Página inicial > Fenomenologia > Hartmut Rosa (Resonance) – sujeito e mundo segundo Charles Taylor

Resonance

Hartmut Rosa (Resonance) – sujeito e mundo segundo Charles Taylor

What is the World? Who is a Subject?

quarta-feira 24 de maio de 2023, por Cardoso de Castro

[ROSA, Hartmut. Resonance. A Sociology of Our Relationship to the World. Tr. James C. Wagner. London: Polity Press, 2019]

[ROSA, Hartmut. Résonance. Une sociologie   de la relation au monde. Tr. Sacha Zilberfarb. Paris: Éditions La Découverte, 2018, 2021]

James C. Wagner

[…] Of particular significance here is the fact that not   only are subjects’ attitudes toward, outlooks on, and relatedness to the world individually and culturally variable, but what constitutes or is knowable as world is also co-variable.

The Canadian social philosopher Charles Taylor  , whose work can be read as an analysis of the modern transformation of the boundaries between subject and world, has impressively illustrated this. In Sources of the Self, he surmises that in modernity’s predominating naturalistic/rationalistic interpretation  , the subject has gradually dwindled into what he calls a “punctual self.” To the punctual self, all relationships and even all qualities are external; it distances itself from its wants and needs, physical qualities and temporary beliefs, as well as from its actions and its relationships to its community. None of these has any constitutive significance, but only instrumental significance for the naturalistically shaped subject. Taylor speaks in a similar way of the “buffered self” in his later book A Secular Age, writing there that the modern subject is all but forced to hold the world at a distance. Between his or her inner life and the conditions and proceedings of the external world there exist no intrinsic, quasi-magical relationships that can only be disclosed hermeneutically, but only causal, contingent or instrumental connections. In symbolic terms, this means that lightning and thunder are not reactions to our mental state, that the path of the clouds tells us nothing about whether we will have a successful interview, that earthquakes are not punishments for our sins. (This bygone form of “magical thinking,” or feeling, establishing an inner connection between self and world, continues to suggest itself to us, however, as can be seen wherever attempts are made to attribute tsunamis, droughts, earthquakes, or hurricanes to human misconduct – though this of course does not mean that there could not indeed be a causal relationship here.)

Taylor contrasts the “buffered” twenty-first-century self with the open, “porous” self of the fifteenth century, which recognized a quasi-magical inner correspondence between the internal and external world, and the limits of which could literally be transcended. Spirits could take possession of it at any time, although the application of holy water or other “external” substances could also protect it against evil thoughts and feelings, and correspondences could be calculated and predicted between planets, gemstones, organs, and emotional states. In short, the self circa 1500 was embedded in a stream of life that comprised material and immaterial, physical and metaphysical substances alike, and that placed the members of a community in relation to each other in terms of influence and resonance in ways that ultimately are not even really imaginable to the twenty-first-century individual.

This contrast between a hermetically sealed contemporary self and a porous late medieval self intrinsically connected to nature, the “spirit world,” and its community is meant to serve only as a striking example of two entirely different relationships to the world, each of which gives expression to different types of self and world that are related to each other in different ways. I will nonetheless retain the polar terms subject (or, for now synonymously, self) and world, as they remain unavoidable from a phenomenological perspective. Subjects here are defined by two essential characteristics that are invariable despite the variety of possible relationships to the world. First, subjects are those entities that have experiences or, taking into account that experiences are always constituted intersubjectively, to which experiences manifest themselves. Second, subjects are the site at which motivated psychic energies materialize, i.e. at which the impulse to act becomes operative. This, moreover, makes it clear that subjects, in the terminology of the phenomenological tradition   since Husserl  , are always related to “their” world intentionally; in other words, we are dealing here with not only a cognitive, but also an evaluative and existential relationship. Subjects are thus entities that encounter world and that respond to the world intentionally. The world appears to them as inherently significant, whether positively (in the sense of a desire) or negatively (in the sense of a fear). Consequently, relationships to the world can also be understood as “concretions of intentionality.”

Sacha Zilberfarb

[…] Ainsi, et c’est un point décisif, la position des sujets dans le monde – ou la façon dont ils s’y réfèrent – n’est pas seule à varier individuellement et culturellement : ce qui se constitue et se manifeste comme monde varie avec elle.

