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Marion (2004:§4) – o mundo segundo a vaidade

segunda-feira 22 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

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O mundo só pode ser fenomenalizado entregando-se a mim e fazendo-me seu doado. Não há nada de injusto, tirânico ou odioso no meu lugar ao sol — no sol erótico que me garante ser amado ou odiado: reivindicá-lo é o meu primeiro dever.

Por outro lado, há outra objeção que me pode impedir. Substituir o ego   como pensador pelo ego como amado ou odiado poderia de fato enfraquecê-lo, e por duas razões. Em primeiro lugar, porque depende do ego cogitans   para se pensar sozinho e, portanto, para produzir a sua certeza em perfeita autonomia, ao passo que, ao considerar-me segundo a redução erótica, apenas me coloco a questão "amas-me?", que continua sem resposta. Esta pergunta torna-me dependente de um outro anônimo que não posso, por definição, controlar; expõe-me, portanto, à incerteza radical de uma resposta que é sempre problemática e talvez impossível. A partir de agora, tenho de lamentar a perda de autonomia, essa obsessão inquestionável. Em segundo lugar, porque mesmo que uma confirmação erótica me viesse de outro lugar, eu continuaria a estagnar numa incerteza definitiva. Com efeito, a certeza do outro não se acrescentaria à certeza do eu para a confirmar, mas, na melhor das hipóteses, compensaria o seu fracasso, tendo-a ele próprio provocado ao ferir o ego de uma alteridade que lhe é mais original do que ele próprio. Ao entrar na redução erótica, perco-me a mim próprio, porque a minha personagem — amada ou odiada — nunca me pertencerá (como me pertencia pensar); já não me atribuirá a mim próprio, mas atribuir-me-á extasiado a uma instância indecisa, que decidirá tudo — e, antes de mais, eu. Em suma, o ego é enfraquecido por uma dupla heteronomia, de jure e de fato. E este duplo enfraquecimento não pode ser contestado: a objeção está em pleno   vigor.

original

Le monde ne peut se phénoménaliser qu’en se donnant à moi et me faisant son adonné. Ma place au soleil — au soleil érotique qui m’assure comme aimé ou haï — n’a rien d’injuste, ni de tyrannique, ni de haïssable : la réclamer s’impose à moi comme mon premier devoir.

Une autre objection pourrait en revanche m’arrêter. Substituer à l’ego en tant que pensant l’ego en tant qu’aimé ou haï, pourrait en effet l’affaiblir et pour deux raisons. D’abord, parce qu’il dépend de l’ego cogitans de se penser lui-même par soi seul et donc de produire sa certitude en parfaite autonomie  , tandis qu’en m’envisageant selon la réduction érotique, je ne me pose que la question « m’aime-t-on ? », encore sans réponse. Cette interrogation me fait dépendre d’un ailleurs anonyme que je ne peux par définition pas maîtriser; elle m’expose donc à l’incertitude radicale d’une réponse toujours problématique et peut-être impossible. Désormais, je dois faire mon deuil de l’autonomie, cette hantise ininterrogée. Ensuite, parce que, même si une éventuelle confirmation érotique m’advenait d’ailleurs, je stagnerais encore dans une incertitude définitive. En effet, l’assurance d’ailleurs ne viendrait pas s’ajouter à la certitude de soi pour la confirmer, mais, au mieux, en compenserait la défaillance, après l’avoir elle-même provoquée en blessant l’ego d’une altérité plus originaire à lui que lui-même. En entrant dans la réduction érotique, je me perdrais donc moi-même, car mon caractère désormais déterminant — aimé ou haï — ne m’appartiendra plus jamais en propre (comme auparavant il m’appartenait de penser) ; il ne m’attribuera plus moi-même à moi-même, mais m’extasiera envers une instance indécidée, qui décidera pourtant de tout — et d’abord de moi. Bref, l’ego s’affaiblit par une double hétéronomie de droit, puis de fait. Et ce double affaiblissement ne peut se contester : l’objection porte à plein.

