révélabilité et la conservent dans le langage. La pensée n’est pas d’abord promue au rang d’action du seul fait qu’un effet sort d’elle ou qu’elle est appliquée à… La pensée agit en tant qu’elle pense. Cet agir est probablement le plus simple en même temps que le plus haut, parce qu’il concerne la relation de l’Être à l’homme. Or, toute efficience repose dans l’Être et de là va à l’étant. La pensée, par contre, se laisse revendiquer par l’Être pour dire la vérité de l’Être. La pensée accomplit cet abandon. Penser est l’engagement par l’Être pour l’Être je ne sais si le langage peut unir ce double " par " et " pour " dans une seule formule comme: penser c’est l’engagement de l’Être . Ici, la forme du génitif " de l’… " doit exprimer que le génitif est à la fois subjectif et objectif. Mais " sujet " et " objet " sont en l’occurrence des termes impropres de la métaphysique - cette métaphysique qui, sous les espèces de la " logique " et de la " grammaire " occidentales, s’est de bonne heure emparée de l’interprétation du langage. Ce qui se cèle dans un tel événement, nous ne pouvons qu’à peine le pressentir aujourd’hui. La libération du langage des liens de la grammaire, en vue d’une articulation plus originelle de ses éléments, est réservée à la pensée et à la poésie. La pensée n’est pas seulement l’engagement dans l’action pour et par l’étant au sens du réel de la situation   présente. La pensée est l’engagement par et pour la vérité de l’Être, cet Être dont l’histoire n’est jamais révolue, mais toujours en attente. L’histoire de l’Être supporte et détermine toute condition et situation humaine. Si nous voulons seulement apprendre à expérimenter purement cette essence de la pensée dont nous parlons, ce qui revient à l’accomplir, il faut nous libérer de l’interprétation technique de la pensée dont les origines remontent jusqu’à Platon et Aristote. A cette époque, la pensée elle-même a valeur de techne  , elle est processus   de la réflexion au service du faire et du produire. Mais, alors, la réflexion est déjà envisagée du point de vue de la praxis   et de la theoria  . C’est pourquoi la pensée, si on la prend en elle-même, n’est pas " pratique ". Cette manière de caractériser la pensée comme theoria et la détermination du connaître comme attitude " théorétique ", se produit déjà à l’intérieur d’une interprétation " technique " de la pensée. Elle est une tentative de réaction pour garder encore à la pensée une autonomie   en face de l’agir et du faire. Depuis, la " philosophie " est dans la nécessité constante de justifier son existence devant les " sciences ". Elle pense y arriver plus sûrement en s’élevant elle-même au rang d’une science. Mais cet effort est l’abandon de l’essence de la pensée. La philosophie est poursuivie par la crainte de perdre en considération et en validité, si elle n’est science. On voit là comme un manque qui est assimilé à une non-scientificité. L’Être en tant que l’élément de la pensée est abandonné dans l’interprétation technique de la pensée. La " logique " est la sanction de cette interprétation, en vigueur dès l’époque des sophistes   et de Platon. On juge la pensée selon une mesure qui lui est inappropriée. Cette façon de juger équivaut au procédé qui tenterait d’apprécier l’essence et les ressources du poisson sur la capacité qu’il a de vivre en terrain sec. Depuis longtemps, trop longtemps déjà, la pensée est échouée en terrain sec. Peut-on maintenant appeler " irrationalisme " l’effort qui consiste à remettre la pensée dans son élément? " CartaH: P 67-69

Sartre  , par contre, formule ainsi le principe de l’existentialisme: l’existence précède l’essence. Il prend ici existentia  , et essentia   au sens de la métaphysique qui dit depuis Platon que l’essentia précède l’existentia. Sartre renverse cette proposition. Mais le renversement d’une proposition métaphysique reste une proposition métaphysique. En tant que telle, cette proposition persiste avec la métaphysique dans l’oubli de la vérité de l’Être. Que la philosophie détermine en effet le rapport d’essentia et d’existencia au sens des controverses du Moyen Age, au sens de Leibniz  , ou de toute autre manière, il reste d’abord et avant tout à se demander à partir de quel destin de l’Être cette distinction dans l’Être entre esse essentiae et esse existentiae se produit devant la pensée. Il reste à penser pourquoi la question portant sur ce destin de l’Être n’a jamais été posée et pourquoi elle ne pouvait être pensée. Mais n’y aurait-il pas, dans le sort fait à cette distinction entre essentia et existentia, un signe de l’oubli de l’Être? Nous avons le droit de présumer que ce destin ne repose pas sur une simple négligence de la pensée humaine, encore moins sur une capacité moindre de la pensée occidentale à ses débuts. La distinction, celée dans sa provenance essentielle, entre essentia (essentialité) et existentia (réalité) domine le destin de l’histoire occidentale et de toute l’histoire telle que l’Europe l’a déterminée. CartaH: P 85

La " logique " comprend la pensée comme la représentation de l’étant dans son être, être que la représentation se donne dans la généralité du concept. Mais qu’en est-il de la réflexion sur l’Être lui-même, c’est-à-dire de la pensée qui pense la vérité de l’Être ? Cette pensée est la première à atteindre l’essence originelle du logos qui déjà, chez Platon et chez Aristote, le fondateur de la " logique ", se trouve ensevelie et a consommé sa perte. Penser contre " la logique " ne signifie pas rompre une lance en faveur de l’illogique, mais seulement: revenir dans sa réflexion au logos et à son essence telle qu’elle apparaît au premier âge de la pensée, c’est-à-dire se mettre enfin en peine de préparer une telle ré-flexion. A quoi bon tous les systèmes, si prolixes encore, de la logique, s’ils commencent par se soustraire à la tâche de poser d’abord et avant tout la question portant sur l’essence du logos, et cela sans même savoir ce qu’ils font. Si on voulait retourner les objections, ce qui est assurément stérile, on pourrait dire avec plus de raison encore: l’irrationalisme, en tant que refus de la ratio, règne en maître inconnu et incontesté dans la défense de la " logique ", puisque celle-ci croit pouvoir esquiver une méditation sur le logos et sur l’essence de la ratio qui a en lui son fondement. CartaH: P 108-109

L’" ethique " paraît pour la première fois avec la "logique " et la " physique " dans l’école de Platon. Ces disciplines prennent naissance à l’époque où la pensée se fait " philosophie ", la philosophie episteme   (science) et la science elle-même, affaire d’école et d’exercice scolaire. Le processus ouvert par la philosophie ainsi comprise donne naissance à la science, il est la ruine de la pensée. Avant cette époque, les penseurs ne connaissaient ni " logique ", ni " éthique ", ni " physique ". Leur pensée n’en était pour autant ni illogique, ni immorale. Mais ils pensaient la physis   selon une profondeur et avec une amplitude dont aucune " physique " postérieure n’a jamais plus été capable. Si l’on peut se permettre ce rapprochement, les tragédies de Sophocle abritent plus originellement l’ethos   dans leur dire que les leçons d’Aristote sur l’" Ethique ". Une sentence d’Héraclite  , qui tient en trois mots, exprime quelque chose de si simple que par elle l’essence de l’éthos s’éclaire immédiatement. CartaH: P 115