C’est ce qu’illustrent remarquablement les travaux du philosophe canadien Charles Taylor, qui peuvent se lire comme une analyse de la transformation moderne des frontières entre le sujet et le monde. Dans Les Sources du moi, déjà, Taylor soupçonnait le sujet naturaliste et rationaliste moderne de s’être peu à peu réduit à un simple « moi ponctuel ». Toutes les relations et toutes les qualités lui deviennent extérieures, il se distancie de ses besoins, de ses attributs corporels et de ses convictions temporaires, de ses relations communautaires et de ses actions. Tout cela n’a plus pour lui qu’une signification instrumentale. Tel est le sens du moi tampon (« buffered ») qu’évoquera plus tard Charles Taylor dans L’Âge séculier : le sujet moderne, lit-on dans ce texte, est proprement obligé de tenir le monde à distance ; sa vie intérieure n’est plus reliée aux processus   et aux états du monde extérieur que par des liens causaux, contingents ou instrumentaux, et non par des connexions intrinsèques et quasi magiques, dont la connaissance ne peut être qu’herméneutique. Traduit en langage symbolique, cela signifie ceci : la foudre et le tonnerre ne réagissent pas à nos états psychiques, le mouvement des nuages ne dit rien de la réussite ou non de notre prochain entretien d’embauche et le tremblement de terre n’est pas la punition de nos péchés. (Ce type archaïque de pensée – ou de sensibilité – « magique » créatrice d’un lien interne entre le moi et le monde nous vient toutefois naturellement chaque fois, par exemple, que nous imputons la survenue d’un tsunami, d’une sécheresse, d’un tremblement de terre ou d’un typhon à une inconduite humaine – ce qui n’est pas contradictoire avec l’idée de causalité externe).

Au moi « tampon » du XXIe siècle, Taylor oppose le moi ouvert, « poreux » du XVe siècle. Non seulement il existait du point de vue de ce moi une concordance interne magique entre les mondes intérieur et extérieur, mais ses frontières pouvaient être littéralement transcendées : des esprits pouvaient à tout moment prendre possession de lui et il pouvait être protégé des mauvaises pensées et des mauvais sentiments par de l’eau bénite ou quelque autre substance « extérieure » ; les planètes, pierres précieuses, organes, états émotionnels, etc., étaient liés entre eux par des correspondances prévisibles. Bref, le moi était intégré dans un flux de vie qui comprenait à parts égales des substances matérielles et immatérielles, physiques et métaphysiques, et qui reliait entre eux les membres d’une communauté par un ensemble de résonances et d’influences qui n’est plus guère concevable par un individu vivant au début du troisième millénaire.

Cette opposition entre un moi contemporain hermétique et un moi de la fin du Moyen-âge perméable et intrinsèquement lié à la nature, à la communauté et au « monde des âmes » nous servira ici tout d’abord à illustrer avec force deux formes foncièrement différentes de relation au monde, qui renvoient l’une et l’autre à différents types de moi et de monde, et de lien entre les deux. Malgré le primat d’un tel lien, je conserverai la dualité du sujet (ou moi, pris d’abord dans un sens synonyme) et du monde, car cette paire conceptuelle demeure incontournable dans une démarche phénoménologique. S’il existe des variations quant aux types de relation au monde, deux propriétés essentielles et invariables caractérisent tous les sujets. Premièrement, ils sont ces entités qui font des expériences, ou – si l’on admet que les expériences sont toujours intersubjectives – chez lesquelles des expériences se manifestent ; deuxièmement, ils constituent le lieu où une énergie psychique se matérialise sous forme de motivation, c’est-à-dire où des impulsions à agir deviennent effectives. Cela signifie que les sujets, pour reprendre le langage phénoménologique hérité de Husserl, ont toujours un rapport intentionnel à « leur » monde et que cette relation est donc toujours, non seulement cognitive, mais évaluative et existentielle. Les sujets deviennent ainsi des entités que le monde rencontre et qui se positionnent intentionnellement par rapport à lui : le monde leur apparaît toujours chargé d’une signification positive   (sous la forme d’un désir) ou négative (sous la forme d’une crainte). Par conséquent, les relations au monde peuvent aussi se comprendre comme des « concrétions d’intentionnalité ».


Ver online : Hartmut Rosa