Il faut en effet admettre comme un acquis que la réduction érotique atteint l’ego au plus intime en le destituant définitivement de toute auto-production dans la certitude et dans l’existence. Si, d’aventure, une réponse à la question « m’aime-t-on ? » doit se déployer, elle s’inscrira toujours dans cette dépendance comme dans son horizon   ultime, sans jamais rétablir — même en esquisse désirée ou en idéal de la raison — l’autonomie de la certitude par la cogitatio. Mais ce résultat destituant n’équivaut pas tant à une perte sèche, qu’à un acquis encore obscur. Si, sous le coup de la réduction érotique, je ne puis me recevoir avec certitude qu’en tant qu’aimé ou haï, donc comme un aimé seulement en puissance (un aimable), j’entre dans un terrain absolument nouveau. Il ne s’agit même plus d’y être en tant qu’aimé, ni de s’y faire aimer ou haïr dans le but de parvenir à être ou n’être pas, mais de m’apparaître à moi-même directement, au-delà de tout statut d’étant éventuel, comme aimé potentiel et comme aimable. Désormais « aimé » ne joue plus le rôle d’un adjectif qualifiant un étant par son mode d’être, puisqu’en régime de réduction érotique qui affronte la vanité, on ne peut plus assumer sans précaution, comme en métaphysique, que «être ou n’être pas, telle est la question». La question « m’aime-t-on d’ailleurs ? », qui s’y substitue définitivement, ne vise plus l’être et ne se soucie plus de l’existence. Elle m’introduit dans un horizon où mon statut d’aimé ou d’haï, bref d’aimable, ne renvoie plus qu’à lui-même. En demandant si l’on m’aime d’ailleurs, je ne dois même plus d’abord m’enquérir de mon assurance : j’entre dans le règne de l’amour, où je reçois immédiatement le rôle de celui qui peut aimer, qu’on peut aimer et qui croit qu’on doit l’aimer — l’amant.

L’amant s’oppose donc au cogitant. D’abord parce qu’il destitue la quête de certitude par celle de l’assurance ; parce qu’il substitue à sa question « suis-je ? » (donc aussi à sa variante « suis-je aimé ? »), l’interrogation réduite « m’aime-t-on ? » ; parce qu’il n’est pas en tant qu’il pense, mais, à supposer qu’il doive encore être, n’est qu’en tant qu’on l’aime. Surtout, alors que le cogitant ne cogite que pour être et n’exerce sa pensée que comme un moyen de certifier son être, l’amant n’aime pas tant pour être que pour résister à ce qui annule l’être — la vanité qui demande « à quoi bon ? ». L’amant ambitionne de surpasser l’être, pour ne pas succomber avec lui à ce qui le destitue. Du point de vue de l’amant, en fait du point de vue de la réduction érotique, l’être et ses étants apparaissent comme contaminés et intouchables, irradiés par le soleil noir de la vanité. Il s’agit d’aimer, parce qu’en régime de réduction érotique, rien de non-aimé ou de non-aimant ne tient. En passant du cogitant (donc aussi de celui qui doute, ignore et comprend, veut et ne veut pas, imagine et sent) à l’amant, la réduction érotique ne modifie pas la figure de l’ego pour atteindre, par d’autres moyens, le même but — certifier son être. Elle destitue la question « être ou n’être pas ? » ; elle dépose la question de l’être de sa charge impériale en l’exposant à la question « à quoi bon ? » ; elle la considère sérieusement du point de vue de la vanité. En réduction érotique, là où il y va de l’amant, la question « qu’est-ce que l’étant (en son être)?» perd son privilège de question la plus ancienne, toujours recherchée et toujours manquée. L’aporie de la question de l’être ne tient pas à ce qu’on l’a toujours manquée, mais à ce qu’on s’obstine encore et toujours à la poser en première position, alors qu’elle reste — dans le meilleur des cas — dérivée ou conditionnelle. Ni première, ni dernière, elle relève seulement d’une philosophie   seconde, du moins dès qu’une autre question — «à quoi bon ? » — l’afflige et qu’une philosophie plus radicale demande « m’aime-t-on d’ailleurs ? » Ce renversement de l’attitude naturelle — naturellement ontologique, donc naturellement métaphysique (ici du moins) —, seule peut l’accomplir une réduction d’un nouveau style, que nous avons identifiée comme la réduction érotique. Mais comment s’accomplit la réduction érotique ? Comment diffère-t-elle des autres réductions ou de l’attitude naturelle ? Bref comment met-elle en scène les choses du monde ? Pour répondre à cette question, il faut revenir à l’amant — celui qui se demande « m’aime-t-on ? ». Selon l’attitude naturelle, il considérerait simplement tous les étants et l’étant en général. Mais, en régime de réduction érotique, il constate qu’aucun étant, aucun alter ego ni lui-même, ne peut lui fournir la moindre assurance devant la question « m’aime-t-on ? ». Un étant quelconque assure d’autant moins l’aimant, que lui-même s’expose entièrement à la vanité. Aucun alter ego ne le peut non plus, puisqu’il faudrait d’abord pouvoir le distinguer d’un étant du monde, ce qui, à ce moment de l’enquête, reste impossible. Quant à l’ego, il ne peut, de lui-même fournir la moindre assurance devant l’interrogation « m’aime-t-on d’ailleurs ? ». Par principe, la vanité s’étend donc universellement. Elle accomplit effectivement la réduction érotique sur toutes les régions du monde et leurs frontières. Il reste donc à décrire brièvement la vanité et la réduction érotique, en suivant leurs trois moments privilégiés : l’espace, le temps, l’identité du soi.


Ver online : Jean-Luc Marion


MARION, Jean-Luc. Le phénomène érotique: six méditations. Paris: Librairie générale française, 2004.